Affaire Wildenstein : la relaxe est confirmée

Publié le 10/08/2018

La cour d’appel de Paris vient de confirmer la relaxe générale prononcée en 2017 par le tribunal correctionnel de Paris pour les héritiers de la famille de marchands d’art Wildenstein et leurs conseillers, qui étaient poursuivis pour une fraude fiscale de plusieurs centaines de millions d’euros. Pour la cour d’appel de Paris, le délit de fraude fiscale est prescrit.

Une affaire emblématique de la lutte actuelle menée en matière de fraude fiscale, revient sous les feux des projecteurs judiciaires (CA Paris, 29 juin 2018, n° 17/02758). La cour d’appel de Paris vient de confirmer la décision de relaxe prononcée par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire Wildenstein (Trib. corr., 12 janv. 2017, Wildenstein). « Cette décision est susceptible de heurter le sens commun », avait alors averti le président de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Olivier Géron, avant d’annoncer la relaxe de Guy Wildenstein et de ses co-inculpés. Sans surprise, le parquet national financier avait fait appel de cette décision le 13 janvier dernier, estimant indispensable « un nouvel examen de l’affaire par la cour d’appel ».

Un cumul de poursuites

La succession du marchand d’art mondialement connu, Daniel Wildenstein, qui s’est ouverte en 2001 a donné lieu à des guerres intestines entre ses différents héritiers. La veuve de Daniel Wildenstein, accusait notamment ses deux beaux-fils de lui avoir caché une partie du patrimoine familial, dissimulé dans des trusts situés dans des paradis fiscaux. En 2008, le décès d’Alec, l’un des fils de Daniel Wildenstein fait entrer dans la succession les deux enfants du défunt, Diane et Alec Junior ainsi que sa veuve Liouba Stoupakova. En 2011, l’administration fiscale a réévalué le montant de la succession, prononcé un premier redressement fiscal et déposé plainte pour fraude fiscale. En 2012, après avoir lancé un nouveau redressement fiscal, l’administration fiscale a déposé une seconde plainte pour fraude fiscale concernant une autre succession, celle d’Alec Wildenstein, le fils de Daniel Wildenstein. Pour l’administration fiscale, les héritiers avaient omis de déclarer les biens détenus par des trusts dans les deux déclarations de succession. En 2012, Guy Wildenstein, le fils aîné de Daniel Wildenstein, Alec Wildenstein junior et Liouba Stoupakova ont été mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, avec trois de leurs conseils ainsi que deux établissements bancaires, pour leur participation à l’élaboration de la fraude fiscale présumée. Cette affaire a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité qui a permis au Conseil constitutionnel de préciser que le cumul des poursuites pénales et fiscales ne porte pas atteinte à la constitution, à la condition que la procédure pénale pour fraude fiscale s’applique aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt (Cons. const., 24 juin 2016). En dépit de cette décision de relaxe, les héritiers Wildenstein doivent donc encore affronter l’administration fiscale lors de l’instance civile, laquelle lui réclame plus de 500 millions d’euros.

