Avoirs : le Conseil constitutionnel limite le droit répressif de l’Administration
À travers deux récentes QPC, le Conseil constitutionnel poursuit son contrôle des mécanismes répressifs relatifs à la déclaration et la régularisation d’avoirs à l’étranger. L’amende proportionnelle pour non-déclaration de trusts à l’étranger a été déclarée inconstitutionnelle et la régularisation de comptes étrangers via des structures interposées doit se limiter aux droits calculés à partir des revenus réellement appréhendés.
Le Conseil constitutionnel vient de rendre deux décisions importantes en matière de régularisation des avoirs à l’étranger : les sanctions applicables à la non-déclaration des trusts et l’assiette des pénalités en cas d’interposition de structure offshore par application de l’article 123 bis du Code général des impôts (CGI).
L’amende pour non-déclaration de trust étranger
Répondant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel vient de juger inconstitutionnelle l’amende proportionnelle pour défaut de déclaration des trusts constitués à l’étranger1.
L’article 1649 AB du CGI fait peser sur l’administrateur d’un trust tel que défini à l’article 792-0 bis du CGI, et dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé, ou encore, s’il est lui-même domicilié en France, l’obligation de déclarer la constitution, la modification ou l’extinction de ce trust, ainsi que le contenu de ses termes, dans le mois suivant l’événement. Il a également l’obligation de déclarer la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits relevant du champ du prélèvement de l’article 990 J du CGI.
Jusqu’à la loi de finances rectificative pour 2016, le régime de sanction pour non-déclaration était le suivant.
Pour les déclarations qui devaient être souscrites avant le 8 décembre 2013, le montant de l’amende était égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, sans pouvoir être inférieur à 10 000 €. Pour les déclarations qui devaient être souscrites après le 8 décembre 2013, le montant de l’amende était fixé à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, sans pouvoir être inférieur à 20 000 €. Cette sanction s’appliquait à chaque manquement déclaratif, même en l’absence de soustraction à l’impôt.
L’abrogation partielle
Le 26 décembre 2016, le Conseil d’État2 a transmis une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l’article 1736 IV bis du CGI dans ses rédactions, d’une part, issue de la loi de finances rectificative pour 20113 et, d’autre part, résultant de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière de 20134. Était soumis au Conseil, le point de savoir si ces dispositions contredisaient le principe de proportionnalité des peines et, en ce qui concerne l’amende forfaitaire, l’individualisation des peines garanties par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
La question n’est pas sans rappeler celles de la QPC n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, qui a invalidé l’amende de 5 % sanctionnant l’absence de déclaration des comptes bancaires étrangers. Le Conseil constitutionnel a donc fait application de sa jurisprudence relative aux manquements à de simples obligations déclaratives. Au cas particulier, il a considéré qu’en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n’ont pas été soustraits à l’impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer.
Par conséquent, il a jugé contraires à la Constitution les dispositions contestées en ce qu’elles prévoient, selon la version des dispositions contestées, des amendes de 5 et 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés au motif que le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer. L’abrogation s’applique à compter du 17 mars 2017, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée dans les instances jugées définitivement à cette date ni fonder la remise en cause des transactions devenues définitives.
L’option retenue par les Sages de ne faire jouer sa décision que pour l’avenir n’a pas donné satisfaction aux revendications du demandeur qui souhaitait que le Conseil constitutionnel étende son annulation aux transactions déjà signées.
En revanche, il a jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées en ce qu’elles fixent des amendes forfaitaires pouvant atteindre, selon la version des dispositions contestées, 10 000 ou 20 000 € et qui punissent chaque manquement au respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts. Cette amende sanctionne le non-respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts, portant sur des informations substantielles et poursuivant l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. « L’amende de 10 000 puis 20 000 € sanctionne de la même manière des manquements qui peuvent aller du plus malin – ne rien déclarer du tout – au plus bénin : oublier de déclarer un seul actif français, comme par exemple, une action dans une société française d’une valeur de 10 € noyée dans un actif trustal de plusieurs millions d’euros », relevait le cabinet d’avocats Bornhauser, auteur de la QPC, dans ses conclusions orales.
