Avantage matrimonial : attention au nouvel abus de droit

Publié le 02/07/2019

La nouvelle procédure d’abus de droit, applicable aux actes passés à partir du 1er janvier 2020, pourra-t-elle s’appliquer aux changements de régime matrimonial qui ont pour effet d’alléger les droits de donation dus dans le cadre d’une transmission en ligne directe des époux ?

Les couples désireux de procéder à un changement de régime patrimonial, risqueraient-ils de tomber dans le champ du nouvel abus de droit ? En attendant une éventuelle confirmation de ce risque par l’administration, une partie de la doctrine se veut prudente. Les explications de Jean-François Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu.

La nécessaire protection du conjoint du chef d’entreprise

Le changement de régime matrimonial au cours de la vie du couple, permet de mettre en place une protection sur-mesure du conjoint survivant. Avec les avantages matrimoniaux, il est possible de rééquilibrer les patrimoines respectifs des deux époux. Les couples au sein desquels un époux est chef d’entreprise pratiquent ce changement de régime matrimonial. En effet, au début de la vie du couple, il lui est souvent conseillé d’adopter un régime séparatiste, qui va protéger le patrimoine et les revenus du conjoint.  Les risques encourus par le chef d’entreprise sur son patrimoine, notamment lorsqu’il se porte caution ou engage sa responsabilité, n’entachent pas le patrimoine ni les revenus du conjoint. À noter que peu de couples utilisent cette précaution : la majorité reste soumise au régime légal de communauté réduite aux acquêts, dans lequel les salaires tombent dans la communauté, et donc dans le spectre du droit des créanciers.

Sous un régime séparatiste, la frontière entre les patrimoines des époux est parfaitement étanche. Par conséquent, la protection du conjoint du chef d’entreprise au risque de l’entreprise a pour corollaire que le même conjoint ne bénéficie pas de l’enrichissement en cas de prospérité de l’entreprise. Il est donc conseillé aux couples, lorsque le risque de l’aventure entrepreneuriale est dépassé, de faire évoluer le régime matrimonial vers un régime communautaire. Il est possible de « faire tomber dans une communauté ad hoc cet enrichissement, par exemple avec l’adjonction d’une société d’acquêts au régime initial de séparation de biens », explique Jean-Francois Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu.

Donation cession d’entreprise

Cet avantage matrimonial peut produire une conséquence fiscale pas tout à fait neutre au regard d’un projet de donation ou cession de l’entreprise. Selon Jean-Francois Lucq « il est fréquent qu’une cession d’entreprise soit précédée d’une donation de tout ou partie des titres, car celle-ci a pour avantage de rehausser le prix de revient fiscal, et d’effacer à due concurrence la plus-value latente. La contrepartie de cette opération est l’acquittement de droits de donation, dont le taux est progressif, et fonction du montant donné ».

Or lorsque l’entreprise est un bien propre de l’un des époux, les droits qu’auront à supporter les enfants donataires de l’entreprise peuvent atteindre rapidement des niveaux élevés, puisque la progressivité va jouer à plein (CGI, art. 777). Au contraire, si l’entreprise est un bien commun, elle est transmise par moitié par chaque conjoint. Résultat : les enfants bénéficient deux fois de l’abattement personnel de 100 000 euros (CGI, art. 779) et des tranches de droits les plus basses du barème. Ainsi dans le cas d’une donation d’entreprise les droits sont calculés sur les titres donnés d’une valeur de 5 millions d’euros. Si la transmission s’effectue d’un parent à un enfant, les droits s’élèvent à près d’1,967 million d’euros. Si la transmission du même montant, s’effectue par deux parents, le montant des droits ne serait que d’1,685 million d’euros. L’économie fiscale s’élève à 282 000 euros.

« Il est donc fréquent de voir une cession d’entreprise précédée de deux opérations : un changement de régime matrimonial, visant à faire de l’entreprise un bien commun aux deux époux, puis une donation aux descendants par les deux parents. Cette stratégie n’a pas à ce jour généré de contestation de l’administration. En effet, au regard des textes en vigueur, le changement ne peut être vu comme ayant un motif exclusivement fiscal, seul cas possible d’incrimination en matière d’abus de droit. En effet, l’époux bénéficiant de la mise en communauté du bien bénéficiait d’un avantage qui, le plus souvent, ne se limitait pas au bien ensuite donné aux descendants. C’était ainsi le cas s’il bénéficiait d’une mise en communauté d’autres biens, comme la résidence principale, ou bien encore lorsqu’il ne donnait aux enfants que la nue-propriété des titres dont il était devenu plein propriétaire », explique Jean-François Lucq.

Le nouvel abus de droit fiscal

À compter du 1er janvier 2021, à raison d’actes passés à partir du 1er janvier 2020, l’administration pourra remettre en cause une opération à motif principalement fiscal. En effet, dans le cadre de la loi de finances pour 2019, le législateur a institué une nouvelle procédure d’abus de droit, codifiée à l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales (LPF), permettant à l’administration d’écarter comme ne lui étant pas opposables « les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

Par conséquent, selon Jean-François Lucq, on peut imaginer que « l’administration pourra contester le changement de régime matrimonial sur le terrain de l’abus de droit, avec le risque d’un contentieux ultérieur incertain et complexe ». Dès lors, « les opérations réalisées avant la fin de l’année devraient rester sécurisées ». Dans ce contexte, « le 1er janvier apparaît de plus en plus clairement comme la date butoir de mise en place d’un grand nombre de stratégies d’optimisation » !

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