TUP : application du mécanisme de correction prévu par la jurisprudence Quemener

Publié le 25/07/2017

Pour le juge administratif, il n’y a pas lieu d’appliquer le traitement prévu dans l’arrêt Quemener du Conseil d’État dans le cadre d’une confusion de patrimoine lorsqu’il n’existe pas de situation de double imposition.

La cour administrative d’appel de Paris1 vient de préciser qu’en l’absence de double imposition, c’est à tort que les premiers juges du tribunal administratif de Paris2 ont admis le bien-fondé de la correction appliquée conformément à la jurisprudence Quemener3 rendue en 2000. Cette décision est en cohérence avec l’arrêt Lupa du Conseil d’État rendu en 20164.

La jurisprudence Quemener

Afin d’assurer la neutralité fiscale et éliminer tout risque de double imposition ou de double déduction, le Conseil d’État a, dans le cadre d’un arrêt Quemener rendu en matière de plus-value professionnelle, institué un mécanisme de correction du prix de revient des parts de sociétés de personnes. Pour le calcul de la plus-value de cession de ces parts, leur valeur d’acquisition doit être ajustée à la hausse du montant des bénéfices rattachés aux bases d’imposition de l’associé ainsi que des pertes qu’il a comblées et ajustées à la baisse du montant des déficits qu’il a déduits, ainsi que des bénéfices qui lui ont été distribués par la société de personnes. En 2005, un arrêt Barradé5 est venu préciser que ce principe trouvait également à s’appliquer en matière de plus-values non professionnelles. Enfin dans deux réponses ministérielle Biancheri6 et Gard7 de 2006, l’administration a énoncé comme principe que désormais, le mécanisme de correction du prix de revient des parts, issu de la jurisprudence Quemener, a donc vocation à s’appliquer à l’ensemble des plus ou moins-values de cession de parts de sociétés de personnes, quelles que soient la qualité des associés (professionnels ou simples apporteurs de capitaux) et la nature de l’activité de la société. Un rescrit de 20078, par ailleurs repris dans la documentation administrative, a également conclu que la plus-value ou moins-value professionnelle dégagée du fait de la TUP doit être déterminée conformément à la jurisprudence Quemener du Conseil d’État « à partir du prix d’acquisition des parts majoré du montant des bénéfices imposés et des pertes comblées par l’associé et minoré des bénéfices distribués et des pertes subies ». Le Conseil d’État a encore récemment confirmé la solution.

L’apport de la jurisprudence Lupa

L’acquéreur d’une société translucide à prépondérance immobilière peut réévaluer sans impact fiscal les actifs immobiliers sous-jacents en procédant à la dissolution sans liquidation de la société peu de temps après son acquisition. La neutralité fiscale de cette opération est opérée grâce à l’application de la jurisprudence Quemener. Si le Conseil d’État a confirmé que la jurisprudence Quemener peut s’appliquer à une transmission universelle de patrimoine portant sur des sociétés civiles immobilières ayant préalablement procédé à la réévaluation de leurs actifs, avec la jurisprudence Lupa il a apporté une nuance de taille à cette règle en précisant qu’elle ne doit s’appliquer que dans le but d’éviter une double imposition effective pour la société qui réalise la dissolution.

