Quelques réflexions sur la relaxe dans le dossier Wildenstein
C’était l’un des dossiers-phares du parquet national financier. Et pour cause, il a pour enjeu 500 millions d’euros. Las ! Dans son jugement rendu le 12 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Paris a considéré qu’il ne disposait d’aucun fondement légal pour sanctionner les héritiers Wildenstein accusés de dissimuler la fortune familiale dans des trusts. Accessoirement, cette affaire a été l’occasion d’une démarche inédite du tribunal qui a consacré une page de ses motivations à s’expliquer face au peuple français.
Palais de justice de Paris, jeudi 12 janvier 2017, 9h30 : caméras et journalistes se pressent à l’entrée de la salle des criées où se déroulent traditionnellement les procès médiatiques en raison de la taille adaptée de cette salle à un large public et de nombreux avocats. Tout le monde est venu entendre le tribunal correctionnel prononcer son jugement dans l’affaire Wildenstein. Il est reproché en effet aux héritiers de Daniel Wildenstein, décédé en 2001, et de l’un de ses fils Alec décédé quelques années plus tard, d’avoir volontairement dissimulé une partie de l’actif successoral par le recours à des trusts dans des paradis fiscaux. Les poursuites portent sur les qualifications de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Le montant du redressement – contesté devant le juge civil – totaliserait la somme faramineuse de 500 millions d’euros. Cette affaire est l’un des dossiers-phares du parquet national financier. Celui-ci vient d’obtenir la condamnation, conforme à ses réquisitions, de Jérôme Cahuzac à trois ans de prison ferme et espère décrocher un nouveau succès dans cette affaire.
D’autant qu’il s’en est fallu de peu pour que cette affaire meure dans l’œuf. En effet, dans le prolongement de la décision du 18 mars 2015 dans laquelle le Conseil constitutionnel a considéré que la double répression administrative et pénale des infractions boursières était contraire au principe de nécessité des peines, les avocats des Wildenstein et de Jérôme Cahuzac ont soulevé la question de la double répression fiscale. Avec moins de succès. Dans sa décision du 24 juin 2016, le Conseil, invoquant notamment l’objectif constitutionnel que constitue la lutte contre la fraude fiscale, n’a pas vu de difficulté à cette double répression à condition toutefois qu’elle soit limitée aux cas les plus graves d’une part et que, d’autre part, ne soit pas déclenchées des poursuites pénales contre un contribuable qu’un juge de l’impôt aurait définitivement déchargé de l’impôt pour des motifs de fond.
Le trust face au droit fiscal français
Comme souvent dans les procès médiatiques, le simple fait que des accusations aient été portées dans les médias suffit généralement à induire dans les esprits qu’une condamnation est inéluctable. Le tribunal a néanmoins décidé de faire attendre les journalistes pressés de faire leur sujet et débute l’audience par un exposé magistral sur la question des trusts en droit français et en droit anglo-saxon à l’aune des règles fiscales en matière successorale. Les juges expliquent ainsi qu’ils ont ressenti la nécessité dans leur raisonnement de répondre à trois questions principales. Première question, qu’en est-il de la validité des trusts en droit français ? Réponse : les trusts légalement constitués dans leurs pays produisent des effets en France. Deuxième question, sachant que les trusts ne correspondent à rien de juridiquement connu en droit français, quel traitement doit leur être réservé au regard des règles fiscales ? La loi fiscale ne commence à les évoquer en France qu’en 2011, année où le législateur détermine enfin le régime d’imposition des biens dans des trusts (loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 qui ajoute un 3° à l’article 750 ter du CGI). Le tribunal se livre alors à une analyse extrêmement poussée sur les trusts révocables versus les trusts non révocables pour conclure finalement, et c’était là le cœur du dossier, que le sort des biens logés dans des trusts n’a fait l’objet de dispositions spécifiques d’imposition qu’à compter de 2011. Or les faits reprochés sont largement antérieurs. Il en irait toutefois autrement si les trusts en question étaient fictifs, autrement dit constitués non pas dans l’objectif de transférer des biens mais de les dissimuler. Ce qui amène le tribunal à sa troisième question : ces trusts sont-ils fictifs ? Après analyse poussée de la jurisprudence dans les pays anglo-saxons et examen attentif du fonctionnement des trusts litigieux, le tribunal a conclu qu’il ne disposait pas d’éléments suffisants pour les qualifier de fictifs.