Effet de la prescription

Le 29 juin dernier, la présidente de la cour d’appel de Paris, a annoncé que le jugement de première instance était confirmé, en précisant que le délit de fraude fiscale était prescrit. Les faits reprochés se sont déroulés entre 2001 et 2008 alors que le texte venu clarifier la fiscalité en France des trusts utilisés par la famille Wildenstein n’est intervenue qu’en 2011. Les deux déclarations qui ont été déposées auprès de l’administration fiscale ont été effectuées à la suite du décès de Daniel Wildenstein, le 23 octobre 2001, puis à la suite de la disparition d’Alec senior Wildenstein, le 17 février 2008. Dans le cas de la première succession, la plainte fiscale correspondante a été déposée le 22 juillet 2011. Pour les juges du fond, le délais pour déposer plainte avait en réalité expiré le 31 décembre 2005, dans la mesure où l’infraction a été réalisée à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration. S’il s’agit d’une fraude par omission volontaire de déclarations, le délit doit être considéré comme étant commis à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration (Cass. crim., 13 déc. 1982, n° 809515 ; Cass. crim., 20 févr. 1989, n° 87-90806 ). Et si selon les dispositions de l’article 8 du Code de procédure pénale, les délits de droit commun se prescrivent par trois ans, l’article L. 230 du LPF édicte une prescription spéciale en matière de délits fiscaux, en disposant dans son premier alinéa que « les plaintes peuvent être déposées jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise ». La réitération d’une nouvelle déclaration en 2008, avec à nouveau d’une dissimulation des éléments de patrimoine concernés n’a pas rouvert ce délais de prescription, contrairement à l’argumentation développée par le ministère public. « La cour ne peut considérer que le dépôt d’une seconde déclaration de succession, le 31 décembre 2008, portant sur la même succession, les mêmes impositions et comportant les mêmes omissions considérées comme frauduleuses, constitue un nouveau délit de fraude fiscale, celui-ci ayant été définitivement consommé, en raison de son caractère instantané, lors de la déclaration du 23 avril 2002, soit plus de trois ans avant le dépôt de la plainte de l’administration fiscale le 22 juillet 2011 », précise à cet égard l’arrêt.

Pour la deuxième succession, l’administration fiscale a déposé plainte en date du 20 décembre 2012. Pour le tribunal correctionnel, il ne pouvait y avoir fraude fiscale et complicité de fraude fiscale dans cette espèce dans la mesure où, il n’existait alors aucune disposition législative spécifique relative à l’imposition des biens détenus dans des trusts. Pour le ministère public, le principe même de l’imposition des biens détenus dans des trusts existait en droit fiscal au moment des faits. En outre, la dissimulation constitutive d’une fraude est bien établie. Dans la mesure où les trusts étaient révocables, leur constituant ne s’est pas dessaisi des biens placés en trust, ces biens devaient être mentionnés dans la déclaration de succession. Pour la cour d’appel, « les textes en vigueur, tant au décès de Daniel Wildenstein qu’à celui d’Alec senior Wildenstein ne comportaient aucune disposition spécifique sur l’imposition de la propriété des biens placés en trust, que la jurisprudence citée en matière de droits d’enregistrement ne concerne pas des trusts prenant fin au décès du constituant ». Avant le vote de la loi du 29 juillet 2011, il n’existait donc pas d’« obligation, suffisamment claire et certaine, portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust, et qui plus est pour les biens logés dans un trust perdurant au décès de leur constituant, catégorie pour laquelle la loi a instauré une imposition spécifique ». Dès lors, les délits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale ne sont pas constitués.

L’utilisation de trusts

Pour l’administration fiscale, la famille Wildenstein a frauduleusement dissimulé une partie de sa fortune dans des trusts discrétionnaires et irrévocables lui permettant d’éluder des droits de succession se chiffrant en centaines de millions d’euros. L’administration fiscale a réintégré les biens placés dans ces trusts dans la succession litigieuse, considérant que lesdits trusts étaient frauduleux puisqu’ils avaient financé le train de vie des héritiers par différents moyens, dont des prêts. Au total, pas moins de sept trusts ont été constitués par Daniel et Alec Wildenstein Daniel Trust, Sons Trust, David Trust, Sylvia Trust, AW Trust, Drawdale Trust Louve Trust. Ces trusts détiennent le plus souvent, par le biais de sociétés constituées ad hoc, des biens très divers : un ranch au Kenya, des immeubles à New York, une île dans les Caraibes, et de très nombreux tableaux liés à l’activité de marchand d’art de la famille Wildenstein. Or la notion de trust est mal appréhendée par le droit français qui n’a commencé à l’encadrer qu’à partir de 2011, les faits reprochés aux héritiers Wildenstein étant, quant à eux, intervenus entre 2001 et 2008. Jusqu’en 2011, les trusts, institutions très répandues en droit anglo-saxons, n’avaient pas d’existence légale en France. Ils sont définis au niveau international par l’article 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Selon cet article, le terme de trust vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Cependant, si la France a signé la Convention de La Haye, elle ne l’a pas ratifiée et ne l’a donc pas intégrée dans son droit. En l’absence de règle d’imposition précise en droit français, il était possible de recourir à des trusts irrévocables et discrétionnaires à des fins d’évasion fiscale. Des constituants ou des bénéficiaires pouvaient conserver, en pratique, la maîtrise des actifs du trust au travers de montages complexes ou de lettres confidentielles autorisées par certains États tout en paraissant avoir aliéné leur patrimoine du point de vue des autorités françaises.

