Paul Duvaux : « Le Conseil d’État ébauche une définition insatisfaisante de la parahôtellerie » !
Dans son avis du 5 juillet 2023, le Conseil d’État a déclaré le régime de la parahôtellerie partiellement non conforme à la directive TVA sans pour autant donner une définition précise de ce régime.
Le Conseil d’État vient de rendre un avis attendu en matière de prestations de parahôtellerie, précisément sur les conditions de qualification de l’activité de parahôtellerie (CE, 8e-3e ch. réunies, avis, 5 juill. 2023, n° 471877, JORF n°0161 du 13 juillet 2023). Me Paul Duvaux, avocat au barreau de Paris, livre son analyse de fiscaliste.
Actu-Juridique : Quel est l’enjeu fiscal de la qualification ?
Paul Duvaux : La question fiscale est un enjeu de TVA. La directive européenne prévoit que les locations meublées sont exonérées de TVA sauf si elles font concurrence au secteur hôtelier (Cons. UE, dir. n° 2006/112/CE, 28 nov. 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, JOUE L 347 du 11 décembre 2006). Le régime de la parahôtellerie, en ce qu’il fait concurrence au secteur hôtelier, permet donc de louer des locaux meublés à usage d’habitation avec TVA. Le professionnel peut donc déduire la TVA grevant l’achat ou la construction du bâti ainsi que les frais de fonctionnement.
En droit, la loi française exonère de TVA des locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation (CGI, art. 261 D 4° b). Cette exonération ne s’applique toutefois pas si, en plus de l’hébergement, le bailleur propose trois des quatre prestations suivantes : le petit-déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture du linge de maison et la réception de la clientèle ; et qu’il réalise ces prestations dans des conditions similaires à celles proposées dans les hôtels. Telle est donc la définition proposée par le CGI de l’activité de parahôtellerie.
A-J : Dans quel contexte intervient le Conseil d’État ?
Paul Duvaux : La définition française est indiscutablement trop restrictive et, à ce titre, sujette à critique quant à sa conformité à la directive européenne. Elle aboutit à exonérer de TVA – et donc du droit à déduction –, les locations d’un local meublé qui ne sont assorties que de deux services hôteliers sur quatre alors que ces activités font pourtant concurrence bien aux hôtels. C’est le cas généralement des logements loués par Airbnb. Son interprétation par l’administration fiscale donne lieu à de nombreux redressements ou des rejets de demandes de remboursement de TVA, et partant, à une activité judiciaire fournie. C’est donc dans ce cadre que la cour administrative d’appel de Douai a saisi le Conseil d’État d’une procédure d’avis. La haute juridiction administrative a rendu son avis le 5 juillet dernier, estimant que l’actuel paragraphe b) de l’article 261 D est contraire à l’article 135 de la directive TVA.
A-J : Quels sont les éléments de la définition légale qui ont été sanctionnés ?
Paul Duvaux : Le Conseil d’État indique que la définition légale actuelle de la parahôtellerie est trop restrictive en imposant trois services parahôteliers sur quatre. Il considère que cette approche n’est pas adaptée : « Le cumul de trois de ces quatre prestations n’apparaît pas systématiquement indispensable pour que de telles locations puissent, selon le contexte dans lequel elles sont proposées, être regardées comme se trouvant en concurrence avec le secteur hôtelier », estime-t-il.
A-J : Quelle est, dès lors, la définition à retenir ?
Paul Duvaux : Malheureusement le Conseil d’État ne donne pas pour autant de nouvelle définition précise de la parahôtellerie, par exemple en indiquant qu’il suffit de deux services sur quatre, ni les critères indispensables à respecter. Il renvoie à l’administration le soin de procéder à une appréciation au cas par cas : « Il appartient à l’administration, sous le contrôle du juge de l’impôt, d’apprécier au cas par cas si un établissement proposant une location de logements meublés, eu égard aux conditions dans lesquelles cette prestation est offerte, notamment la durée minimale du séjour et les prestations fournies en sus de l’hébergement, se trouve en situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières ».
Toutefois, il ébauche une définition – insatisfaisante – de la parahôtellerie : il y a bien la prise en compte nouvelle du critère de la durée du séjour mais, pour le Conseil d’État, ce critère se conçoit comme étant la durée minimale du séjour, sans préciser quelle est cette durée minimale. On peut légitimement supposer que la durée minimale visée est celle d’une seule nuit. Il ne s’agit donc pas de dire qu’il suffit qu’un séjour soit de courte durée pour qu’il fasse concurrence aux hôtels, mais plutôt de dire que si l’établissement offre exclusivement des séjours de longue durée il ne peut pas faire concurrence aux hôtels.