Le 28 mars 2006, la société anonyme de droit luxembourgeois Lupa SA a cédé à la société Lupa Patrimoine France la totalité des titres de sept sociétés anonymes de droit luxembourgeois, dont les actifs étaient eux-mêmes constitués par les titres de sept sociétés civiles immobilières françaises détenant chacune un immeuble en France. Consécutivement à cette opération de cession au bénéfice de la société Lupa Patrimoine France, cette dernière a décidé la dissolution sans liquidation des sept sociétés de droit luxembourgeois le 29 mars 2006, puis la dissolution sans liquidation des sept SCI françaises le 31 mars suivant, celles-ci ayant procédé la veille à la réévaluation libre de leurs actifs. Cette opération a généré un produit exceptionnel ayant concouru aux résultats excédentaires des SCI, d’un montant global de 52 829 054 euros, en portant la valeur comptable des immeubles qu’elles détenaient alors de 50 560 000 euros à 131 420 107 euros, valeur reprise par la société requérante à son bilan le 4 mai 2006, date d’effet de la transmission universelle du patrimoine, à son profit, des sept SCI françaises. En conséquence de cette transmission universelle de patrimoine, la société Lupa Patrimoine France a procédé à l’annulation des titres des SCI inscrits à l’actif de son bilan. Pour déterminer la plus-value en résultant, elle a fait application du principe dégagé par l’arrêt Quemener en date du 16 février 2000 du Conseil d’État, ce qui lui a permis de majorer le prix de revient de ces titres de la somme de 53 629 533 euros, égale aux résultats fiscaux des SCI de 52 829 054 euros, majorés du mali de liquidation de 967 977 euros dégagé lors de la transmission universelle du patrimoine des sept sociétés luxembourgeoises et diminués du boni de liquidation de 167 498 euros dégagé à l’occasion de la transmission universelle des SCI françaises. Ce calcul a été remis en cause par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit. Dans le cadre de la procédure d’appel, l’administration fiscale a renoncé à justifier l’imposition sur le fondement de l’abus de droit et demandé que le redressement soit fondé sur une nouvelle base légale, au motif que la jurisprudence Quemener n’est pas applicable aux opérations de confusion de patrimoine portant sur des titres de SCI ayant préalablement procédé à la réévaluation des immeubles détenus. Cette position a été entérinée par le Conseil d’État. Le Conseil d’État relève que les SARL requérantes ne contestaient pas ne pas avoir fait l’objet elles-mêmes d’une double imposition fiscale des plus-values constatées sur les immeubles lors de leur réévaluation par les SCI. Dès lors, conclut le Conseil d’État, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les règles de retraitement devaient, en l’espèce, conduire à majorer le prix d’acquisition des parts des sociétés civiles immobilières du montant du bénéfice tiré de la réévaluation des immeubles inscrits à leur actif au motif que l’écart de réévaluation avait été fiscalement appréhendé par les sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France, sans rechercher si la plus-value avait déjà été imposée au nom des sociétés françaises au titre de l’annulation des titres des sociétés civiles immobilières. L’arrêt attaqué est donc annulé et l’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel.

Une nouvelle application de la jurisprudence Quemener

La société Fra SCI a été créée le 18 avril 2008, sous la dénomination sociale Fra SCI 2, par la société luxembourgeoise French Residential Acquisitions SARL et par la SAS French Residential Acquisitions. Le 10 juin 2008, la société French Residential Acquisitions SARL lui a apporté en nature les titres d’une société civile, initialement de droit monégasque et devenue de droit français le 6 juin précédent, dénommée Foncière Costa, dont l’objet était de détenir et donner à bail un ensemble immobilier sis 35 et 37 avenue George V à Paris (VIIIe). À partir d’une estimation de la valeur vénale de l’immeuble du 35, fixée à 22 593 401 euros, les titres ont été valorisés, dans le traité d’apport dressé sous seing privé et daté du 10 juin 2008, pour 23 000 000 euros. Le 27 novembre 2009, la société Foncière Costa a décidé tout à la fois de clôturer son exercice courant par anticipation, soit au 30 novembre, et de procéder à une réévaluation libre de son actif, fixant à 15 810 000 euros, à partir d’un rapport d’expertise, la valeur de l’immeuble du 35, alors inscrit à son bilan pour 1 817 437 euros. Ainsi est né un profit de réévaluation égal à 13 992 563 euros. Le 21 décembre 2009 et après avoir acquis pour 15 484 euros l’unique part de la SCI Foncière Costa qui n’était pas en sa possession, la société Fra SCI en a décidé la dissolution avec transmission universelle de son patrimoine, avec date d’effet fiscal anticipée au 1er décembre de la même année. Cette décision est intervenue alors que, par application des dispositions du 2e alinéa de l’article 209-I du Code général des impôts, le premier exercice de la requérante, ouvert le 18 avril 2008, n’était pas encore clôturé. Pour déterminer le résultat imposable de l’exercice clos en 2009, la société Fra SCI a, notamment, dans un premier temps, retenu, sur la base de 13 992 563 euros, le bénéfice issu de l’écart de réévaluation majoré du produit réalisé par Foncière Costa pour 6 442,87 euros et, dans un deuxième temps, déduit les pertes réalisées par Foncière Costa en 2009 pour un montant de 426 431 euros. Elle a évalué la moins-value née de l’annulation des titres de la SCI Foncière Costa en effectuant la différence entre la valeur des actifs transférés et la valeur d’acquisition desdits titres majorée notamment de l’écart de réévaluation dont s’agit, calculé sur la base de 13 992 563 euros.

