La résidence fiscale conditionnée à une imposition effective
Une exonération de l’impôt sur les bénéfices ne permet pas à une société de se prévaloir de la convention fiscale applicable dans la mesure où l’entité concernée ne peut pas, dans ces conditions, être regardée comme un résident au sens de cette convention.
La cour administrative d’appel de Versailles confirme1, sur renvoi du Conseil d’État2, que la qualification de résident fiscal ne peut s’appliquer à un contribuable qui n’est soumis à l’impôt dans aucun des États parties à la convention fiscale en cause.
Une application de la jurisprudence du Conseil d’État
Cette décision est dans la lignée des arrêts Santander Pensiones SA EGFP et Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk (LHV)3, qui ont permis au Conseil d’État de préciser de façon inédite que la notion de résident d’un État contractant au sens des conventions fiscales internationales, qui se définit comme tout assujetti à l’impôt dans un État partie à une convention, ne peut s’appliquer à des contribuables qui ne sont pas soumis à l’impôt à raison de leur nature ou de leur activité, conformément à l’objectif principal des traités fiscaux internationaux qui visent à éviter les doubles impositions. Le Conseil d’État s’inspire des stipulations de la convention de Vienne sur les traités pour préciser dans un considérant de principe que les stipulations conventionnelles « doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but ». Ces arrêts se situent dans la suite logique de la jurisprudence du Conseil d’État4 qui, sans les viser expressément, avait repris les stipulations de la convention de Vienne sur les traités, convention à laquelle la France n’est d’ailleurs pas partie. L’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités et relatif à la règle générale d’interprétation précise qu’« un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Dans cet arrêt, le Conseil d’État a précisé que la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité ne s’applique pas aux contribuables français résidant à Monaco. Si les Français résidant à Monaco sont assujettis à l’impôt sur le revenu en France, ils ne sont pas assujettis aux taxes assimilées à cet impôt, la convention franco-monégasque5 faisant mention du seul impôt sur le revenu, et non des taxes assimilées. Pour le Conseil d’État, les stipulations de l’article 7 de la convention fiscale franco-monégasque « doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but ». La mention du seul impôt sur le revenu qu’elles visent, auquel sont assujettis en France dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France, les personnes de nationalité française qui soit ont transféré à Monaco leur domicile ou leur résidence après le 13 octobre 1962, soit l’ont fait auparavant mais sans pouvoir justifier, à cette même date, de cinq ans de résidence habituelle à Monaco, exclut du champ de cette convention toute autre imposition distincte de cet impôt. La taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité, qui a la nature d’une imposition distincte de l’impôt sur le revenu, au sens de l’article 7 de la convention, en raison de son assiette, de son taux et de ses modalités de recouvrement, alors même que le contribuable peut choisir de ne pas supporter cette taxe et d’exercer l’option pour le régime de droit commun d’imposition des plus-values est donc exclue du champ d’application de cette convention.
Application de la convention fiscale France/Liban
En l’espèce, la société Staff and Line, devenue Easy Vista, a versé à la société de droit libanais Roxana des rémunérations en contrepartie de prestations de service effectuées au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008. Cette société a été assujettie, sur la base de ces rémunérations, à la retenue à la source prévue à l’article 182 B du Code général des impôts (CGI). Sa réclamation n’ayant pas abouti, la société a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008. Le 12 avril 2012, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande6. Le 6 mars 2015, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par l’administration fiscale contre ce jugement7. Après avoir jugé fondée l’application des dispositions de l’article 182 B du CGI, s’agissant de rémunérations versées en contrepartie de prestations utilisées en France fournies par une société non résidente dépourvue d’installation professionnelle permanente en France, les juges du fond ont néanmoins prononcé la décharge des impositions litigieuses en se fondant sur les stipulations de la convention signée le 24 juillet 1962 entre la France et le Liban tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et d’impôts sur les successions. L’administration fiscale s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cet arrêt. Le 20 mai 2016, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles et a renvoyé l’affaire devant la cour.