A-J : Cette évolution ne vous paraît-elle pas satisfaisante ?
Paul Duvaux : Alors qu’on pouvait penser que la prise en compte du critère de la durée du séjour allait aboutir à un élargissement des cas d’assujettissement, par exemple en considérant que tout séjour de courte durée (d’une nuit à une semaine notamment) fait concurrence aux hôtels, le Conseil d’État propose donc de se servir du critère de la durée, ce qui peut avoir pour effet de durcir les conditions d’assujettissement. Seuls les établissements proposant le séjour d’une nuit feraient concurrence aux hôtels, ce qui exclurait de l’assujettissement les activités de location touristique à la semaine, qui sont pourtant très nombreuses et qui font pourtant concurrence aux hôtels. Une telle évolution de la réglementation me paraît contraire au droit européen et très mauvaise pour certains professionnels qui souhaitent bénéficier de l’assujettissement à la TVA sur leurs recettes pour récupérer la TVA grevant le coût des constructions ou le coût des gros travaux. Ainsi les exploitants qui rénovent d’anciens bâtiments pour les reconstruire et en faire des gîtes seraient exclus du droit de récupérer la TVA sur le coût des travaux. Cela dit, il est également possible de considérer que la durée minimale à prendre en compte serait celle d’une semaine, cette interprétation règlerait le problème des meublés de tourisme. Il faudra attendre la loi et surtout les commentaires de l’administration pour être fixé sur ce point très important. En réalité, il est possible de douter que les pouvoirs publics imposeraient la durée minimale du séjour comme une condition impérative de l’assujettissement. Cela aboutirait à exclure de l’assujettissement la parahôtellerie de longue durée. Mais il est possible d’en faire un critère possible d’assujettissement, donc plus un indice qu’une condition impérative.
A-J : Quels auraient été les critères à retenir ?
Paul Duvaux : Le plus judicieux, selon moi, ce serait de dire qu’il y a deux cas d’assujettissement :
– lorsque les prestations de services sont importantes (en reprenant les critères actuels des trois services sur quatre selon la même définition) et cela quelle que soit la durée du séjour ;
– ou lorsque l’établissement propose des séjours à la nuit (ou à la semaine), même si les trois services sur quatre ne sont pas proposés.
Retenir une telle définition présenterait aussi l’intérêt de rendre identique et presque cohérente la définition de la parahôtellerie au sens de la TVA et celle retenue au sens de l’impôt sur le revenu, en s’alignant sur la définition du droit commercial de la prestation d’hébergement. Il s’agirait donc de réserver le concept de parahôtellerie aux activités commerciales d’hébergement, par opposition à l’activité civile de location meublée de longue durée.
A-J : Quid du droit en attendant une nouvelle définition légale ?
Paul Duvaux : En attendant que le législateur intervienne pour tirer les conséquences de l’avis d’incompatibilité, la réglementation actuelle continue de s’appliquer. En pratique, pour les entreprises d’hébergement, il sera beaucoup plus facile de s’opposer aux rappels visant à remettre en cause l’assujettissement à TVA au prétexte, par exemple, qu’il n’y a pas de ménage deux fois par semaine et seulement un ménage en fin de séjour. Il devrait y avoir moins de rappels sur ce thème. Mon conseil aux entreprises qui veulent rester assujetties à TVA est toutefois de continuer à respecter la définition actuelle de la parahôtellerie (proposer trois des quatre services) et, éventuellement, d’indiquer qu’il est possible de réserver pour une seule nuit (avec un prix majoré évidemment) pour consolider leur situation.
J’espère très sincèrement que le législateur ne va pas tarder à clarifier les choses. En réalité, il a fallu 20 ans au juge fiscal pour se rendre compte que la définition légale de 2003 de la parahôtellerie était contraire au droit européen. Même avant le développement de plateformes comme Airbnb, les meublés de tourisme faisaient déjà concurrence aux hôtels, même sans assurer un ménage régulier des locaux. Donc, dès 2003, le juge fiscal aurait dû annuler les nombreux rappels des services fiscaux basés sur l’idée que, si le ménage n’était réalisé qu’en fin de séjour, l’assujettissement à TVA n’était pas possible, en l’absence de petit-déjeuner, les services d’accueil et de linge de maison étant assurés.
Référence : AJU010t7