Une substitution de base légale

La société Fra SCI a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2009 et 2010 ainsi que des pénalités y afférentes, pour un montant total de 11 196 604 euros. Le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande. Le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Fra SCI, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires résultant de la réintégration dans son bénéfice imposable, au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2009, de la somme de 24 036 399 euros. L’administration fiscale s’est pourvue en appel afin d’obtenir l’annulation de ce jugement et que soit remise à la charge de la société Fra SCI les impositions dont les premiers juges ont prononcé la décharge, dans la limite, en droits et pénalités de 3 029 331 euros au titre de l’année 2009 et 546 039 euros au titre de l’année 2010. Renonçant à l’imposition sur le fondement de l’abus de droit, l’administration fiscale a sollicité une substitution de base légale. Elle a en outre souhaité limiter la base rectifiée de l’intéressée aux montants respectifs de 6 027 122 euros et de 1 121 997 euros au titre des exercices clos en 2009 et 2010, et de substituer les pénalités pour manquement délibéré aux pénalités pour abus de droit initialement appliquées.

Précisant que le mécanisme de correction issu de la jurisprudence Quemener est conditionné à la constatation d’une double imposition ou d’une double déduction, l’administration fiscale avançait que la société ayant acquis les titres de la SCI Foncière Costa pour un prix incluant la plus-value de réévaluation et les ayant inscrites à son bilan pour leur valeur réévaluée, la double imposition était évitée. Pour le service, l’enchaînement et la technicité des opérations ainsi que l’importance du produit dont la taxation a été évitée établissait l’existence d’un manquement délibéré. Elle précisait en outre que la société ne pouvait se prévaloir du rescrit n° 2007-54 FE du 11 décembre 2007 sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales. Enfin, elle ajoutait que le taux de l’intérêt de retard ne lui conférait pas la nature d’une sanction.

La position de la cour administrative d’appel

Pour les juges d’appel, la substitution de base légale ne prive le contribuable d’aucune des garanties attachées à la procédure d’imposition, faute notamment de question de fait susceptible d’être soumise à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires. Dans le cas où une société vient à retirer de l’actif de son bilan, à la suite d’une cession ou de la dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine prévue à l’article 1844-5 du Code civil, les parts qu’elle détenait jusqu’alors dans une société relevant du régime prévu à l’article 8 du Code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d’acquisition, majorée en premier lieu, d’une part, de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l’associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d’application du régime visé ci-dessus, d’autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d’une part, des déficits que l’associé a déduits pendant cette même période, à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif et, d’autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l’associé.

Cette règle a pour objet d’assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale, compte tenu de la nature spécifique du régime prévu à l’article 8 du CGI. Elle trouve notamment à s’appliquer à la quote-part de bénéfices revenant à l’associé d’une société soumise à ce régime lorsque ces bénéfices résultent d’une réévaluation des actifs sociaux, qu’elle soit opérée par l’administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle et ait pour effet d’accroître rétroactivement la base d’imposition de la société au titre de la période d’imposition close par la dissolution de la société et l’annulation consécutive des parts détenues par l’associé ou que cette réévaluation intervienne au moment de la dissolution de la société soumise au régime spécifique. Cette règle ne peut néanmoins trouver à s’appliquer que pour éviter une double imposition de la société qui réalise l’opération de dissolution.

