Recours pour excès de pouvoir et option pour la constitution d’un groupe intégré

Publié le 17/01/2020

Le Conseil d’État confirme et conforte sa jurisprudence relative à l’acte détachable de la procédure d’imposition en jugeant que la décision par laquelle l’Administration refuse l’accès au régime de l’intégration fiscale peut être attaquée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

CE, 1er juill. 2019, no 421460, Selas Biomnis

Recours pour excès de pouvoir et option pour la constitution d’un groupe intégré
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La décision rendue par le Conseil d’État le 1er juillet 20191 a été l’occasion de confirmer et d’étendre sa jurisprudence relative aux conditions d’appréciation de l’acte détachable, susceptible à ce titre, de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État juge en effet que le refus opposé par l’administration fiscale à l’option pour la constitution d’un groupe intégré est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

En application de l’article 46 quater-0 ZD de l’annexe III au Code général des impôts, une société avait adressé au service des impôts dont elle relève un courrier portant option pour le régime d’intégration fiscale prévu par les articles 223 A et suivants du même code. Le directeur départemental des finances publiques du Rhône lui avait toutefois refusé l’application de ce régime, au motif que la société n’en respectait pas les conditions légales. C’est ce refus qui était attaqué devant le juge de l’impôt par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Les recours en matière fiscale relèvent « par nature » du plein contentieux2. De ce fait, et en vertu de l’exception de recours parallèle, est frappé d’irrecevabilité, le recours pour excès de pouvoir exercé à la place du recours de plein contentieux fiscal ouvert par les articles R. 190-1 et suivants du Livre des procédures fiscales, lorsque ce dernier recours peut lui procurer un résultat équivalent à celui auquel aboutirait le recours pour excès de pouvoir. Si le recours est toujours recevable contre les actes réglementaires3, sa recevabilité est néanmoins soumise à conditions en ce qui concerne les décisions individuelles. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir est admis contre les décisions individuelles qui font grief, et qui de plus, sont détachables de la procédure d’imposition.

En l’espèce, le critère de l’acte individuel faisant grief ne posait pas de difficultés particulières (bien que, dans un arrêt du 30 juin 1997, le Conseil d’État avait estimé que ne faisait pas grief, la décision de l’administration fiscale refusant l’option que peut exercer une société déficitaire de reporter son déficit, non pas vers le futur, mais vers le passé4. Le Conseil d’État relève, comme les juges du fond, que « [l]orsqu’une société notifie au service des impôts dont elle relève l’option pour la constitution d’un groupe fiscal intégré (…), le refus que lui oppose l’Administration au motif qu’elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier du régime de l’intégration fiscale (…) présente le caractère d’une décision faisant grief, eu égard aux effets qu’elle emporte pour cette société comme pour ses filiales ». En revanche, c’est au niveau du second critère de recevabilité que des divergences sont apparues dans les appréciations successives des juridictions. Le tribunal administratif de Lyon avait en effet jugé recevables les conclusions de la société requérante, et annulé pour excès de pouvoir la décision de l’administration fiscale5, tandis que la cour administrative d’appel de Lyon avait jugé irrecevable le recours pour excès de pouvoir de la société requérante, au motif que la décision litigieuse ne constituait pas un acte détachable de la procédure d’imposition6.

Le Conseil d’État était donc saisi de la question de savoir si le refus opposé par l’administration fiscale à l’option pour la constitution d’un groupe intégré constituait un acte détachable de la procédure d’imposition à l’impôt sur les sociétés, susceptible à ce titre de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État considère que « [c]ompte tenu des enjeux économiques qui motivent l’option pour l’intégration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de résulter du refus opposé par l’Administration pour les sociétés concernées, cette décision peut être contestée par voie du recours pour excès de pouvoir (…) ». En jugeant ainsi, le Conseil d’État étend la solution dégagée en matière de rescrits dans son arrêt Société Export Press7 au refus opposé par l’Administration à l’option pour l’intégration fiscale.

En effet, si le recours pour excès de pouvoir occupe traditionnellement une place résiduelle en contentieux fiscal8, cette voie de droit tend néanmoins à se développer en cette matière, dans la mesure où, en ce qui concerne les actes individuels, le juge de l’impôt conçoit assez largement la notion d’acte détachable. Il peut ainsi s’agir d’un refus d’agréments9, d’une décision prise à la suite d’une demande gracieuse10, d’un refus opposé par l’Administration à une demande de communication de documents11. Le recours pour excès de pouvoir contre l’acte détachable a été admis en matière fiscale12, dans la mesure où il a paru judicieux de ne pas obliger le requérant à attendre le déroulement complet de la procédure d’imposition avant de pouvoir saisir le juge de l’impôt. Il s’agit d’« éviter au contribuable de patienter jusqu’au terme de l’opération d’imposition »13.

Afin d’assouplir davantage l’exception de recours parallèle, le Conseil d’État était allé encore plus loin dans un arrêt du 2 décembre 2016, en jugeant que si en principe un rescrit ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, cette voie de droit est néanmoins ouverte « lorsque la prise de position de l’Administration (…) entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie du recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l’Administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet »14. En prenant en compte les « effets notables autres que fiscaux » comme moyens de déroger à l’exception de recours parallèle, le Conseil d’État avait considérablement assoupli les possibilités d’accès à son prétoire, assouplissement qui est désormais étendu aux refus opposés par l’Administration à l’option pour le régime de l’intégration fiscale.

