Au tribunal judiciaire de Versailles, après une année 2020 inédite, en route vers l’innovation
Le 18 janvier dernier se tenait l’audience de rentrée du tribunal judiciaire de Versailles. Comme partout ailleurs, l’événement se déroulait en petit comité et dans le respect de toutes les mesures barrières. Après une année éprouvante, le tribunal accueillait son nouveau président, Bertrand Menay, honoré et fier d’arriver à la tête d’une telle juridiction, par laquelle passa en son temps Alexis de Tocqueville, avant son célèbre voyage en Amérique. Si le passé est marquant – y compris cette année 2020 hors normes –, le futur est la priorité : concorde, réflexion collective, modernisation et mise en œuvre des réformes pénales… 2021 sera une année riche à tous égards.
« Compte tenu des contraintes dues à l’épidémie de Covid-19, les chiffres de l’activité 2020 ne sont guère significatifs ». Par ces mots, le premier vice-président du tribunal judiciaire de Versailles, Gilles Croissant, introduisait l’audience de rentrée du tribunal judiciaire de Versailles, le 18 janvier dernier. Par une brève chronologie, il a rappelé les grands événements qui ont marqué cette année judiciaire, à commencer par la « fusion des tribunaux d’instance dans les tribunaux judiciaires », en janvier 2020. Cette fusion, si elle a occasionné des « difficultés », pour la plupart « anticipées », n’a été qu’un élément sous contrôle, au regard de ce qui attendait la juridiction.
Sans surprise, il a également évoqué la grève – bien compréhensible – des avocats, « opposés aux appétits gouvernementaux à l’égard de la cagnotte de leur caisse de retraite », qui, à cause des demandes de renvois fréquents, a « entraîné une augmentation sensible des délais d’audiencement et des stocks de dossiers. À titre d’exemple, environ deux mois supplémentaires pour le seul service des référés ».
Le premier confinement a ensuite constitué un véritable bouleversement : « L’activité pénale et civile a été extrêmement réduite, les contraintes sanitaires ont empêché, pour la justice du quotidien, la tenue de nombreuses audiences de cabinet compte tenu de l’exiguïté des bureaux, au niveau des juges aux affaires familiales, des juges des enfants, des juges d’instruction », a-t-il précisé, tout en mentionnant le « manque de salles d’audience impliquant une réorganisation des audiences de plusieurs services ».
Malgré toutes ces contraintes, la juridiction, estime-t-il, a su « faire face grâce aux outils tels que la visioconférence, les procédures sans audience et l’augmentation du nombre de dossiers appelés à chaque audience ».
Après une année 2020 chaotique, 2021 se présente sous le sceau de l’innovation. Ainsi Gilles Croissant a annoncé que « Versailles a été choisi comme seul site pilote des juridictions du groupe 1 (les plus importantes), pour la phase 2 du projet interministériel Procédure pénale numérique (PPN) qui doit permettre, à partir des procédures pénales des services de police et de gendarmerie, une véritable chaîne pénale dématérialisée ». Le nouveau président du tribunal judiciaire, Bertrand Menay, a d’ailleurs affirmé à ce propos que « Toutes les énergies sont déjà mobilisées », notant de l’envie mais aussi des « inquiétudes », qu’il entend dissiper.
Un nouveau président
Précisément, qui est ce nouveau président ? Même s’il ne s’agissait pas d’une audience d’installation, ce moment partagé avec les acteurs de la juridiction a été l’occasion de présenter Bertrand Menay, qui succède à Christophe Mackowiack, lui-même installé très prochainement en qualité de premier président de la cour d’appel de Metz.
Gilles Croissant a ainsi rappelé quelques éléments biographiques. Après des études secondaires et universitaires à Rennes, Bertand Menay réussit le concours de l’ENM. Un stage d’auditeur de justice à Saint-Brieuc plus tard, il exerce successivement les fonctions de juge d’instance à Toul, de juge placé à Nancy, puis de président du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc et de conseiller chargé du secrétariat général de la première présidence de la cour d’appel de Nancy. En tant que président du tribunal de grande instance d’Épinal, il organise la fusion des tribunaux de Saint-Dié et Épinal. Affecté à l’inspection générale du ministère de la Justice, il participe plus récemment à la création d’un nouveau service de renseignements à compétence nationale, le service national de renseignement pénitentiaire. Il rejoint ensuite le poste de président du tribunal judiciaire de Meaux. Un parcours, qui, pour Gilles Croissant, « aura permis non seulement un exercice extrêmement diversifié des fonctions judiciaires, mais également d’acquérir une expérience administrative particulièrement riche ».
Après cette présentation, le président a pris lui-même la parole, seulement 15 jours après sa prise de poste, un exercice difficile mais nécessaire pour cet homme qui se veut proche de sa juridiction. Il a ainsi pu détailler les points d’attention essentiels de sa présidence. Il a notamment réaffirmé l’importance de la déontologie, « porteuse d’une éthique exigeante, synonyme de crédibilité, de respect et d’indépendance ».
Il a également insisté sur l’importance de la « capacité de gérer » d’un tribunal, où « les magistrats, chefs de cour et de juridiction et les équipes de direction et de gestion qui les entourent, sont des techniciens et praticiens du droit, formés à l’administration, aptes au maniement des concepts budgétaires et comptables et en totale capacité de prendre des décisions éclairées pour le bon usage des moyens alloués ». Il l’a reconnu, cette « technicité grandissante des mécanismes de gestion » ne doit pas faire oublier que « nous sommes avant tout des magistrats ». Il a expliqué qu’il serait toujours attentif à la question des moyens, indispensables au bon fonctionnement de la justice.