En l’espèce, l’apport à la société Fra SCI des parts sociales composant le capital de la société Foncière Costa a été valorisé pour 23 000 000 euros sur la base de l’actif net réévalué de cette dernière, incluant notamment la valeur vénale de l’immeuble situé 35 avenue Georges V à Paris. La réévaluation de cet immeuble ayant déjà été prise en compte dans le prix d’acquisition, la circonstance que le profit de réévaluation ait été fiscalement appréhendé par la société Fra SCI conformément à l’article 8 du CGI ne saurait révéler à elle-seule aucune double imposition entre les mains de cette dernière. La société Fra SCI n’était, dès lors, pas fondée à majorer une nouvelle fois le prix d’acquisition à hauteur du montant dudit profit. C’est donc à tort que les premiers juges ont estimé qu’elle était en droit d’évaluer la plus ou moins-value née de l’annulation des titres de la SCI Foncière Costa en effectuant la différence entre la valeur des actifs transférés et la valeur d’acquisition desdits titres majorée notamment de l’écart de réévaluation dont s’agit et à accorder, pour ce motif, la décharge des impositions en litige.

Eu égard aux règles qui conditionnent la mise en œuvre du mécanisme de correction issu de la jurisprudence Quemener à l’existence d’une double imposition, la société Fra SCI ne saurait utilement se prévaloir de ce qu’elle a acquis les titres de la société Foncière Costa pour leur valeur réelle, ni invoquer le traitement fiscal dont aurait bénéficié l’apporteur des parts de la société Foncière Costa dans l’hypothèse où il aurait procédé, avant l’apport, à la réévaluation de ces parts, hypothèse qui aurait d’ailleurs conduit à la taxation entre ses mains du produit de réévaluation. La circonstance que l’apporteur serait, dans l’hypothèse inverse, assujetti à une plus-value de cession et l’acquéreur à une plus-value de réévaluation portant sur le même montant est également inopérante, le mécanisme de correction susmentionné n’ayant pour objet que de faire obstacle à une double imposition du même contribuable. Dès lors qu’il est constant que le prix d’acquisition de la société Foncière Costa incluait déjà la valeur réévaluée de ses actifs, le moyen tiré des difficultés de mise en œuvre des règles susmentionnées en cas d’incertitude sur le contenu de la valeur d’apport et dans l’hypothèse où cette valeur est déterminée à partir de l’estimation des bénéfices futurs est dépourvu de portée.

Le manquement délibéré n’est pas démontré

L’intérêt de retard institué par les dispositions de l’article 1727 du CGI vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l’État à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l’impôt aux dates légales. Si l’évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d’une sanction, dès lors que son niveau n’est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié. Le moyen tiré de ce que l’intérêt de retard, en raison de son taux supérieur à celui de l’intérêt légal, serait constitutif d’une sanction ne peut, dès lors, qu’être écarté. Aux termes de l’article 1729 du CGI, les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État entraînent l’application d’une majoration de 40 % en cas de manquement délibéré. En se bornant à invoquer l’enchaînement et la technicité des opérations ainsi que l’importance du produit dont la taxation a été évitée, alors qu’il résulte de l’instruction qu’à la date de dépôt de la déclaration afférente aux résultats en cause, les modalités de mise en œuvre du mécanisme de correction faisaient l’objet d’interrogations, l’administration ne peut être regardée comme établissant le caractère délibéré du manquement commis par la société Fra SCI. La base imposable à l’impôt sur les sociétés de la société Fra SCI est donc fixée respectivement au titre des exercices clos en 2009 et 2010 à 6 027 122 euros et 1 121 997 euros. Les montants d’impôt sur les sociétés correspondant à ces bases sont remis à la charge de l’intéressée dans la seule limite des droits et intérêts de retard.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Paris, 17 mai 2017, n° 16PA01892.
  • 2.
    TA Paris, 11 févr. 2016, n° 1401026/1-2.
  • 3.
    CE, 16 févr. 2000, n° 133296, Quemener.
  • 4.
    CE, 6 juill. 2016, nos 377904 et 377906, Société Lupa.
  • 5.
    CE, 9 mars 2005, n° 248825, Baradé.
  • 6.
    RM Biancheri : AN 31 janv. 2006, p. 985, n° 66675.
  • 7.
    RM Gard : AN 31 janv. 2006, p. 985, n° 66494.
  • 8.
    RES n° 2007/54 du 11 déc. 2007 – Bofip, BOI-BIC-PVMV-40-30-20 n° 90.
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