Il est intéressant de noter que, dans la décision Pelfrene du 8 septembre 1999 15, le Conseil d’État avait considéré qu’en confirmant son refus d’accorder au requérant le bénéfice de l’exonération prévue en faveur des entreprises nouvelles, le ministre de l’Économie et des Finances avait pris une décision qui n’est pas détachable de la procédure contentieuse engagée par l’intéressé. Les conclusions du requérant tendant à l’annulation de la décision du ministre pour excès de pouvoir avaient de ce fait été jugées irrecevables. On peut imaginer que le critère des « effets notables autres que fiscaux » s’appliquera à l’avenir à d’autres décisions individuelles que les rescrits et les refus opposés à l’option pour l’intégration fiscale. En cela, il s’agit d’un critère d’avenir, destiné à prospérer en contentieux fiscal.

Néanmoins, la portée de cette jurisprudence du Conseil d’État doit être relativisée. En effet, et d’une part, le jugement de recevabilité ne préjuge en rien du bien-fondé de la requête. D’autre part, les effets notables autres que fiscaux auxquels se réfère le Conseil d’État demeurent soumis à son appréciation casuistique. Il revient en effet au requérant qui souhaite saisir le juge d’un recours pour excès de pouvoir, de justifier par tous moyens, non seulement des effets autres que fiscaux de la décision de l’Administration, mais aussi de leur caractère notable. En l’espèce, le Conseil d’État ne précise ni les enjeux économiques, ni les effets autres que fiscaux qui justifient sa décision, de telle sorte qu’il peut être hasardeux de prédire les chances de recevabilité de futurs pourvois.

Enfin, la doctrine notait déjà la tendance du juge administratif à adopter une conception assez extensive de l’acte détachable, au point d’admettre souvent, la recevabilité de recours dirigés contre des décisions individuelles simplement insusceptibles de se rattacher à une procédure d’imposition16. Dans ce contexte, il peut sembler opportun que le Conseil d’État indique plus précisément les éléments permettant d’identifier les effets notables autres que fiscaux, afin de limiter les divergences d’appréciation auxquelles peuvent être confrontés les juges du fond. Mais ce serait priver ce critère de son utilité. En effet, le critère apparaît purement fonctionnel, de telle sorte qu’il semble plus judicieux pour le juge administratif, de se ménager une certaine marge d’appréciation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Publiée au recueil Lebon.
  • 2.
    CE, 29 juin 1962, Sté des aciéries de Pompey : Lebon 1962, p. 438 ; JCP 1963, III 13026, concl. Poussière, note Tourdias ; RSF 1964, chron. Lalumière, p. 391.
  • 3.
    Il peut s’agir d’ordonnances : CE, 27 juill. 1984, n° 51551 : RJF 11/84, n° 1369 ; de décrets et arrêtés, d’instructions et circulaires : CE, 28 nov. 2003, n° 246501 : RJF 2 avr., n° 178, concl. Collin P. ; BDCF 2 avr., n° 28 ; ou encore d’actes des organes délibérants des collectivités territoriales : CE, 27 juin 1990, n° 79934.
  • 4.
    CE, 30 juin 1997, n° 178742, Min. c/ SA Sectronic : Dr fisc. 1997, 50, comm. 1301 ; RJF 8-9/97, n° 776, concl. Arrighi de Casanova J., p. 511.
  • 5.
    TA Lyon, 11 oct. 2016, n° 1305752.
  • 6.
    CAA Lyon, 12 avr. 2018, n° 16LY03896.
  • 7.
    CE, 2 déc. 2016, n° 387613, Min. c/ Sté Export Press ; Éveillard G., « Le régime contentieux des rescrits », JCP A 2017, 2143, n° 22 ; Plessix B., « Le contentieux d’un rescrit fiscal », RFDA 2017, p. 351 et s. ; Bezzina A.-C., « À propos du nouveau recours pour excès de pouvoir contre le rescrit : retour sur les paradoxes de la subjectivisation du droit fiscal », RFFP 2017, p. 277 et s. ; Perrotin F., « Recours pour excès de pouvoir et rescrit fiscal », LPA 17 janv. 2017, n° 123e0, p. 4 et s.
  • 8.
    De la Mardière C., Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l’impôt, 2002, Paris, LGDJ, Bibliothèque de science financière, 343 p.
  • 9.
    CE, 10 mars 1967, Min. c/ Sté Samat : Lebon 1967, p. 113 – CE, 19 mars 2001, n° 176693, SA Eurpal France.
  • 10.
    CE, 12 févr. 1992, n° 56856, Engelhard : RJF 4/92, n° 558.
  • 11.
    CE, 1er déc. 1989, n° 58896, SNED : RJF 1/90, n° 45.
  • 12.
    CE, 28 févr. 1913, Breil : Lebon 1913, p. 289.
  • 13.
    Collet M. et Collin P., Procédures fiscales. Contrôle, contentieux et recouvrement de l’impôt, 3e éd., 2017, Paris, PUF, Thémis droit, p. 291.
  • 14.
    CE, 2 déc. 2016, n° 387613, Min. c/ Sté Export Press.
  • 15.
    CE, 8 sept. 1999, n° 196426.
  • 16.
    Chapus R., Droit du contentieux administratif, 2004, Paris, Montchrestien, p. 688.
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