La position du Conseil d’État
La cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que la société Roxana devait être regardée, au sens de l’article 2 de la convention fiscale entre la France et le Liban, comme résidente de ce dernier État et que les stipulations de l’article 10 de cette convention faisaient obstacle à l’application de la retenue à la source sur les rémunérations versées à cette société. Pour le Conseil d’État, il résulte de l’article 2 de la convention fiscale entre la France et le Liban, dont l’objet est d’éviter les doubles impositions, que les personnes qui ne sont pas soumises à l’impôt en cause par la loi de l’État concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. Si les stipulations des articles 10 et 26 de la même convention font obstacle à l’imposition de revenus soumis à l’imposition exclusive d’un État contractant par l’autre État contractant, même par voie de retenue à la source, elles ne trouvent application que pour autant que les revenus en cause sont soumis à l’impôt par le premier État. En l’espèce, la cour administrative d’appel, pour qui la société doit être regardée, au sens de l’article 2 de cette convention, comme résidente du Liban, commet une erreur de droit en jugeant que les stipulations de l’article 10 de cette convention faisaient obstacle à l’application de la retenue à la source en France sur les rémunérations versées à cette société, alors qu’elle avait relevé que la société était, en vertu des dispositions de la loi libanaise relative aux sociétés offshore, exonérée de l’imposition de droit commun de ses bénéfices au Liban et qu’elle n’était soumise par la loi de cet État qu’à une imposition annuelle forfaitaire d’un montant modique, sans rechercher si cette imposition forfaitaire était de nature identique ou analogue aux impositions auxquelles la convention s’applique et si, par suite, la société pouvait être regardée comme résidente du Liban au sens de la convention et si les stipulations de la convention pouvaient être invoquées par la société française.
Un impôt forfaitaire annuel
Les stipulations de l’article 2 de la convention fiscale entre la France et le Liban doivent être interprétées conformément au sens à attribuer à leurs termes, dans le contexte et à la lumière de leur objet et de leur but. Pour faire droit aux conclusions de la société intimée tendant à la décharge des retenues à la source ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006, 2007 et 2008, le tribunal administratif de Montreuil, se fondant sur les articles 2 et 10 de la convention fiscale conclue entre la France et le Liban, a estimé, d’une part, que les sommes versées par cette société à la société Roxana, faisaient partie des bénéfices d’une entreprise à laquelle s’applique l’article 10 de la convention franco-libanaise et que, dans ces conditions, l’intimée était fondée à soutenir que les sommes en litige ne pouvaient pas se voir appliquer de retenue à la source. D’autre part, les premiers juges ont également estimé que la société Roxana, qui avait son siège au Liban, qui était inscrite sur la liste des contribuables soumis à l’impôt sur le revenu à Beyrouth et qui avait déposé au Liban ses déclarations de résultats au titre des exercices 2006 et 2007, devait être regardée comme assujettie à l’impôt au Liban au sens des stipulations de l’article 2 de la convention précitée, alors même qu’elle serait exonérée d’impôt sur ses résultats en application de la législation libanaise, et avait donc la qualité de résident fiscal dans ce pays.
Or il résulte de l’instruction que les sociétés libanaises offshore, dont fait partie la société Roxana, sont des sociétés anonymes inscrites au registre du commerce libanais, et qu’en vertu du décret-loi n° 46 du 24 juin 1983 relatif aux sociétés offshore, dans sa rédaction alors en vigueur, elles sont exemptées d’un grand nombre d’impôts, particulièrement l’impôt sur les bénéfices de droit commun, mais acquittent en contrepartie une imposition forfaitaire annuelle de l’ordre d’un million de livres libanaises, équivalent à quelques centaines d’euros. La taxation forfaitaire annuelle acquittée par les sociétés offshore libanaises ne figure pas dans la liste des cinq impôts du B de l’article 8 de la convention franco-libanaise. Au surplus, la taxation spéciale forfaitaire, qui doit être acquittée par les sociétés offshore au titre de chaque année d’exercice, bénéficiaire ou non, n’est pas assise sur les bénéfices et partant, n’est ni identique, ni analogue à l’impôt mentionné au 3° du 2 de cet article 8, à savoir l’impôt sur les bénéfices des professions industrielles, commerciales et non commerciales. Ainsi la société offshore libanaise Roxana doit être regardée comme étant structurellement exonérée des impôts visés par la convention franco-libanaise, sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’elle paye un impôt forfaitaire annuel.
