Assurance-vie luxembourgeoise : la Cour de cassation valide le paiement des primes par apport de titres

Publié le 28/07/2016

Pour échapper aux pertes liées à ses investissements Madoff, le souscripteur d’une assurance-vie luxembourgeoise réclamait l’annulation de son contrat dont il avait payé les primes par apport de titres. La Cour de cassation a reconnu que ce mode de souscription était conforme aux règles communautaires, sans pourtant reconnaître ce mode de souscription dans le cadre de contrats distribués par des compagnies françaises.

La Cour de cassation vient de valider la possibilité de souscrire, auprès d’une compagnie d’assurance luxembourgeoise, un contrat d’assurance-vie en payant les primes par apport de titres1.

Pertes financières Madoff en jeu

Dans cette affaire, Monsieur X avait souscrit un contrat d’assurance-vie à fonds dédié auprès de la compagnie de droit luxembourgeois Natexis Life. La prime devait être versée sous forme d’apport de titres. À cette fin, Monsieur X avait ouvert en novembre 2005 un compte titres dans les livres de la société de droit luxembourgeois Natixis Bank et donné instruction à cette dernière en mars 2006 de souscrire des parts du fonds Groupement financier, un OPCVM de droit des Îles Vierges Britanniques, et de transférer ces titres sur son contrat d’assurance. La société Natixis Bank avait procédé à cette souscription le 31 mars 2006. À la suite de quoi, la société Natixis Life avait adressé à Monsieur X un exemplaire de son contrat ainsi qu’un relevé de situation du capital investi : les actifs du fonds avaient été intégralement investis auprès de la société Bernard Madoff investment securities (la société BMIS), dont la faillite a entraîné une importante perte financière pour le souscripteur. Il a alors assigné les sociétés Natixis Life et Natixis Bank en annulation du contrat d’assurance-vie et de l’ordre d’achat des parts du fonds Groupement financier et en paiement de dommages-intérêts.

Le contrat n’est pas nul

Le 18 décembre 2014, la cour d’appel de Versailles avait débouté Monsieur X de sa demande d’annulation du contrat d’assurance-vie et de l’ordre d’achat des parts du fonds groupement financier. Le souscripteur avait fait notamment valoir que le droit français qui porte sur des actifs dédiés fermés qui permet au souscripteur de payer ses primes par un apport de titres devait être déclaré nul comme contraire à l’ordre public. La cour d’appel avait énoncé qu’aucune disposition légale ne prohibe le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie par apport de titres.

La Cour de cassation a suivi le raisonnement de la cour d’appel. Elle rappelle que le droit français n’envisage le versement des primes d’assurance qu’en numéraire. Mais précise qu’« aucune disposition légale d’intérêt général ne prohibe la distribution en France par un assureur luxembourgeois de contrats d’assurance sur la vie qui sont régis par la loi française mais dont les caractéristiques techniques et financières relèvent du droit luxembourgeois conformément à l’article 10-2 de la directive 2002/83/CE du 8 novembre 20022 et permettent l’apport de titres sur des fonds dédiés fermés ».

Les règles applicables à l’affaire

Selon l’article 32 de la directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil en date du 5 novembre 2002, « la loi applicable aux contrats relatifs aux activités visées par la présente directive est la loi de l’État membre de l’engagement. Toutefois, lorsque le droit de cet État le permet, les parties peuvent choisir la loi d’un autre pays. Lorsque le preneur est une personne physique et a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dont il est ressortissant, les parties peuvent choisir la loi de l’État membre dont il est ressortissant ». « Cette règle ne fait pas obstacle à ce que le preneur souscrive un contrat auprès d’une entreprise d’assurance agréée d’un autre État membre qui respectera les règles techniques et financières prescrite par son État d’origine, précise Sandrine Quilici, directrice de l’ingénierie patrimoniale, Banque Pictet. Seule limite : le contrat ne doit pas être en opposition avec les dispositions légales d’intérêt général en vigueur dans l’État de résidence du preneur d’assurance ». En l’espèce, le droit luxembourgeois permet la souscription par apport de titres.

C’est à la lumière de ce dernier point que doit être mesurée la portée de la décision de la Cour de cassation. « La haute juridiction ne valide expressément que l’opération réalisée avec une compagnie d’assurance luxembourgeoise, relève Sandrine Quilici. En d’autres termes, elle ne statue pas sur le point de savoir si une telle souscription est valable pour des contrats distribués par les compagnies françaises ».

