Perception de pensions de retraite et résidence fiscale

Publié le 24/07/2017

Un contribuable vivant à l’étranger mais percevant une retraite de source française peut-il être considéré comme résident fiscal de France. La position de la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Comment déterminer le domicile fiscal des contribuables français qui ont pris leur retraite à l’étranger ? Avec l’augmentation du nombre de résidents qui choisissent de s’expatrier après avoir achevé leur vie professionnelle, les jurisprudences répondant à cette interrogation sont de plus en plus nombreuses. En juin dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient de prendre position sur le sujet1. Pour la cour administrative d’appel de Bordeaux, un contribuable percevant uniquement des retraites de source française mais disposant d’un foyer uniquement dans l’État dont il est le résident fiscal doit être regardé comme domicilié fiscalement en France au sens du droit interne dès lors que, compte tenu des pensions de retraite perçues, il y dispose du centre de ses intérêts économiques. Toutefois, les contribuables peuvent faire échec à leur domiciliation fiscale en France en établissant qu’ils étaient domiciliés à Madagascar au sens de la convention fiscale signée entre la France et Madagascar le 22 juillet 19832.

La notion de domicile fiscal

La jurisprudence relative aux contribuables susceptibles d’être imposables à l’impôt sur le revenu dans plusieurs État est traditionnellement abondante. La définition du domicile fiscal proposée par le CGI comporte en effet plusieurs critères alternatifs. Conformément aux termes de l’article 4 A du Code général des impôts (CGI), les personnes qui ont leur domicile fiscal en France sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. Alors que celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. Et aux termes de l’article 4 B du CGI sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France, les personnes qui correspondent à trois critères alternatifs. Celles qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal, celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire et enfin celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. Et cette définition alternative propre au droit interne doit également, le cas échéant, s’articuler avec les dispositions conventionnelles applicables.

Le principe de subsidiarité applicable aux conventions fiscales internationales

Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, d’office si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale.

Des contribuables installés à Madagascar

Dans cette espèce, à la suite d’un contrôle sur pièces, les époux B, domiciliés à Madagascar, ont été considérés par l’administration comme ayant leur domicile fiscal en France. Une proposition de rectification leur a alors été adressée le 30 mars 2010 à raison de pensions de source française non déclarées en 2007 et 2008, pour les montants respectifs de 5 156 € et 5 061 €. Malgré leurs observations présentées le 16 juin 2010, ces rectifications ont été maintenues par décision du 8 octobre 2010. Le 6 juillet 2011, M. et Mme B ont présenté une réclamation contentieuse en faisant valoir qu’ils étaient résidents permanents de Madagascar où ils étaient assujettis à une obligation fiscale illimitée sur l’ensemble de leurs revenus et en se prévalant de la convention franco-malgache du 22 juillet 1983. Leur réclamation a été rejetée par décision du 23 septembre 2011. Ils ont alors demandé au tribunal administratif de Toulouse de les décharger des impositions auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008, mises en recouvrement le 30 avril 2011, émises pour un montant total de 10 217 euros. Le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande3. Les époux se sont pourvus en appel pour obtenir l’annulation du jugement du tribunal administratif de Toulouse et la décharge des impositions et pénalités en litige, représentant un montant total de 10 217 €.

Une résidence fiscale à Madagascar ?

Les époux B se sont mariés à Madagascar en 2001 et s’y sont installés de façon permanente en 2004. Leurs filles sont nées à Madagascar en 2010 et 2012. Ils n’ont pas de foyer permanent d’habitation en France et n’exercent aucune activité professionnelle dans ce pays. Leur unique lien avec la France est la pension de retraite de M. B.

Les époux B revendiquaient l’application de l’article 4 de la convention franco-malgache du 22 juillet 1983 qui fixe les règles déterminant l’État de résidence d’un contribuable comme le foyer permanent d’habitation est le lieu où le contribuable réside habituellement avec sa famille et où il accomplit les actes de la vie quotidienne, au motif que selon la doctrine de l’administration, les dispositions de l’article 4 B du CGI relatives à la définition du domicile fiscal en droit interne ne sont applicables que sous réserve des conventions internationales. Dès lors, ils estimaient que leurs pensions de retraite ont fait l’objet d’une double imposition en méconnaissance de l’article 2.2 A de la convention franco-malgache qui vise à prévenir cette situation. En effet, les époux B sont résidents de Madagascar en vertu de l’article 4.2 A de cette convention. Selon l’article 18 de la convention franco-malgache, les pensions payées à un résident d’un État au titre d’un emploi antérieur ne sont imposables que dans cet État. Enfin, précisaient les deux époux, la justification d’une double imposition n’est prévue par aucun texte et l’application de la convention bilatérale dépend uniquement du fait que les revenus sont imposables dans les deux États par application de leur législation interne respective.

