Assurance-vie et renonciation : deux grandes évolutions jurisprudentielles
La Cour de cassation vient de rendre deux arrêts importants en matière de renonciation à un contrat d’assurance-vie. La première chambre civile a considéré qu’un époux marié sous le régime de la communauté peut renoncer seul car cette opération s’assimile à un acte d’administration de la communauté. La deuxième chambre civile a quant à elle opéré un revirement de sa jurisprudence sur le caractère discrétionnaire du droit à renonciation en cas de défaut d’information : la renonciation peut dégénérer en abus selon sa finalité.
Par deux arrêts rendus au mois de mai, la Cour de cassation a fait bouger les lignes jusqu’alors existantes en matière de renonciation à un contrat d’assurance-vie.
I – Renoncer : un acte d’administration de la communauté
La Cour de cassation a tout d’abord jugé qu’un époux marié sous un régime de communauté peut valablement renoncer seul à un contrat d’assurance-vie souscrit avec son conjoint1. Dans cette affaire, en juillet 1997, deux époux avaient souscrit un contrat d’assurance-vie. En septembre 2009, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’époux avait informé l’assureur de sa volonté de renoncer au contrat. L’assureur avait refusé d’accéder à sa demande de renonciation et de restitution des sommes versées. La cour d’appel avait écarté la demande des époux tendant à faire constater qu’ils avaient renoncé au contrat d’assurance sur la vie litigieux, au motif que la faculté de renonciation prévue à l’article L. 132-5-1 du Code des assurances est un droit personnel du souscripteur qui ne peut être exercé par un mandataire qu’en vertu d’un mandat spécial. Or, l’époux avait, seul, fait part à l’assureur de sa volonté de renoncer au contrat. La cour d’appel en a déduit qu’il ne pouvait valablement renoncer à celui-ci au nom de son épouse en vertu des pouvoirs d’administration de la communauté. Sanction de la Cour de cassation : elle affirme que « la renonciation à un contrat d’assurance-vie constitue un acte d’administration et que, dans le régime de communauté auquel elle se référait, chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion ». Dès lors, selon la Cour de cassation, l’époux pouvait valablement renoncer seul au contrat d’assurance-vie, en son nom et en celui de son épouse.
Les Petites Affiches – La qualification de l’assurance-vie de bien commun est-elle juridiquement orthodoxe ?
Guillaume Hublot – Commençons par rappeler que le contrat d’assurance-vie forme un propre par nature, dont seule la valorisation est commune. Ici, deux raisons se heurtent à la qualification de bien commun retenue par la Cour. Tout d’abord, le contrat d’assurance n’est pas un bien, mais une relation juridique faisant naître un droit personnel à chaque souscripteur, dont la contrepartie est une valeur financière rachetable. La qualification de « bien » est donc erronée, quand bien même elle correspondrait à la réalité économique. Ensuite, la réunion de deux droits propres à chacun des époux ne saurait en faire un droit commun. Imaginons deux époux acquérant un appartement d’une valeur de 100 000 €, apportant chacun 50 000 € reçus en donation, et procédant aux formalités d’origine de fonds et d’emploi de fonds propres. Le bien ainsi acquis serait alors indivis entre les deux époux, et non commun.
LPA – À cet égard, comment s’analyse la co-souscription ?
G. H. – La co-souscription relève d’une figure juridique tontinière : chacun des souscripteurs est titulaire du contrat d’assurance sous la double condition résolutoire de sa survie et suspensive du décès de l’autre. Cette figure juridique particulière entraîne deux conséquences majeures : premièrement, le titulaire du droit ne peut être établi qu’au premier décès ; deuxièmement, cette titularité est rétroactive au jour de la souscription. La tontine, comme la co-souscription commande donc impérativement l’accord de tous, sans quoi la décision pourrait avoir été prise par une personne n’en ayant jamais eu le droit, le premier mourant étant réputé n’avoir jamais eu de droit sur la chose. Peu importe ici qu’il s’agisse d’un acte d’administration ou de disposition ! Cependant, le précédent arrêt rendu par cette même chambre en matière de co-souscription2 niait purement et simplement le jeu conditionnel décrit ci-dessus, sans pour autant donner une quelconque explication juridique à ce qu’était la co-souscription.
LPA – Quelle incidence de considérer la renonciation comme un acte d’administration ?
G. H. – Cette qualification, alors même que plus de dix ans se sont écoulés, me semble relever d’une méconnaissance, ou une négation, des caractéristiques actuelles de l’outil financier. Aussi me semble-t-il utile de rappeler que l’assurance-vie est une enveloppe financière, un placement dont les montants sont parfois plus importants que ceux des biens immobiliers, que ce placement crée des droits au profit de bénéficiaires en cas de décès, et qu’enfin un dispositif fiscal lui est accordé en fonction de sa date de souscription. Le temps passé entre la souscription et la renonciation devrait avoir ici son importance. En effet, si la renonciation à un engagement non encore devenu définitif pourrait peut-être relever de l’administration, il ne saurait en aller de même au sujet de la résolution de droits constitués depuis plus de dix ans. L’imaginer – sous prétexte sans doute que la contrepartie financière est remise au renonçant – me semble aussi improbable que de ranger la cession d’un immeuble sous la même catégorie !
LPA – Ni droit indivis, ni bien commun, de quoi s’agit-il ?
