Recours pour excès de pouvoir et rescrit fiscal

Publié le 17/01/2017

Le Conseil d’État vient d’ouvrir une nouvelle voie de recours en matière de rescrit fiscal.

La procédure de rescrit permet à un contribuable de demander à l’Administration de prendre position sur l’application d’un texte fiscal à sa situation, et de se prévaloir ensuite de cette réponse dans le cadre de la procédure d’imposition. Après avoir rappelé que les rescrits fiscaux ne peuvent, en principe, pas être contestés par le contribuable, le Conseil d’État a posé une exception à ce principe lorsque l’application de la position prise par l’Administration entraînerait sur la situation du contribuable des effets notables autres que fiscaux.

Outil de dialogue

Outil de dialogue avec l’administration fiscale, la procédure de rescrit permet de sécuriser les positions fiscales de l’entreprise. Cette procédure permet d’interroger l’Administration afin d’obtenir de sa part une prise de position formelle sur une situation de fait (LPF, art. L. 80 B).

Il n’existe pas de définition juridique de la notion même de rescrit fiscal. Le rescrit fiscal est une conséquence du principe de sécurité juridique. Les différents régimes de rescrit fiscal se rattachent essentiellement à l’article L. 80 A du LPF, qui prévoit qu’« il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’Administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’Administration ». Le second alinéa de cet article prévoit par ailleurs qu’un tel rehaussement est a fortiori impossible lorsque le redevable fait application d’un texte fiscal conforme à une instruction ou à une circulaire de l’Administration. Le rescrit fiscal se présente donc comme une conséquence du principe de sécurité juridique et plus précisément du principe de confiance légitime du redevable.

Outre le rescrit fiscal général permettant d’interroger l’administration fiscale sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal quel qu’il soit, il existe de nombreux rescrits spécifiques comme le rescrit mécénat qui vise à vérifier l’éligibilité d’un don au dispositif du mécénat ou à la réduction d’impôt sur le revenu prévue à l’article 200 du CGI (LPF, art. L. 80 C) ; le rescrit valeur qui permet de sécuriser la détermination de la valeur d’une entreprise en cas de donation par le dirigeant (LPF, art. L. 18) ou celui qui permet d’obtenir un accord préalable sur la méthode de calcul du prix de transfert (LPF, art. L. 80 B, 7°), etc.

Publication des rescrits majeurs

Depuis le 12 septembre 2012, le BOFiP-Impôts, consultable sur le site de l’administration fiscale (www.impots.gouv.fr), consolide tous les commentaires de l’administration fiscale (législation, jurisprudence, réponses ministérielles, prises de positions individuelles, etc.). Certaines des positions prises par l’Administration en réponse à des demandes de rescrit sont ainsi mutualisées au profit de l’ensemble des contribuables. Elles sont intégrées dans le cadre des commentaires doctrinaux mis en ligne dans le BOFiP-Impôts, soit sous la forme d’exemples d’application de la règle de droit par la référence aux situations concrètes évoquées dans la demande de rescrit qui est alors anonymisée (483 exemples au 31 décembre 2015), soit, le plus souvent, directement sous la forme de précisions doctrinales sans référence à la demande de rescrit.

Le droit à un deuxième examen de la demande de rescrit

Depuis le 1er juillet 2009, il est possible de solliciter un deuxième examen de la demande de rescrit. Cette seconde prise de position formelle de l’Administration peut être sollicitée lorsque le contribuable estime que l’Administration n’a pas initialement correctement apprécié sa situation de fait au regard de l’application d’un texte fiscal.

Cette mesure votée dans le cadre de la loi de finances pour 2008 correspondait à l’une des recommandations de la commission Fouquet relative à la sécurité juridique en matière fiscale. La commission proposait d’organiser un recours sur les rescrits sur le modèle du référé précontractuel en matière de marchés publics, qui se déroulerait en premier et dernier ressort devant le juge administratif, le Conseil d’État restant juge de cassation. Elle proposait comme alternative un recours en la forme administrative devant un collège composé de hauts fonctionnaires ou devant le comité fiscal et douanier ou encore devant le comité consultatif pour la répression des abus de droit (désormais nommé le comité des abus de droit). Bercy a fait le choix d’une commission administrative. La demande de réexamen doit intervenir dans le délai de deux mois suivant la réponse de l’Administration. L’Administration procède à ce nouvel examen de manière collégiale (LPF, art. L. 80 CB). À sa demande, le contribuable ou son conseil peut être entendu par ce collège. Ce recours est ouvert à l’ensemble des rescrits (rescrit général et rescrits spécifiques) à l’exception du rescrit demandé sur l’application de la théorie de l’abus de droit (rescrit général sur l’application de l’article L. 64 du LPF). Cette seconde prise de position bénéficie des mêmes garanties et obéit aux mêmes règles et délais que ceux applicables à la demande initiale, apportant au contribuable une position définitive de l’Administration dans un délai très court.