La position de l’administration fiscale

Pour Bercy, les époux B ayant perçu, au titre des années 2007 et 2008, exclusivement des pensions de retraite de source française pour l’exercice antérieur d’un emploi salarié dans le secteur privé, ils doivent être considérés comme ayant eu le centre de leurs intérêts économiques en France, conformément à l’article 4 B du CGI. Ils étaient ainsi résidents fiscaux de France, sous réserve des stipulations de la convention franco-malgache En application de l’article 4.2 de cette convention, ils doivent établir leur double domiciliation fiscale à Madagascar au sens de l’article 4.1 de la convention. Or en se bornant à produire des attestations non probantes telle qu’une attestation d’obligation fiscale illimitée et un certificat de résidence du ministre de l’Aménagement du territoire, ils n’établissent pas, pour les années en litige, avoir été assujettis à une imposition qui aurait couvert l’ensemble de leurs revenus. Ainsi et en vertu de l’article 4.1 de cette convention, ils ne peuvent valablement opposer le critère du foyer permanent d’habitation de l’article 4.2 de cette même convention. L’attestation de régularité fiscale, qui n’a d’ailleurs pas été communiquée par l’administration fiscale malgache, n’a pas de valeur probante dans la mesure où aucune précision n’est apportée sur les éventuels montants soumis à imposition, précisait l’administration fiscale.

La position du juge d’appel

Il résulte de l’instruction que les revenus de M. et Mme B au titre des années 2007 et 2008, étaient uniquement constitués de la pension de retraite de source française de M. B. Par suite, et nonobstant le fait que les époux B auraient établi leur foyer à Madagascar, ils doivent être regardés comme ayant le centre de leurs intérêts économiques en France au sens de l’article 4 B du CGI. Ils doivent donc être regardés comme étant domiciliés fiscalement en France pour l’application de l’article 4 A du CGI.

Toutefois, les contribuables peuvent faire échec à leur domiciliation fiscale en France en établissant qu’ils étaient domiciliés à Madagascar au sens de la convention fiscale signée entre la France et Madagascar le 22 juillet 1983. Au regard de la convention franco-malgache, afin d’établir sa résidence permanente à Madagascar au cours des années 2007 et 2008, M. B, qui a épousé une ressortissante malgache en 2001, produit un certificat de location d’un appartement daté du 21 avril 2010 selon lequel lui-même et son épouse occuperaient ce logement depuis 2004, ainsi que deux certificats émanant du consulat général de France à Tananarive et datés du 21 juin 2011 indiquant qu’ils sont inscrits au registre des Français établis hors de France et qu’ils résident effectivement à Madagascar depuis le 26 juillet 2006. Les requérants versent également au dossier un certificat de résidence du 22 avril 2010 émanant du ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, précisant qu’ils résident dans la communauté urbaine de Toliara depuis 2004. Dans ces conditions, et alors que l’administration ne conteste pas que les époux B avaient leur foyer d’habitation permanent à Madagascar en 2007 et 2008, ces derniers doivent être regardés, en application des stipulations précitées de l’article 4 de la convention franco-malgache, comme résidents de Madagascar au sens de cette convention. Or, en vertu de l’article 18 de la convention franco-malgache, la pension de retraite d’une personne n’est imposable que dans l’État au sein duquel ce contribuable doit être regardé comme résident au sens de l’article 4 de la même convention. Les époux B se prévalent de deux attestations de régularité fiscale, datées des 18 août 2010 et 28 janvier 2015 et émanant du chef d’arrondissement de Tanambao I, selon lesquelles M. B « est assujetti à une obligation fiscale illimitée sur ses revenus, du fait de sa résidence permanente à Madagascar » et précisant également que les époux B sont à jour de leurs impôts depuis 2004, date de leur installation en résidence à Madagascar. Il résulte ainsi de l’instruction que la pension de retraite en litige qui était la seule source de revenus dont disposait l’intéressé au cours des années 2007 et 2008, a été effectivement assujettie à l’impôt sur le revenu à Madagascar. Par suite, les requérants sont fondés à se prévaloir des stipulations de cette convention pour soutenir qu’ils n’étaient pas imposables à l’impôt sur le revenu en France au titre des années en cause. Les époux B sont donc fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à être déchargés des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008, conclut le juge d’appel.