Le triple intérêt de la remise de titres

Pourtant, l’intérêt du paiement de la prime par remise de titres est réel. Il présente au moins trois opportunités. Selon Sandrine Quilici, « il permet tout d’abord de “transférer” un portefeuille titres déjà existant au sein d’un contrat d’assurance-vie sans avoir à le liquider préalablement pour s’acquitter des primes. Ainsi, on évite au souscripteur de prendre le risque de supporter des frais supplémentaires liés à l’opération de cession suivi de celle de rachat des mêmes valeurs via le contrat d’assurance-vie. Deuxième intérêt : ce mode de versement des primes permet au souscripteur de rester investi et ainsi d’éviter tout risque de marché que pourrait engendrer l’opération de cession/rachat, poursuit-elle. Enfin, cette modalité de souscription est particulièrement bienvenue lorsque le souscripteur souhaite transférer dans son contrat des actifs à liquidité réduite qu’il détient à titre personnel ou encore des parts de fonds fermés qu’il ne sera plus possible de souscrire une fois cédées ».

À côté de ces aspects pratiques et patrimoniaux, le paiement des primes par versement de titres ne doit pas faire perdre de vue la conséquence fiscale suivante : « cette opération, en ce qu’elle opère un véritable transfert de propriété au profit de la compagnie d’assurance-vie, est un fait générateur d’impôt de plus-value », rappelle Sandrine Quilici.

Du point de vue fiscal notamment, la question est enfin sécurisée. Dans le cadre d’une audition sur l’assurance-vie devant la commission des finances du Sénat le 6 mai 2015, Sandrine Lemery, première secrétaire générale adjointe de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) avait considéré que « le droit du contrat français s’applique aux contrats vendus en France à des résidents français (…). Notre interprétation, qui doit être confirmée par la Cour de cassation, est que l’apport de titres n’est pas possible en droit français. Nous en tirons donc, dans les contrôles qui relèvent de notre juridiction, les conséquences prudentielles en matière fiscale ou en termes de sommes dues aux entreprises ».

Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal à la Direction générale des finances publiques (DGFiP), avait présenté la position de l’Administration : « S’il était reconnu qu’il est impossible, au regard du droit français, d’apporter des titres dans un contrat d’assurance-vie, je pense que l’administration fiscale aurait la même attitude que celle qu’elle a eue lorsque nous avons été confrontés, dans les années 2000, aux fidéicommis du droit anglo-saxon, les trusts. Nous écarterions donc le contrat, peut-être même sans avoir recours à l’abus de droit, pour constater la réalité des faits. Dans le cas d’une transmission par décès, nous considérerions que les titres n’ont pu être transmis par voie de contrat, mais par legs ; dans ce cas, la transmission ne bénéficierait pas d’un régime favorable ».

La loi Macron a autorisé la remise des titres lors du rachat

La question avait été posée lors de l’examen du projet de loi Macron d’autoriser la souscription par remise de titres. Possibilité écartée. En revanche, la loi Macron3 a accordé au titulaire d’une assurance-vie la possibilité d’obtenir, lors du rachat, la remise des titres ou des parts non négociés sur un marché réglementé (y compris les fonds communs de placement à risque, qu’il possédait dans le cadre du contrat au lieu du capital (C. assur., art. L. 131-1, 1°) prévoyant déjà cette possibilité pour les titres ou parts négociés sur un marché réglementé. À noter toutefois que cette possibilité est réservée aux titres sans droit de vote et à la condition que le contractant, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants ou leurs frères et sœurs n’aient pas détenu, directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l’assureur.

Attractivité des contrats luxembourgeois

La conformité aux règles prudentielles françaises de la souscription par apport de titres dans le cadre de contrat d’assurance-vie luxembourgeois est désormais affirmée par la plus haute juridiction française. Outre cet intérêt confirmé, les contrats d’assurance-vie luxembourgeois présentent d’autres atouts. Ils peuvent accueillir un très large éventail d’actifs (hedge funds, titres détenus en direct), et les investissements peuvent être libellés en devises (en général euro, dollar, livre sterling et franc suisse). Surtout, le mode de gestion y est plus personnalisé : discrétionnaire, familiale, multi-gérance. Enfin, les souscripteurs bénéficient d’un super privilège, qui les fait passer avant l’État en cas de défaillance de la compagnie.

Selon Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, ces contrats représentent environ 38 milliards d’euros d’encours pour les résidents Français. Le Luxembourg a vu le montant des primes toutes provenances confondues, s’accroître de 20,87 % en 2014. Leur attractivité s’est vue améliorée depuis le 1er mai 2015, date à laquelle les contrats de fonds dédiés ne sont plus soumis à l’obligation de prime minimale de 250 000 euros.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-13606.
  • 2.
    Dir. [PE] [Cons. UE] n° 2002/83/CE, 5 nov. 2002, concernant l’assurance directe sur la vie : JOUE 345, 19 déc. 2002, p. 1.
  • 3.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : JO n° 0181, 7 août 2015, p. 13537, texte 1.
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