La délicate détermination de la résidence fiscale

Publié le 31/05/2018

Le Conseil d’État fait application de la notion de domicile fiscal pour un couple de britanniques installé en France, percevant des sommes réputées distribuées d’une société dont ils ont le contrôle.

Le Conseil d’État rappelle un certain nombre de critères de fait permettant de déterminer le domicile fiscal en France en droit interne (CE, 30 mars 2018, n° 361828).

Dans cette affaire qui a débuté en 1995 pour être tranchée par le Conseil d’État en 2018, un couple de contribuables, les époux A., qui se déclaraient résidents fiscaux en Grande-Bretagne, sont propriétaires, depuis 1969, d’un ensemble immobilier situé au lieu-dit  » Le Moulin de Margaux » à Margaux (Gironde). M. A. était titulaire, au cours des années 1995 à 1997, d’un titre de séjour délivré par la préfecture de la Gironde et régulièrement renouvelé, mentionnant une domiciliation à Margaux. 

À la suite d’une procédure de visite et de saisie, diligentée en application de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, dans la résidence dont ils étaient propriétaires à Margaux, M. et Mme A. ont fait l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 1995 à 1997. Faute d’avoir déposé, malgré l’envoi de mises en demeure, des déclarations de revenus au titre de ces trois années, ils ont été taxés d’office à l’impôt sur le revenu, sur le fondement du 1° de l’article L. 66 et de l’article L. 67 du Livre des procédures fiscales, à raison de sommes réputées distribuées à leur profit par la société La Lomas. En effet, aux termes de l’article 109, 1° du Code général des impôts, sont considérés comme revenus distribués, tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital.

Le 17 février 2005, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande présentée par les époux A. tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et de contribution sociale auxquelles ils ont été assujettis ainsi que des pénalités correspondantes. Le 10 avril 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant sur renvoi du Conseil d’État, a rejeté leur requête tendant à l’annulation de ce jugement et, d’autre part, sursis à statuer sur cette requête et sur le surplus des conclusions de leur pourvoi afin de leur permettre d’exercer les voies de recours ouvertes par les dispositions du IV de l’article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie aux fins de contester l’ordonnance ayant autorisé le recours à la procédure de visite et de saisie ainsi que les opérations de visite et de saisie elles-mêmes. M. et Mme A. ont justifié, conformément à l’article 3 de cette décision, de la saisine des juridictions compétentes et ont produit les décisions juridictionnelles rendues sur leur recours. Le 15 avril 2015, le Conseil d’État statuant au contentieux a annulé cet arrêt. L’affaire est, dès lors, en état d’être jugée.

Pas de contestation de la procédure de perquisition fiscale devant le juge de l’impôt

M. et Mme A. ont fait appel, devant la cour d’appel de Bordeaux, de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 27 janvier 1998 autorisant, en application de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, une visite domiciliaire dans leur propriété de Margaux et ont contesté la régularité des opérations de visite et de saisies qui s’y sont déroulées. Il résulte des dispositions du IV de l’article 164 de la loi du 4 août 2008 visée ci-dessus, que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales peut être contestée non devant le juge de l’impôt mais devant le premier président de la cour d’appel. Par une ordonnance du 26 avril 2016, le président désigné par le premier président de la cour d’appel a rejeté ce recours. Le pourvoi en cassation formé par les époux A. contre cette ordonnance a été rejeté par une décision de la Cour de cassation, du 5 juillet 2017. Dès lors, rappelle le Conseil d’État, M. et Mme A., qui ont été mis à même d’exercer les voies de recours ouvertes par l’article 164 de la loi du 4 août 2008, ne peuvent utilement contester, devant le juge de l’impôt, la régularité de la procédure de visite et de saisie. Dans la foulée, le Conseil d’État valide également l’exercice que l’administration a fait de son droit de communication et de la procédure d’assistance administrative au motif, notamment, que des factures détaillées émises par la société France Telecom constituent des pièces de recettes au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 85 du Livre des procédures fiscales, précisant, dans sa rédaction en vigueur à la date du contrôle que les contribuables doivent communiquer à l’administration, sur sa demande, les livres dont la tenue est rendue obligatoire par le titre II du livre 1er du Code de commerce ainsi que tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses.

Un foyer fiscal en France

Conformément au texte de l’article 4 A du Code général des impôts, les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. L’article 4 B du Code général des impôts, précise à cet égard les quatre critères selon lesquels un contribuable peut être considéré comme ayant son domicile fiscal en France au sens de l’article 4 A. Il s’agit des personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal, de celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire, de celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économique. Pour l’application de ce texte, le foyer s’entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles. Le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l’hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer.

En l’espèce, les époux A. sont non seulement propriétaires d’un bien en France au cours des années litigieuses, mais les renseignements recueillis par l’administration dans le cadre de l’exercice de son droit de communication attestent de consommations régulières et importantes d’électricité, d’eau, de fuel et de téléphone, dans cette résidence, au cours des années 1995 à 1997. L’enquête diligentée par l’administration fiscale auprès de La Poste a, en outre, révélé que les époux A. disposaient, depuis de nombreuses années, d’une boîte postale et qu’ils ne faisaient pas suivre leur courrier. Par ailleurs, le compte bancaire ouvert, à la banque Barclay’s de Bordeaux, au nom de M. ou Mme A., à l’adresse de leur résidence française, a été régulièrement mouvementé au cours des années considérées. Enfin, la visite sur place au « Moulin de Margaux » a révélé l’existence de deux véhicules Peugeot immatriculés en France au nom des requérants et de quatre coffres loués au Crédit Agricole de Castelnau du Médoc. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, et alors qu’aucune pièce justificative ne confirme l’allégation des requérants selon laquelle ils vivaient en Grande-Bretagne au cours des années 1995 à 1997, M. et Mme A. doivent être regardés comme ayant eu, au cours des années en cause, leur foyer en France au sens des dispositions de l’article 4 B du Code général des impôts en dépit de la circonstance, à la supposer établie, que leurs enfants, alors majeurs, résidaient en Grande-Bretagne. Ils sont, dès lors, imposables en France à raison de l’ensemble de leurs revenus en vertu des dispositions précitées de l’article 4 A du Code général des impôts, conclut le Conseil d’État.

Au regard de la taxation entre les mains des contribuables de revenus distribués par la société La Lomas, pour le Conseil d’État, si seuls peuvent être imposés, en application des dispositions de l’article 109, 1° du CGI, les revenus réputés distribués qui ont été effectivement appréhendés par le contribuable, le contribuable qui est maître d’une affaire est réputé avoir appréhendé les distributions réalisées par la société qu’il contrôle. Est regardée comme le maître de l’affaire la personne qui dispose d’un pouvoir exclusif sur la gestion de l’entreprise. Or il résulte de l’instruction, notamment des éléments réunis par l’administration au cours du contrôle de la société La Lomas, que M. A., qui en était le gérant et le principal actionnaire, avait tout pouvoir sur sa gestion et disposait sans contrôle des fonds sociaux. L’administration établit, ainsi, qu’il se comportait en maître de cette société. Elle était, dès lors, fondée à le regarder, sans qu’il soit besoin pour elle de recourir à la procédure prévue par l’article 117 du Code général des impôts, comme étant le seul bénéficiaire des résultats réalisés par la société La Lomas et, par suite, à imposer les sommes correspondantes entre les mains des époux A., sur le fondement des dispositions précitées. En conséquence, les époux A. ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 17 février 2005, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et des pénalités mises à leur charge au titre des années 1995, 1996 et 1997.

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