Le capital : ce mal-aimé incontournable
Historiquement la fiscalité française a toujours eu en ligne de mire le capital. Son imposition, en règle générale assez lourde, a touché toutes les catégories de contribuables (sociétés, particuliers) sans réflexion, peut être suffisante, sur le fait qu’un niveau satisfaisant d’activité économique, via la création d’entreprises et celle d’emplois, corrélative, procède de l’aptitude du système fiscal à favoriser la production de capital. Car le capital est le carburant de l’économie. Sans doute est-il urgent de refonder notre fiscalité du capital afin d’éviter que la solution au problème de l’emploi ne soit recherchée que du côté d’un aménagement du Code du travail, code prétendument obsolète. L’alternative à la précarisation de l’emploi résultant d’un assouplissement des règles du licenciement, comme envisagé, peut résider dans une refonte de ladite fiscalité susceptible de relancer, puis de doper l’activité et, par suite, de porter une dynamique favorable à l’emploi.
Si toute économie n’est pas capitaliste, elle est en revanche capitalistique. À la base de l’activité de production de biens et/ou de services, il y a la mobilisation d’un capital. Le capital est « ce suc vital pour notre croissance qui, bien que parfois imperceptible, baigne dans le liquide amniotique de nos activités marchandes et de nos échanges quotidiens »1. Il s’ensuit que les gouvernants doivent être très attentifs au traitement fiscal qu’ils lui réservent. Un ancien ministre des Finances avait déclaré avec à-propos que « trop d’impôt, tue l’impôt » ! L’impôt peut-il tuer le capital ? Peut-être pas, mais un prélèvement excessif va l’écorner, et par là en compromettre la création additionnelle par capitalisation et, ce faisant, anémier le stock de capital ou faire que ce stock ne soit pas aussi fourni que celui dont les acteurs économiques ont besoin. Une fiscalité pénalisante peut aussi aboutir à ce que les détenteurs de liquidités ne les engagent pas sur des placements à risque trop imposés ou cherchent à les engager à l’étranger, dans des États où l’herbe est plus verte fiscalement, ce qui dans tous les cas nuit à la constitution du stock de capital nécessaire à l’économie nationale.
Le capital est la ressource qui permet d’enclencher le process de la croissance. Tel est le rôle du capital : initialiser le développement économique. C’est une évidence rappellera-t-on, sauf qu’en France, les institutions en charge de l’édiction des normes fiscales privilégient un autre aspect : la redistribution. Par les ponctions effectuées sur lui, le capital sert à parfaire l’objectif assigné au système fiscal français : rendre la redistribution toujours plus effective… C’est-à-dire rapprocher sans cesse la condition des gens2.
Le constat historique : une fiscalité en défensive
À la base de tout système fiscal, il y a l’idée qu’une société se fait d’elle-même. Dans notre pays, l’idée d’égalité entre les acteurs sociaux tend à être prédominante dans la réflexion politique. Mais cette égalité tangente fortement à la notion d’uniformité, si bien que l’idée simpliste selon laquelle il faut, sans trop de discernement, prendre l’argent où il est, pour égaliser les conditions, est assez répandue et entretenue dans l’opinion. Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine du maintien en vigueur de l’ISF contre vents et marées malgré le coût qu’il représente pour les finances publiques à raison de son effet repoussoir vis-à-vis des détenteurs de capitaux. Les majorités se succèdent, mais l’ISF reste, mauvais signal adressé aux investisseurs potentiels dans un contexte d’économie mondialisée et de concurrence aiguisée entre les États en matière fiscale.
Toujours dans ce registre : la psychologie des investisseurs est-elle suffisamment prise en compte par les autorités ? Un investisseur est mû par la recherche – légitime de notre point de vue – d’une bonne rémunération de son capital. Il faut dès lors veiller à ce que la fiscalité des valeurs mobilières soit attractive3.
En résumé : la prévalence de l’idéologie égalitaire sur une saine conscience des contraintes inhérentes à l’univers économique, fait que nous avons une fiscalité des produits tirés de la mise en œuvre d’un capital, tant en ce qui concerne les sociétés (IS à 33,3 %), celle des valeurs mobilières que du patrimoine (droits de succession) excessivement gourmande. Par des aides, celles à la création d’entreprise, une fiscalité moins pénalisante au stade de la transmission des entreprises, les derniers dispositifs, pacte de responsabilité, CICE, l’État atténue l’impact de cette fiscalité. Mais l’on voit bien que dans cette logique, on est toujours dans l’octroi, dans la restitution, plus que dans une approche proactive. L’État prélève de l’argent sur les sociétés via l’impôt qu’il leur rend ensuite en partie à travers les dispositifs sus-rappelés. Ne serait-il pas plus avisé – ce qui permettrait de réduire la lourde et coûteuse administration de contrôle a posteriori que nous connaissons – de ne prélever sur cette catégorie de contribuables que ce qui est nécessaire au service du budget ?
Par ailleurs, le droit fiscal doit être un droit à la portée des acteurs de l’économie. La simplification du droit fiscal par la mise en place d’une fiscalité claire et resserrée semble être le point d’entrée à une refonte de notre fiscalité du capital. Car c’est aussi un vice, source de handicap bien français : la difficulté à mettre en place un droit efficace et d’usage aisé, ce qu’il n’est pas toujours, le raffinement technique de la règle l’emportant sur sa maniabilité. L’autre point d’entrée étant de rétablir le caractère spécifique de cette imposition, caractère qui lui était reconnu avant que ne s’impose, dans les années 2000, la fausse bonne idée que le capital doit être imposé dans les mêmes conditions que les autres sources de revenu, les salaires notamment. Il s’ensuit qu’aujourd’hui les revenus tirés de la mise en œuvre d’un capital, tels ceux tirés de valeurs mobilières, sont soumis à l’instar des autres revenus au barème de l’impôt progressif.