La première loi de finances rectificative pour 2011 est venue remédier à cette lacune. Bercy a précisé le champ des obligations déclaratives pesant sur les administrateurs de trusts (CGI, art. 1649 AB). L’administrateur d’un trust doit déposer une déclaration relative à la constitution, à la modification ou l’extinction ainsi qu’aux termes du trust et procéder tous les ans à une déclaration de la valeur vénale des biens, droits et produits placés dans le trust au 1er janvier. Le champ du prélèvement sui generis sur les trusts a été également précisé (CGI, art. 990 J). Doivent ainsi être déclarés, lorsque le constituant du trust ou l’un au moins des bénéficiaires réside fiscalement en France, tous les biens et droits du trust situés en France et hors de France, et cela même s’ils sont exonérés d’ISF. Lorsque le constituant du trust et l’ensemble des bénéficiaires sont tous non-résidents, les biens et droits du trust situés en France doivent être déclarés, y compris ceux exonérés d’ISF, à l’exception des placements financiers au sens de l’article 885 L du CGI. Certes, au moment des faits, il n’existait pas d’obligation de déclaration pour les trusts. Cependant, en matière de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), si les biens placés dans un trust irrévocable ont effectivement quitté le patrimoine du défunt ou du donateur et ne peuvent donc être taxés, il n’en est pas de même dans le cas d’un trust révocable. Et selon l’instruction de cette affaire menée par les juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire les trusts paraissaient avoir un caractère révocable et dès lors pouvaient être considérés comme fictifs.

Un échec pour le parquet national financier

Cette très bonne nouvelle pour les héritiers de la famille de marchands d’art Wildenstein, Guy Wildestein, Alec Wildenstein et Liouba Stoupakova et leurs conseillers, résonne cependant comme un camouflet pour le parquet national financier qui avait requis des peines très sévères pour la « fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République ! », d’après la formule de la représentante du parquet national financier, Monica d’Onofrio, en première instance. Il s’agissait alors de sanctionner la « mise en place de procédés, des montages conçus par des professionnels avertis, à destination d’une famille qui a vécu dans l’opulence en payant peu d’impôts, que les citoyens du monde ne supportent plus ». Pour cette « fraude fiscale d’une gravité exceptionnelle » le parquet national financier avait requis quatre ans de prison dont deux ans de sursis contre Guy Wildestein, six mois de prison avec sursis à l’encontre d’Alec Wildenstein, et un an de prison pour Liouba Stoupakova, qui a épousé en secondes noces un Wildenstein, 187 500 euros d’amende pour complicité de fraude fiscale à l’encontre des deux établissements bancaires abritant les trusts litigieux, trois ans de prison dont deux avec sursis et un million d’euros d’amende pour l’avocat suisse de la famille, deux ans de prison avec sursis et 37 500 euros d’amende pour le notaire qui s’est chargé de rédiger les déclarations de succession et deux ans de prison, dont un an avec sursis ainsi que 500 000 euros d’amende assortie d’une interdiction d’exercer toute profession juridique pendant trois ans pour leur conseiller fiscal. En appel, le ministère public a requis quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, et une amende de 250 millions d’euros à l’encontre de Guy Wildenstein, six mois d’emprisonnement avec sursis pour Alec Wildenstein et six mois avec sursis avec une amende de 150 000 euros pour Liouba Stoupakova. Le ministère public a requis des peines comprises entre deux ans d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis, ainsi que des amendes allant de 37 500 euros à un million d’euros contre deux avocats et un notaire, les conseils des héritiers. Sans surprise, le parquet a annoncé se pourvoir en cassation contre cette décision de relaxe.

 

LPA 10 Août. 2018, n° 138d8, p.3

Référence : LPA 10 Août. 2018, n° 138d8, p.3

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