Environ 2,3 % des positions prises par les services territoriaux font l’objet d’une demande de second examen1. Les demandes de second examen sont concentrées sur les rescrits sollicités par les organismes sans but lucratif (lucrativité et mécénat) et sur des cas de rescrit général. À ce titre, les rescrits relatifs au statut de jeune entreprise innovante ou de crédit d’impôt recherche font l’objet d’une proportion plus importante de demandes de second examen. Au 31 décembre 2015, 440 avis ont été rendus par les collèges territoriaux de second examen (contre 482 en 2014). La part de contribuables ayant souhaité être entendus est stable par rapport à 2014 et représente plus de 69 % des demandes de second examen. Dans 22,5 % des cas, le collège a pris une position différente de celle retenue dans l’avis délivré initialement par l’Administration.

Et maintenant la possibilité d’introduire un recours pour excès de pouvoir

Après avoir rappelé que les rescrits fiscaux ne peuvent en principe pas être contestés par le contribuable, le Conseil d’État vient de poser une exception à ce principe lorsque l’application de la position prise par l’Administration entraînerait pour le contribuable concerné des effets notables autres que fiscaux.

En l’espèce, la société Export Press a demandé à l’administration fiscale, sur le fondement de la procédure générale de rescrit prévue au 1° de l’article L. 80 B du LPF, si elle pouvait soumettre les ventes de huit revues qu’elle édite au taux réduit de la TVA applicable aux livres. Par huit lettres, le directeur régional des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris a répondu que ces différentes revues ne pouvaient être qualifiées de livres au sens du 6° de l’article 278 bis du CGI et que leur vente relevait donc du taux normal de la TVA. La société Export Press a introduit des recours devant le tribunal administratif de Paris contre ces réponses, qui ont toutes été rejetées. La cour administrative d’appel de Paris a annulé ces jugements ainsi que les décisions du directeur régional des finances publiques d’Île-de-France, estimant que la société pouvait bénéficier du taux réduit de TVA.

Le Conseil d’État a été saisi des pourvois en cassation formés par le ministre de l’Économie et des Finances contre les arrêts de la cour administrative d’appel de Paris.

Le Conseil d’État a rappelé que, si, en principe, il n’est pas possible de former un recours direct contre ces décisions compte tenu de la possibilité pour le contribuable de contester les impositions mises à sa charge dans le cadre d’un recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt, il en va autrement lorsque la prise de position de l’Administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraînerait pour ce dernier des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie d’un recours de plein contentieux ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Tel est par exemple le cas lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l’Administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important ou de l’amener à le modifier substantiellement. Ainsi, le Conseil d’État a précisé que, eu égard aux enjeux économiques qui les motivent, les prises de position défavorables de l’Administration dans le cadre de certaines procédures spécifiques de rescrit étaient réputées pouvoir faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Lorsque les conditions d’ouverture d’un tel recours sont remplies, le contribuable qui entend contester une prise de position de l’Administration en réponse à sa demande de rescrit selon cette procédure doit préalablement la saisir d’une demande de second examen sur le fondement de l’article L. 80 CB du LPF décrite ci-avant. Le Conseil d’État a en effet précisé que cette demande de second examen sera un préalable obligatoire à un recours pour excès de pouvoir contre le rescrit. Dans la mesure où il était raisonnable de penser que les contribuables n’avaient pu anticiper le caractère obligatoire de ce second examen préalablement à la saisine du juge de l’excès de pouvoir avant sa décision du 3 décembre dernier, le Conseil d’État a toutefois décidé que cette formalité ne serait exigée que pour les demandes présentées postérieurement à celle-ci. En l’espèce, l’application du taux normal de TVA aux revues éditées par la société Export Press était de nature à pénaliser significativement ses ventes. Le Conseil d’État a donc estimé que les réponses apportées par le directeur des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris à ses demandes de rescrit étaient susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État a confirmé les arrêts de la cour administrative d’appel de Paris et rejeté les huit pourvois du ministre de l’Économie et des Finances. La société Export Press pourra donc bénéficier du taux réduit de TVA sur la vente des huit revues concernées par ses demandes de rescrit.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Chiffres 2015.
  • 2.
    Source : DGFiP, Rapport sur l’activité en matière de rescrit, 2014.