Quand un tribunal s’adresse au public dans son jugement
Médiatisation des dossiers oblige, les juges aujourd’hui lisent leurs délibérés devant une assemblée qui n’est plus constituée seulement de professionnels et d’un maigre public de curieux, mais également des dizaines de journalistes plus ou moins spécialisés. Cela inspire à certains magistrats un souci particulier de pédagogie. C’est ainsi par exemple qu’on a vu un président de la 32e chambre du tribunal correctionnel faire un cours magistral de droit pour expliquer sa décision de transmettre la QPC de Jérôme Cahuzac, ou encore prendre un soin particulier lors du rendu du jugement condamnant l’ex-ministre du Budget quelques mois plus tard pour dérouler son raisonnement et éviter les malentendus. Plus innovant encore sur le terrain de la communication est le jugement Wildenstein, qui consacre une page entière à s’expliquer en s’adressant directement au peuple français. En voici les principaux extraits : « Le tribunal a parfaitement conscience que sa décision est susceptible de heurter le sens commun et d’être incomprise du peuple français au nom de qui la justice est rendue. Il ressort en effet du dossier que, et ce depuis au moins trois générations, des membres de la famille Wildenstein ont pris soin de dissimuler derrière des constructions juridiques inconnues du droit français, un patrimoine considérable qui échappait ainsi en grande partie à l’impôt. Cette volonté très claire de dissimulation explique à la fois les manœuvres de toute nature ayant pour objet de maintenir l’opacité autour des biens et les indéniables inquiétudes manifestées dans plusieurs écrits. Elle révèle incontestablement, nonobstant les dénégations des prévenus directement concernés, une claire intention d’évasion patrimoniale et fiscale. Néanmoins, l’existence d’une intention qui pourrait être qualifiée de frauduleuse ne suffit pas pour retenir l’existence d’une infraction en l’absence d’élément légal. (…) Il n’appartient pas à une juridiction, a fortiori une juridiction pénale, de se substituer au législateur et de pallier les silences de la loi ». Suit une longue citation des propos du procureur général près la Cour de cassation lors de ses réquisitions prises le 24 février 1999 devant la Cour de justice de la République qui rappelle les grands principes de la procédure pénale, et notamment que « l’objet du droit pénal, c’est bien sûr de protéger la société, mais face à elle c’est aussi de protéger celui qui est mis en cause. Ignorer cela serait sombrer dans l’arbitraire de la répression ».
Le PNF réplique sur Twitter et fait appel
Le lendemain, le PNF publiait sur le réseau social Twitter un communiqué de presse annonçant qu’il faisait appel, le communiqué était ainsi rédigé : « Contrairement aux réquisitions du parquet, aux conclusions de l’administration fiscale et à l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction, le tribunal a considéré qu’aucune infraction de fraude fiscale n’était caractérisée tout en relevant que “depuis au moins trois générations, des membres de la famille Wildenstein ont pris soin de dissimuler derrière des constructions juridiques inconnues du droit français, un patrimoine considérable qui échappait ainsi en grande partie à l’impôt (…) ayant pour objet de maintenir l’opacité autour des biens et les indéniables inquiétudes manifestées dans plusieurs écrits. Elle révèle incontestablement, nonobstant les dénégations des prévenus directement concernés, une claire intention d’évasion patrimoniale et fiscale”. Ces éléments sont justement de nature, selon l’analyse du PNF, à caractériser le délit de fraude fiscale. Un nouvel examen de l’affaire par la cour d’appel s’avère ainsi indispensable ».
« Quel passage émouvant que celui destiné au public, mais c’est quand même malheureux qu’un tribunal soit obligé de se justifier quand il applique tout simplement le droit », confiait à la sortie de l’audience l’un des avocats des Wildenstein. On peut en effet le regretter. Mais on peut aussi considérer qu’il est encore préférable que les juges s’expliquent plutôt que d’internaliser la pression de l’opinion publique et de risquer d’y céder.
L’autre enseignement de cette affaire, en termes de communication et de pédagogie, vient du PNF. Celui-ci a ouvert il y a quelques mois un compte Twitter. Il y annonce les procès des dossiers qu’il a suivis, les jugements rendus, et ses décisions de faire appel. C’est ainsi que la justice naturellement réservée et silencieuse commence à répondre aux exigences de la société de communication. À lire les réactions sur Twitter, l’exercice est plutôt bien perçu. Un internaute a ainsi confié que c’était agréable pour le public d’être traité en adulte capable de comprendre un débat judiciaire pour peu qu’on le lui explique. À bon entendeur…