Bitcoins : le Conseil d’État précise le régime d’imposition à l’impôt sur le revenu

Publié le 24/07/2018

Avec le développement de la cryptomonnaie, s’est posée la question de sa taxation. Le régime, fixé par l’administration, a été contesté devant les juridictions administratives et le Conseil d’État vient d’apporter d’utiles précisions. Décryptage avec Me Stéphanie Némarq-Attias, avocate au cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats.

Avec plus de 1 000 % sur 12 mois, le cours du bitcoin a flambé en 2017, offrant à certains de ses détenteurs de beaux profits. Ces particuliers ont dû déclarer leurs revenus en juin dernier. Justement, leur traitement fiscal vient d’être clarifié par le juge, celui-ci ayant opté pour une solution adaptée à la réalité des placements réalisés par les investisseurs en bitcoins.

Le Conseil d’État (CE, 26 avr. 2018, nos 417809, 418030, 418031, 418032 et 418033) a admis que ces gains puissent constituer des plus-values sur biens meubles, taxées à 19 %, et dans certains cas seulement, des revenus d’activité soumis au barème progressif.

Définition juridique et régime fiscal

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle, stockée sur un support électronique, permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal. Ils peuvent être acquis gratuitement en contrepartie d’une participation au fonctionnement du système, ou à titre onéreux sur des plates-formes internet créées afin de permettre l’achat et la vente de bitcoins contre de la monnaie ayant cours légal.

« Faute de loi précisant la fiscalité applicable à la cession de bitcoins par des particuliers, le cadre fiscal avait été posé par l’administration fiscale dans un BOI du 11 juillet 2014 (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, n° 1080), explique Me Stéphanie Némarq-Attias, avocate au cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats. Il résultait de cette doctrine que les gains de cession, correspondant à une activité habituelle étaient toujours imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Ceux correspondant à une activité occasionnelle devaient être déclarés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) ».

Pour distinguer l’activité habituelle et l’activité occasionnelle, l’administration renvoie à ses critères traditionnels de distinction comme la fréquence des opérations, les délais séparant les dates d’achat et de revente, le nombre d’unités vendues, les conditions de leur acquisition, etc.

Selon Me Stéphanie Némarq-Attias, « cette catégorisation des gains résultait de l’interprétation qu’en faisait l’administration ». « L’émission du nombre de bitcoins étant limitée et déterminée, leur acquisition en vue de leur revente procède d’une intention spéculative », indique la doctrine administrative. « N’oublions pas que dès sa création, cette cryptomonnaie pouvait être acquise en pratiquant le « mining » ou minage », indique Me Stéphanie Némarq-Attias. Il s’agit d’une forme de commerce compétitive consistant à confirmer les transactions réalisées en bitcoins sur une blockchain (mise à disposition des ressources techniques au réseau « Bitcoin » et vérification des transactions entre utilisateurs qui ont lieu partout dans le monde).

Aujourd’hui, le bitcoin constitue également, voire surtout, un investissement. Il est acheté et vendu sur des plate-formes dédiées contre de la monnaie ayant cours légal. Dès lors, le gain issu de sa revente peut s’apparenter à une plus-value mobilière. Telle était la revendication de plusieurs détenteurs, qui ont exercé un recours pour excès de pouvoir contre l’instruction fiscale de 2014.

Un régime insatisfaisant

En pratique, la question s’est posée fin 2017, suite aux importants gains encaissés dans l’année. « Les contribuables les ayant perçus se sont interrogés sur le mode de déclaration de ces gains  : suivre la doctrine administrative qui ne repose sur aucune base légale ou considérer qu’il s’agit de plus-values mobilières et les déclarer comme tels, au risque d’encourir un redressement fiscal  ? », explique Me Stéphanie Némarq-Attias. Certains d’entre eux ont donc choisi d’attaquer la position administrative.

Selon le cabinet d’avocats Bornhauser, auteur du recours, la doctrine administrative « condamne les cryptomonnaies comme classe d’actifs pour les personnes physiques, puisque dans les deux cas, le profit retiré de leur cession va se trouver soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu sans aucun abattement, alors que les plus-values de cession de titres bénéficient aujourd’hui de la flat tax à 30  % (prélèvements sociaux inclus) ». Pour le cabinet, la doctrine administrative confond « « les « mineurs », qui rendent effectivement des services à la plateforme de services adossée à la cryptomonnaie et qui sont rémunérés précisément par attribution d’unités de cette cryptomonnaie (ou « token »), avec les investisseurs qui achètent la cryptomonnaie lorsque celle-ci est cotée sur le marché secondaire (ce qui permet d’ailleurs aux « mineurs » de convertir leurs token en devises ayant cours légal) ».

Les précisions apportées par le Conseil d’État

Dans sa décision du 26 avril, le Conseil d’État (nos 417809, 418030, 418031, 418032 et 418033) a partiellement donné droit à la demande des contribuables. Il estime que « par principe, s’agissant d’opérations occasionnelles, les profits de cession de bitcoins relèvent du régime des plus-values de biens meubles défini à l’article 150 UA du CGI », explique Me Stéphanie Némarq-Attias.

Ce régime, conduit à appliquer un abattement pour durée de détention de 5 % par an, à compter de la 3e année, et à exonérer les plus-values issues de cessions inférieures à 5 000 euros. Surtout, les plus-values ainsi calculées sont taxées au taux forfaitaire de 19 % (auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux). « En y ajoutant les prélèvements sociaux, la taxation peut atteindre 36,2 %, étant précisé que les moins-values ne sont pas prises en compte. En pratique, une déclaration n° 2048-M doit normalement être déposée dans le délai d’un mois à compter de la cession, accompagnée du paiement des droits », explique l’avocate.

Cependant, certaines circonstances propres à l’opération de cession peuvent impliquer que les gains en bitcoins relèvent de dispositions relatives à d’autres catégories de revenus. En effet, les gains issus d’opérations de cession d’unités de « bitcoin » générées par minage, — même en cas de cession unique —, sont susceptibles d’être imposés dans la catégorie des BNC. Dans cette situation, ils ne constituent pas un gain en capital résultant d’une opération de placement mais sont la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement de ce système d’unité de compte virtuelle.

Enfin, lorsqu’ils proviennent de la cession à titre habituel d’unités de « bitcoin » acquises en vue de leur revente — y compris lorsque cette cession prend la forme d’un échange contre un autre bien — dans des conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale, les gains sont imposables dans la catégorie des BIC.

Selon Me Stéphanie Némarq-Attias « après application du barème progressif de l’impôt sur le revenu (selon le régime réel ou micro) et des prélèvements sociaux, la taxation de ces deux types de revenus peut atteindre 62,2 %, auxquels il convient d’ajouter le cas échéant la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 3 ou 4 % ».

Enfin, « la doctrine administrative reste en principe opposable à l’administration pour les gains de cession réalisés avant la décision du Conseil d’État, à savoir le 26 avril, dans les cas où cette règle est plus favorable (si le contribuable relève d’un taux d’imposition au barème inférieur à 19 %, ou s’il peut imputer des moins-values de même nature ou s’il entend bénéficier du régime micro). Si le contribuable pense répondre aux conditions d’application de la taxation forfaitaire à 19 % (plus prélèvements sociaux) pour les cessions supérieures à 5 000 euros, il lui incombe de déposer un imprimé n° 2048-M dans un délai d’un mois ».

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