La société Staff and Line devenue société Easy Vista ne peut contester la retenue à la source prélevée sur les revenus versés à la société libanaise Roxana en invoquant la convention fiscale signée entre la France et le Liban dès lors que cette convention – eu égard tant à son objet d’élimination des doubles impositions qu’à ses termes – n’est pas applicable lorsque le bénéficiaire des revenus de source française est exonéré d’impôt dans son État de résidence et que la société Roxana, eu égard à l’exonération d’impôt dont elle bénéficie en raison de statut de société offshore, ne peut être regardée comme résidente libanaise. La société requérante avançait également comme argument que la convention franco-libanaise ne comporte pas de stipulation expresse restreignant son champ d’application aux seuls résidents des États contractant et qu’ainsi cette convention est susceptible de s’appliquer aux sociétés offshores libanaises. Cet argument est balayé par la cour administrative d’appel de Versailles, pour qui il est constant que ni l’article 1er de cette convention ni aucune autre de ses stipulations, ne mentionne expressément qu’elle inclurait les sociétés offshores et que, par suite, celles-ci ne peuvent pas être regardées, de par leur seul statut juridique, comme appartenant à son champ d’application sans qu’il y ait lieu de prendre en compte leur régime d’imposition. La société intimée n’a donc pas la qualité de résidente fiscale du Liban au sens de cette convention et ne peut donc en revendiquer le bénéfice. Le ministre de l’Économie et des Finances est donc fondé à demander l’annulation du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif l’a déchargée, pour ce motif, des impositions litigieuses.
Il résulte des dispositions de l’article 182 B du CGI, que les sommes payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes morales qui n’ont pas dans ce pays d’installations professionnelles permanentes, donnent lieu à retenue à la source lorsque ces personnes morales relèvent de l’impôt sur les sociétés, sans qu’il y ait lieu de rechercher si elles y ont été effectivement soumises. Aux termes de l’article 209 du CGI, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. La société Staff and Line, qui exerce une activité en France, a versé à la société libanaise Roxana, dépourvue de toute installation professionnelle permanente en France, des montants de 288 000 €, 429 706 € et 421 878 € au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008, respectivement, en paiement de prestations informatiques fournies par cette société libanaise, à savoir le développement du logiciel EasyVista, exploité par la société Staff and Line, et des tests pour la correction d’erreurs à la suite des demandes de clients de cette société, qui correspondent à des prestations de toute nature utilisées en France. La société Roxana, inscrite au registre du commerce du Liban sous la forme de société anonyme et, percevant des rémunérations en contrepartie de prestations de service à caractère informatique, relève en conséquence de l’impôt sur les sociétés. Ainsi les sommes versées en rémunération de ses services par la société Staff and Line sont passibles de la retenue à la source prévue à l’article 182 B du CGI, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la société Roxana n’exploitait aucune entreprise en France au sens du I. de l’article 209 du CGI et qu’elle n’a pas effectivement été soumise à l’impôt sur les sociétés en France. Dans ces conditions, c’est également à tort que la société requérante soutient que la retenue à la source de l’article 182 B du CGI ne constituerait qu’un paiement provisoire d’un impôt sur les sociétés futur. En deuxième lieu, que la société requérante ne saurait invoquer utilement une atteinte à la liberté de prestations de service, seule applicable en l’espèce, s’agissant de rémunérer des prestations d’assistance informatique, dès lors que la société Roxana n’est pas établie dans un État membre de l’Union européenne mais dans un État tiers. En outre, le moyen tiré de ce que, si la retenue à la source était de nouveau mise à sa charge, il y aurait double imposition dans la mesure où la société Roxana est déjà imposée au Liban, est sans incidence sur l’application de la législation française dès lors qu’ainsi qu’il a été mentionné ci-dessus, la convention bilatérale tendant à éliminer les doubles impositions ne trouve pas à s’appliquer fen l’espèce. Enfin, que la société Easy Vista n’est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF, de la documentation administrative de base référencée 5 B-7111 mise à jour au 1er août 2001, qui ne comporte pas une interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont il lui a été fait application. Le ministre de l’Économie et des Finances est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société Easy Vista. Le jugement du 12 avril 2012 du tribunal administratif de Montreuil est annulé. Les retenues à la source et les pénalités correspondantes auxquelles la société a été assujettie au titre des années 2006, 2007 et 2008, sont remises à sa charge.
Notes de bas de pages
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1.
CAA Versailles, 3e ch., 29 nov. 2016, n° 16VE01537.
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2.
CE, 20 mai 2016, n° 389994.
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3.
CE, 9 nov. 2015, n° 371132, Santander Pensiones SA EGFP ; CE, 9 nov. 2015, n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk (LHV).
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4.
CE, 6 mai 2015, n° 378534.
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5.
Convention fiscale conclue le 18 mai 1963 entre la République française et la Principauté de Monaco.
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6.
TA Montreuil, 12 avr. 2012, n° 1009039.
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7.
CAA Versailles, 5 mars 2015, n° 12VE02108.