En route vers une constitution écologique ?
Le 16 mars dernier, les députés ont adopté sans amendement le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution relatif à la préservation de l’environnement. La formulation retenue, issue de la Convention citoyenne pour le climat et soutenue par l’association Notre affaire à tous qui œuvre pour la justice climatique, est la suivante : « La France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».
Notre affaire à tous fait partie du collectif Notre constitution écologique qui avait rédigé, dès 2018, une proposition de loi pour une réforme ambitieuse de la Constitution. L’association souligne l’importance du maintien du terme « garantit » qui implique une quasi-obligation de résultat incombant à la République, et donc à l’État, pour préserver l’environnement et lutter contre le dérèglement climatique. Deux avis du Conseil d’État recommandaient en effet l’emploi de termes moins contraignants tels que « favorise » (avis du 29 mai 2019) ou « préserve » (avis du 14 janvier 2021). Marine Yzquierdo, avocate et coordinatrice plaidoyer au sein de cette association est revenue sur les enjeux d’une telle réforme.
Les Petites Affiches : Le fait que le projet de loi constitutionnelle relative à la préservation de l’environnement n’ait pas fait l’objet d’amendements est-il un signe favorable pour l’environnement ?
Marine Yzquierdo : Le maintien de la formulation adoptée par la Convention citoyenne pour le climat est le minimum que l’on pouvait espérer. Mais nous estimons que ce texte n’est pas à la hauteur de la crise écologique et climatique que nous connaissons, faute d’inscrire le principe de non-régression et de faire référence aux limites planétaires, tel que nous le proposions dans notre proposition de loi en 2018.
En outre, de nombreux amendements ont été déposés par des députés pour tenter de limiter la portée du texte, notamment pour substituer au terme « garantit » des termes moins contraignants, se rangeant ainsi à l’avis du Conseil d’État. Pourtant, le terme « garantir » n’est pas une innovation et figure déjà à plusieurs reprises dans la Constitution. Durant les débats, certains députés ont même tenté de modifier voire de supprimer le principe de précaution énoncé dans la Charte de l’environnement. Or modifier la Charte de l’environnement risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore : ses principes pourraient être remis en cause et leur portée fortement réduite.
Donc je ne suis pas sûre que l’on puisse parler de « signe favorable » ou de « consensus » autour de l’environnement. Il faut également rappeler qu’Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat donc avec ce projet de loi, le gouvernement ne fait que respecter en partie cet engagement. En partie, car le projet de loi Climat et résilience, qui est débattu en parallèle, s’est révélé très insuffisant pour atteindre les objectifs climatiques de la France et ne reprend qu’une dizaine de propositions « sans filtre » de la Convention citoyenne pour le climat.
LPA : Comment définir les notions de limites planétaires et de non-régression ?
M.Y. : Les limites planétaires sont une notion scientifique et font référence à 9 grands ensembles qui déterminent les conditions de stabilité et de durabilité du système Terre. Elles ont été théorisées et définies par le Stockholm Resilience Center en 2009 et réactualisées en 2015 pour y ajouter une dixième limite. Parmi ces 10 limites, 7 se sont vues définir des seuils, des valeurs limites à ne pas dépasser si l’humanité veut pouvoir continuer à se développer sur une planète viable. À l’heure actuelle, nous avons déjà dépassé 4 de ces limites planétaires, dont l’érosion de la biodiversité et le changement climatique qui sont des limites fondamentales. Donc cela compromet l’habitabilité de la Terre.
Ce concept revient de plus en plus et a été utilisé à plusieurs reprises au niveau européen et français : l’Agence européenne de l’environnement a publié en 2020 un rapport évaluant l’empreinte écologique globale de l’Europe dans le cadre des limites planétaires. Ensuite, ce concept a été utilisé par le gouvernement français. Le ministre de l’Écologie et de la Transition énergétique avait en effet publié un en octobre 2009 son Rapport sur l’état de l’environnement en France, qui indiquait que 6 des 9 limites planétaires étaient déjà dépassées.
Cette notion figure déjà dans la loi, à l’article L. 110-1-1 du Code de l’environnement, et puis, avant cela, lors de son discours devant le Comité international lors de la COP23 en 2017, le président de la République avait lui-même indiqué, en parlant du climat, que « le seuil de l’irréversible [avait] été franchi ». Enfin, même l’Oréal indique sur son site vouloir « transformer [son] activité et l’inscrire dans les limites planétaires » ! C’est un concept qui revient de plus en plus.
LPA : Cela veut dire qu’on est dans une situation encore plus dramatique, si l’on prend l’échelle française ?
M.Y. : D’après ce rapport du ministère de l’Écologie et de la Transition écologique, oui. Mais c’est là tout le problème car pour l’instant, on ne sait pas encore comment décliner les limites planétaires par régions, par pays. Un travail de recherche mené par des scientifiques est actuellement en cours pour essayer de les définir à d’autres échelles. Et d’ailleurs, je fais le parallèle avec la proposition de loi écocide qui avait été faite par les membres de la Convention citoyenne pour le climat en juin dernier : ils avaient défini l’écocide en référence au dépassement des limites planétaires. Et cela a été rejeté, car cette définition ne respectait pas le principe de clarté et de précision de la loi pénale. Il faudrait que les limites planétaires deviennent un cadre normatif contraignant servant de référence dans l’adoption et la mise en œuvre des lois.
LPA : Certains groupes industriels ne feraient-ils pas du greenwashing en se positionnant comme vertueux ?
M.Z. : Sans doute… mais cela permet de populariser les limites planétaires.
LPA : Et le principe de non-régression, pourquoi compte-t-il tant à vos yeux ?