G. H. – En résumé, de notre point de vue, premièrement il ne saurait s’agir d’un bien commun, pas plus que d’un bien indivis, mais d’un droit dont la titularité, forcément propre à l’un des deux époux, n’est pas encore déterminée ; deuxièmement, il ne saurait s’agir d’un simple acte d’administration, ne serait-ce qu’au vu de l’ensemble des droits constitués, dont certains dépendent de la date de souscription.
VI – La renonciation peut être abusive au regard de sa finalité
Dans un arrêt du 19 mai 20163, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence relative à la renonciation abusive à un contrat d’assurance-vie. Désormais, elle prend en compte la finalité de la demande de renonciation pour analyser le caractère abusif ou non de la renonciation. Dans cette affaire, un couple avait souscrit en juin 2008, auprès d’une compagnie de droit luxembourgeois, un contrat d’assurance sur la vie libellé en unités de compte sur lequel il avait investi un même capital initial de 1 503 057, 25 € avant de procéder en mars 2009 à un rachat partiel d’un montant de 344 500 € chacun. Estimant ne pas avoir reçu une information précontractuelle conforme aux exigences légales, les souscripteurs ont exercé leur faculté de renonciation. En vertu de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances, tout souscripteur peut renoncer à son contrat d’assurance-vie pendant un délai de trente jours calendaires après avoir été informé de la conclusion du contrat. Ce délai peut être prorogé si l’assureur ne remet pas les documents et d’informations sur le contrat et il dure tant que les informations n’ont pas été données au souscripteur (C. assur., art. L. 132-5-2). Ce texte conduit à donner le droit au souscripteur d’annuler son contrat à tout moment. L’assureur n’ayant pas donné suite à cette demande, ils l’ont assigné en restitution de la somme de 1 158 557,25 € augmentée des intérêts majorés. La cour d’appel de Paris avait sanctionné le refus de rembourser, et condamné l’assureur à payer la somme de 1 158 557 €, augmentée des intérêts majorés. Son motif : « la faculté de renonciation prévue par le Code des assurances est un droit discrétionnaire pour l’assuré dont la bonne foi n’est pas requise, qu’il soit averti ou profane et ne peut donc dégénérer en abus ». Pour la Cour de cassation au contraire, cette faculté prorogée de renonciation qui a un caractère discrétionnaire peut dégénérer en abus de droit. Ce faisant, la Cour de cassation opère un véritable revirement de jurisprudence, car depuis 2006, elle n’opérait pas de distinction entre la bonne ou la mauvaise foi du souscripteur. En l’espèce, le souscripteur qui se réclamait de son droit à renonciation était directeur financier d’un fonds d’investissement et les marchés financiers étaient en pleine chute…
LPA – Comment accueillez-vous ce revirement de jurisprudence ?
G. H. – Cet arrêt s’inscrit dans une vision diamétralement opposée de l’arrêt du 11 mai rendu par la première chambre civile (v. supra). Alors que celle-ci semble tendre à banaliser au maximum le contrat d’assurance-vie, la deuxième chambre lui redonne sa place économique, opérant par ailleurs un revirement de jurisprudence. Depuis dix ans, en matière de renonciation, la justice se contentait de constater que la formalité de l’information nécessaire du client à ouvrir son droit à renonciation n’avait pas été respectée, pour lui permettre d’exercer ce droit, en dépit de tout acte d’administration que les souscripteurs auraient accomplis sur ledit contrat. Il suffisait qu’un contrat géré de manière dynamique subisse des pertes, pour que le souscripteur exerce son droit de renonciation, condamnant l’assureur à lui restituer l’intégralité des capitaux placés, et ainsi à supporter lui-même les pertes subies par son client. Cette position décriée par la pratique est enfin abandonnée, la deuxième chambre commandant de rechercher si une mauvaise foi éventuelle du souscripteur dans l’exercice de cette renonciation ne la rendrait pas abusive. La Cour décide ici de rompre avec l’automatisation des conséquences de l’irrespect des formes. Ce faisant, au travers de l’abus de droit, elle fait réémerger le nécessaire principe d’exécution de bonne foi des obligations contractuelles.
LPA – Comment s’articulent ces deux grandes évolutions décidées par deux chambres civiles de la Cour de cassation ?
G. H. – L’arrêt du 19 mai dernier limitant le caractère discrétionnaire du droit à la prorogation de la renonciation s’inscrit ainsi dans un courant diamétralement opposé à celui rendu quelques jours plus tôt par la première chambre de différentes manières. Là où la première chambre considère le droit de renonciation comme définitivement acquis aux souscripteurs, la deuxième chambre le conditionne à la bonne foi des souscripteurs. Là où la première chambre banalise la renonciation, la deuxième chambre, en fait une question importante. Alors que la première position tend à rendre le contrat d’assurance anodin, allant même jusqu’à en méconnaître les fondements et caractéristiques tant économiques que juridiques, la deuxième chambre rappelle l’importance patrimoniale et les spécificités des enjeux en présence. En 2008, les deux chambres s’étaient déjà opposées vivement au sujet de l’assurance-vie, sur le caractère unitaire ou divisible de la stipulation pour autrui, prenant des positions radicalement différentes, la seconde chambre rompant avec les analyses précédentes. D’une passe d’arme à l’autre, il semblerait ainsi que les deux chambres mènent une véritable guerre au sujet de l’assurance-vie, au détriment de la sécurité juridique.