Le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité au regard de la gravité des faits que cette amende est destinée à sanctionner et des difficultés propres à l’identification de la détention d’avoirs, en France ou à l’étranger, par l’intermédiaire d’un trust.
Le régime applicable depuis le 1er janvier 2017
La loi de finances rectificative pour 20165 a réformé le dispositif de sanction tel qu’il a fait l’objet de la QPC, abrogeant l’amende proportionnelle. Elle institue une majoration de 80 % des impôts effectivement rappelés et non plus liée à la seule carence déclarative (CGI, art. 1729-0 A). Cette réforme aurait pu rendre caduque la QPC car en vertu de « l’application de la rétroactivité in mitius, autrement dénommée application immédiate de la loi pénale plus douce, l’amende proportionnelle avait été de facto abrogée », remarque le cabinet d’avocats Bornhauser. « Ce n’était toutefois pas la position du STDR (Service de traitement des déclarations rectificatives) qui continuait imperturbablement à appliquer cette amende dans les propositions de transaction adressées aux contribuables repentis ».
L’article 123 bis du CGI et le revenu plancher
Le 1er mars, le Conseil constitutionnel a rendu une autre QPC dans le domaine de la régularisation des comptes à l’étranger par l’intermédiaire de structures interposées6.
Le contribuable qui s’engage dans une procédure de régularisation d’une structure offshore doit réintégrer les revenus tirés de cette société dans ses déclarations de revenus. Or l’Administration ne retient pas le montant réel des revenus mais fait application des dispositions de l’article 123 bis du CGI. Pour mémoire, ce texte prévoit que toute personne physique domiciliée en France qui détient, directement ou indirectement, 10 % au moins de droits financiers ou droits de vote dans une entité financière établie hors de France est imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers à raison de ces participations, lorsque cette structure est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI.
Selon le cabinet Nataf & Planchat, auteur de la QPC, l’Administration « calcule les impositions dues en déterminant un revenu plancher par application au montant des actifs, d’un taux qui varie, entre 2,025 % et 6,21 % selon les années à régulariser. Ce revenu plancher est alors retenu quelle que soit l’ampleur de l’écart pouvant exister avec le revenu réel tiré du compte bancaire en cause ».
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État en décembre dernier7, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 123 bis sont en partie contraires à la Constitution en ce qu’elles instituent deux présomptions irréfragables de fraude fiscale. Elles n’autorisent en effet pas le contribuable à prouver que l’interposition d’une entité juridique établie hors d’un État membre de l’Union européenne n’a pas pour objet, dans un but de fraude fiscale, l’appréhension de bénéfices dans un État soumis à un régime fiscal privilégié. Cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter du 3 mars 2017, date de publication de la décision.
En revanche, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions qui prévoient, s’agissant d’un État non coopératif ou n’ayant pas conclu de convention administrative avec la France, une valeur plancher au revenu imposable, calculée forfaitairement en fonction de l’actif net de l’entité.
Une réserve a toutefois été émise : le contribuable doit pouvoir substituer au revenu plancher prévu par le texte le revenu réel du compte détenu par l’intermédiaire d’une structure interposée. Cette décision est applicable aux dossiers en cours d’examen par le STDR. « L’Administration devra retenir, pour les comptes bancaires détenus par une structure interposée, le revenu réel ressortant des documents bancaires transmis par le contribuable, indique le cabinet. Quant aux dossiers ayant fait l’objet d’une transaction, les deux décisions du Conseil constitutionnel précitées laissent ouverte la possibilité de faire réexaminer le montant des sommes versées ».
Notes de bas de pages
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1.
Cons. const., 16 mars 2017, n° 2016-618 QPC.
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2.
CE, 23 déc. 2016, n° 405025.
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3.
L. fin. rect. 2011 n° 2011-900, 29 juill. 2011 : JO, 30 juill. 2011, p. 12969, n° 0175.
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4.
L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière : JO, 7 déc. 2013, p. 19941, n° 0284.
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5.
L. fin. rect. 2016 n° 2016-1918, 29 déc. 2016 : JO, 30 déc. 2016, n° 0303.
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6.
Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC.
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7.
CE, 15 déc. 2016, n° 404270.