M.Y. : Le principe de non-régression est un enjeu pour préserver les acquis environnementaux et éviter tout retour en arrière. « Une génération ne peut assujettir une génération future avec des lois moins protectrices de l’environnement que celles en vigueur », avions-nous écrit dans notre proposition de loi initiale. Aujourd’hui, le principe de non-régression a une valeur normative, mais ne s’impose qu’au pouvoir réglementaire et non au législateur. Cela résulte d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2016 (Cons. const., 4 août 2016, n° 2016-737), lorsqu’il s’était prononcé sur la loi biodiversité. De plus, la valeur constitutionnelle du principe de non-régression n’a toujours pas été explicitement reconnue, même s’il existe en filigrane dans la Charte de l’environnement. Ce que nous souhaitons, c’est l’inscrire dans la Constitution et pas seulement dans la loi, ce qui permettrait en outre de le mettre à l’abri de tout changement conjoncturel. Le Conseil constitutionnel aurait pu le consacrer lorsqu’il s’est prononcé sur la loi sur les néonicotinoïdes en décembre 2020, mais il n’a pas saisi l’occasion. Et en mars dernier, le Conseil d’État a suivi et a validé le retour temporaire des néonicotinoïdes sur le marché. La loi sur l’accélération et la simplification de l’action publique (L. n° 2020-1525, 7 déc. 2020) et la loi néonicotinoïdes (L. n° 2020-1578, 14 déc. 2020) sont des exemples de régression certaine du niveau de protection de l’environnement. Il y a donc un intérêt à consacrer le principe de non-régression dans la Constitution.
LPA : D’autres pays dans le monde ont-ils intégré ces principes à leur Constitution ?
M.Y. : Le principe de non-régression figure dans la Constitution de l’Équateur. Il a été appliqué par des juges constitutionnels dans d’autres pays, notamment les cours constitutionnelles belge et hongroise. Et également par le tribunal suprême espagnol.
LPA : Ces exemples peuvent-ils donner une impulsion à la France pour qu’elle se positionne comme leader dans la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ?
M.Y. : Depuis ces dernières décennies, on assiste dans le monde à un verdissement des Constitutions. Nous observons ce phénomène depuis les années 70 avec la déclaration de Stockholm (1972), puis la Déclaration de Rio (1992), qui ont joué un rôle moteur en droit de l’environnement et structurent les négociations internationales sur l’environnement. Environ 170 Constitutions contiennent des normes sur la protection de l’environnement. Une centaine de Constitutions imposent des devoirs sur la protection de l’environnement. Et une dizaine imposent une obligation de lutte contre le changement climatique. L’affirmation de ces règles et valeurs fondamentales favorise l’adoption de lois visant à protéger l’environnement. On observe une corrélation entre démocratie/droits humains et droit de l’environnement. Et d’ailleurs, récemment, on a pu constater une régression des droits de l’environnement allant de pair avec une régression de la démocratie, comme sous la présidence de Trump ou de Bolsnonaro. Mais cela est à relativiser ! En Chine, certaines pollutions donnent lieu à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la peine de mort. En Corée du Nord, il existe des sanctions particulièrement sévères si l’on coupe un arbre. Aux États-Unis, dans certains États, on peut payer jusqu’à 1 500 € pour avoir jeté un déchet au sol.
LPA : Qu’attendez-vous d’une constitution écologique ?
M.Y. : Qu’elle réponde aux enjeux écologiques de notre temps. La Charte de l’environnement (qui a valeur constitutionnelle depuis 2005) est un bon instrument mais elle correspond à une première prise de conscience autour des enjeux environnementaux et ne fait pas référence au climat ni à l’urgence écologique. Or depuis 2018, nous assistons à une autre prise de conscience autour des enjeux climatiques. Cette nouvelle rédaction de l’article 1er viendrait renforcer la Charte de l’environnement et donnerait aux juges et aux citoyens de nouveaux outils pour garantir l’effectivité des droits et principes énoncés dans la Charte.
L’enjeu est d’en faire une réforme qui ne soit pas purement symbolique, sans aucune implication en termes d’effets contraignants, mais au contraire d’imposer une obligation de mettre en œuvre des mesures concrètes. Si la modification de la Constitution telle qu’on l’envisage est entérinée, cela ne remplacera certes pas d’autres actions qui sont nécessaires aux enjeux environnementaux et climatiques, mais cela permettra en tous les cas de favoriser de telles actions. Intégrer de telles notions dans l’article 1er qui définit les valeurs de la République, cela implique qu’elles devraient se refléter dans les politiques publiques.
LPA : En tant que citoyen, on peut se sentir perdu, en constatant ces aller-retours continuels. L’exemple des néonicotinoïdes est un bon exemple. Comment ont-ils pu revenir ?
M.Y. : D’un côté, on a le tribunal administratif, qui en matière climatique, a reconnu la carence fautive de l’État et de l’autre côté, on a le Conseil d’État qui autorise le retour temporaire des néonicotinoïdes, ce qui peut paraître incohérent. En réalité, ces affaires sont totalement différentes (de par leur objet et leur fondement) et ne peuvent être comparées. Concernant la loi néonicotinoïdes, on en revient à l’enjeu que représente l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution.
LPA : Qu’attendre ou craindre des discussions menées au Sénat ?
M.Y. : Il y a de fortes chances pour que des amendements soient déposés afin de réduire la portée du texte. Nous avons été auditionnés par des sénateurs qui souhaitent toutefois ajouter le principe non-régression, mais il est peu probable que cela se fasse. Si le projet de loi est adopté par le Sénat avec des amendements, il devra alors être renvoyé à l’Assemblée nationale car le projet de loi doit être adopté en termes identiques par les deux chambres pour être soumis au référendum.