Il s’est interrogé sur la réforme de la justice pénale des mineurs « dont nous ne connaissons pas encore les contours exacts » ou encore sur les conséquences encore inconnues d’une décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier, sur l’activité des juges des libertés et de la détention, ou encore, sur la question du paiement des pensions alimentaires, dont l’intermédiation était réalisée dans l’ombre des greffes et désormais par la caisse d’allocations familiales. Autant de questions aujourd’hui sans réponse. « Les besoins doivent être mieux évalués par l’administration centrale », estime en substance le nouveau président.
Enfin, il souhaite moderniser sa juridiction. À ce titre « l’outil informatique et numérique doit être exploité dans toutes ses composantes de simplification, de facilitation des tâches répétitives et d’accès à la connaissance pour nous permettre de nous consacrer à la plus-value intellectuelle de l’acte de juger ». Mais le numérique n’est rien sans un travail collectif, voire collégial, afin de gagner en efficacité et d’agir en toute transparence vis-à-vis des justiciables.
Bertrand Menay a évoqué également l’élargissement du périmètre du juge, avec le développement de la médiation familiale ou de la conciliation.
Plein d’allant, il a conclu en assurant qu’il ne sera pas « un président enfermé dans sa juridiction, mais au contraire, ouvert sur la cité pour comprendre vos attentes ».
« Le métier de juger est difficile, c’est ce qui le rend exceptionnel et passionnant. Nous devons être inventifs et audacieux. Aidez-moi à l’être », a-t-il lancé à son auditoire, conférant une hauteur de vue incontestable à son discours.
Une juridiction avec des problèmes de « communautarisme »
La procureure, Maryvonne Caillebotte, a pu livrer une analyse de l’année 2020 pour le compte du ministère public. Afin de présenter la juridiction et ses spécificités au nouveau président, la procureure a rappelé un certain nombre de données. D’abord, la taille importante du ressort, avec 1,450 million d’habitants, un ressort au « caractère composite et contrasté, mi-urbain mi-rural, mêlant des zones très aisées à des cités difficiles, avec un réseau important de voies de communication traversantes ». Ces informations sont loin d’être anecdotiques et révèlent les spécificités d’un territoire « à la criminalité très violente limitée », mais aux prises avec des affrontements entre bandes régulières, « un ADN », précise Maryvonne Caillebotte, sans oublier l’importance des trafics de stupéfiants, puisque la juridiction est « 9e sur une très récente cartographie des points de deal », a-t-elle précisé.
Elle a ensuite souligné les problématiques du ressort, dont « un fort communautarisme dans plusieurs villes ou quartiers, qui prospère sur une base économique et sociale de fraudes, qu’il s’agisse de communautarisme politique, terroriste ou non terroriste ».
Pourtant, c’est bien sur le terreau terroriste qu’elle a insisté, en expliquant que « Bon nombre d’enquêtes du parquet national anti-terroriste de Paris aboutissent à des mises en cause de personnes originaires ou ayant des liens forts avec le département et certaines de nos communes ont été parmi les plus grandes pourvoyeuses de départs pour la Syrie ». Elle a ainsi rappelé l’assassinat des deux policiers à Magnanville en 2016, comme, plus récemment, celui de Samuel Paty, enseignant de Conflans-Saint-Honorine qui a horrifié la France. Elle note ensuite le déroulé d’une « nouvelle vague d’attentats sur le territoire traités par le parquet national anti-terroriste : notre département est le siège d’une série de faits en lien direct avec les attentats ». Et de détailler les procédures en cascade découlant de cet assassinat. « Au 26 octobre, 10 jours après les faits, le parquet de Versailles a été saisi de 19 dossiers en lien avec les attentats, qualifiables d’apologie, de violences, menaces, chantages, port d’arme. Au 16 novembre, un mois après les faits, 57 affaires ont été recensées, 69 dossiers étaient enregistrés, certains sont encore en cours. 11 mis en cause identifiés avaient moins de 15 ans et ne pensaient pas que diffuser la tête décapitée de Samuel Paty était grave » !
En dehors de ce focus sur les affaires liées au terrorisme, quelques chiffres généraux n’ont pas manqué d’interpeller Maryvonne Caillebotte. Sur les atteintes aux personnes, « En 2020, notre société a à peine été moins violente en nous faisant enregistrer 14 153 affaires, soit 6 % de baisse ». Sur les atteintes aux biens, « Le parquet a enregistré 21 035 affaires en 2019, contre 17 829, soit une baisse de 14, 24 % ». Des baisses qu’elle a jugées révélatrices de « l’état de notre société confinée puis sous couvre-feu ».
Au 31 décembre 2020, elle a comptabilisé 2 215 dossiers en attente d’audiencement, contre 273 à la même date en 2019, faisant de « 2020 une année cumularde en termes de freins », freins déjà soulignés par Gilles Croissant.
Malgré ce bémol, elle s’est satisfaite que son parquet « ait accentué le nombre de défèrements dans les affaires traitées de + 5 % », traduction d’une « réponse pénale plus rapide ».
Dernier constat : la pandémie et son cortège de lois, « législations exceptionnelles, instables, changeantes et changées au gré des recours », aura eu raison des objectifs de 2020, « qui devait être l’année de la mise en œuvre du bloc peines, issu de la loi de programmation de la justice. D’autres objectifs pointent le bout de leur nez pour 2021 : la réforme des mineurs et la mise en œuvre du Code de la justice pénale des mineurs et la transition numérique, en lien avec la PPN », points également évoqués par Gilles Croissant et Bertrand Menay. Des réformes qui sonnent comme des défis de taille, en espérant un retour à la normale pour 2021.