La jurisprudence de la cour administrative d’appel de Bordeaux

Dans un arrêt rendu en avril dernier4, la cour administrative d’appel de Bordeaux précise que la circonstance que plus de la moitié des pensions de retraites de l’intéressé soit de source française et soit versée sur un compte bancaire en France permet de regarder le contribuable comme un résident fiscal de France au sens de la loi interne, dès lors qu’il ne dispose pas d’autres revenus. Dans ces conditions, le centre de ses intérêts économiques doit donc être regardé comme se situant en France. Dans cette affaire, il résultait de l’instruction que 75 % des pensions de retraite perçus par M. et Mme A B au titre de l’année 2012 provenaient du système de pension français et étaient versés sur un compte bancaire en France. Aucun des documents produits par les requérants n’atteste par ailleurs de la perception par eux de quelques revenus de source sénégalaise que ce soit au cours de cette même année. Dès lors, quand bien même ils ont résidé 183 jours au Sénégal en 2012 et ont laissé durant ce temps la maison qu’ils possèdent à Labastide-Clairence à la disposition de leur fille, ils doivent être regardés comme ayant eu en France le centre de leurs intérêts économiques au sens de l’article 4 B du CGI, et leur domicile fiscal. Précisons que dans cette affaire, le juge administratif a considéré qu’au regard de la convention franco-sénégalaise, les contribuables concernés disposaient de leur foyer d’habitation permanent en France.

La position du Conseil d’État

Dans une affaire concernant un contribuable retraité installé au Cambodge, le Conseil d’État a considéré qu’un contribuable percevant une retraite de source exclusivement française n’a pas cessé d’avoir en France le centre de ses intérêts économiques5. Cet arrêt a été rendu à propos d’une pension de retraite versée par un organisme français sur un compte bancaire ouvert en France et servi à un retraité, vivant de 1996 à 2007 au Cambodge où il exerçait des activités bénévoles auprès d’organisations non gouvernementales. Ces pensions ont donné lieu à l’application d’une retenue à la source en application de l’article 182 A du CGI. Les juges du fond ont considéré qu’au cours des années d’imposition en litige, M. B n’avait en France ni son foyer ni le lieu de son séjour principal. Il n’exerçait pas en France d’activité professionnelle et il n’y avait pas le centre de ses intérêts économiques. La cour administrative d’appel de Lyon pour fonder son raisonnement relevait que le versement de sa pension de retraite sur un compte bancaire en France ne constituait qu’une modalité de versement réalisée à sa demande. Le requérant faisait d’ailleurs virer une partie de cette pension au Cambodge pour ses besoins et ceux de sa famille. Il administrait d’ailleurs ses différents comptes depuis le Cambodge. En outre, cette pension ne présentait pas le caractère d’une rémunération résultant de l’exploitation d’une activité économique en France. Précisons qu’il n’existe pas de convention fiscale internationale entre la France et le Cambodge dont aurait pu se prévaloir le requérant. Cette jurisprudence n’est donc transposable que pour les retraités qui se sont installés dans des États qui ne sont pas liés à la France par une convention fiscale internationale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Bordeaux, 13 juin 2017, n° 15BX00297.
  • 2.
    Convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République démocratique de Madagascar en vue d’éviter les doubles impositions, de prévenir l’évasion fiscale et d’établir les règles d’assistance administrative en matière fiscale en date du 22 juillet 1983, approuvée par la loi n° 84-556 du 4 juillet 1984, entrée en vigueur le 1er octobre 1984 et publiée par décret n° 84-1098 du 5 décembre 1984.
  • 3.
    TA Toulouse, 2 déc. 2014, n° 1104563.
  • 4.
    CAA Bordeaux, 11 avr. 2017, n° 15BX02015.
  • 5.
    CE, 17 juin 2015, n° 371412.
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