À la recherche d’un système performant : pour un électrochoc fiscal
Méthodologiquement, il doit être tenu un juste compte de l’altérité des choses. Le régime d’une imposition doit intégrer la nature de la matière à appréhender : un salaire ce n’est pas un revenu de valeur mobilière. Un dividende c’est d’abord la rémunération d’un risque, il revêt un caractère aléatoire et fluctuant en montant. Le capital d’où il procède peut aussi être perdu comme on l’a vu à différentes reprises avec les krachs boursiers. Aussi faut-il revenir sur ce contresens que constitue le couplage entre fiscalité des revenus du capital et de celle de l’impôt sur le revenu. Pour la raison de principe que nous évoquons ci-dessus, mais en outre pour sortir du carcan actuel de l’alignement des impositions lequel interdit pour l’heure d’affecter à l’imposition des dividendes et des plus-values de cession, un régime spécifique assorti d’un taux modéré incitant à la souscription de titres mobiliers.
Un système fiscal encourageant la production de capital, c’est d’abord un système au sein duquel le prélèvement sur le capital est allégé. La première mesure à prendre va consister à réduire les taux d’imposition de manière significative, voire de supprimer certaines impositions telle celle des droits de succession. Autrement, ce n’est pas de 33 à 28 % qu’il faut ramener le taux de l’IS, comme il était proposé encore récemment4, mais l’ajuster aux taux les plus compétitifs pratiqués ailleurs, soit autour de 15 %. En sus du surcroît de ressources apporté de la sorte aux entreprises, de l’amélioration de leur compétitivité, nous verrons, à cette mesure d’autres avantages : rendre sur ce terrain notre pays attractif (enfin…) et empêcher l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales, vers des cieux plus cléments.
Il sera objecté que, malgré notre fort taux d’IS, nous avons quand même des sociétés qui viennent investir chez nous. Cet argument n’est pas pertinent. Certaines nous quittent, d’autres pratiquent une optimisation fiscale effrénée, et il est plausible que nous obtenions moins d’implantations que nous pourrions en avoir tandis que depuis 2012 a été observé le départ massif de gros contribuables français vers les pays limitrophes.
Comme évoqué plus haut, la fiscalité des revenus tirés des valeurs mobilières devrait également être revisitée par l’application d’un taux d’imposition des revenus de titres qui soit attractif de manière à orienter l’épargne vers ce type de placement pourvoyeur d’activité en ce qu’il contribue à l’amélioration du volume des liquidités à réemployer, c’est-à-dire du stock de capital disponible. Un bon signal pourrait être envoyé en direction des investisseurs individuels par le rétablissement de l’exonération des plus-values réalisées, dans la limite d’un seuil de cessions annuelles5.
Au terme de cette analyse, qu’avons-nous fait ? Nous avons préconisé quelques remèdes de nature, selon nous, à changer la donne fiscale sur un point essentiel : l’imposition du capital. Celle-ci doit être la mieux calibrée possible car conditionnant la restauration du développement économique, lequel devient l’objectif que s’assigne le système fiscal et qu’il cultive. Conséquemment, l’amélioration du sort des particuliers dépendra moins de l’argent prélevé dans la poche du voisin, via comme actuellement, la redistribution, que de leur aptitude à profiter des opportunités professionnelles que leur offrira une économie irriguée de nouveau par l’abondance du capital.
Reste l’objection majeure : ces allègements vont entraîner un manque à gagner pour le Trésor, les rendant inenvisageables budgétairement. On doit convenir qu’il faudra, pendant un temps, laisser filer le déficit6 dans l’attente que le retour de la croissance assure le rétablissement des comptes publics. Le butoir européen des 3 % de déficit budgétaire sera bien entendu pour un temps remisé. Nous n’adhérons pas plus à l’idée que la solution à nos problèmes résiderait dans une hypothétique harmonisation fiscale européenne. En cette matière le salut réside pour la France, dans l’élaboration, très vite, de mesures nationales bien ajustées à ses problèmes, lesquels ne sont comparables ni à ceux de Malte… ni à ceux de l’Allemagne.
Notes de bas de pages
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1.
Laye S., Capital et Prospérité, éd. Alternative démocratique, 2016, p. 7.
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2.
Pour une présentation emblématique de cette conception de la fiscalité : Landais C., Piketty T., Saez E., Pour une révolution fiscale, 2011, Seuil
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3.
V. interview de Marini P. : « Un pays qui ne prêterait pas attention à la psychologie et au comportement de ses petits porteurs, serait un pays tout à fait suicidaire », in Bourse Plus, 2 janv. 2009.
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4.
V. Alain Juppé dans son projet pour la France, Manuel Valls également.
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5.
Ce seuil pourrait être fixé à 150 000 € (il était autour de 45 000 € en 1993 et a été, après divers rabotages, supprimé en 2007).
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6.
Il est bien entendu exclu de compenser cette perte de rentrées par un accroissement de l’impôt sur les ménages ce qui condamnerait, d’entrée, aux yeux de l’opinion cette réforme nécessaire.