Covid-19 : détail des mesures fiscales d’urgence
Suspension des procédures fiscales et du recouvrement de certaines dettes fiscales, report d’imposition, échelonnement de dettes fiscales, remise gracieuse : des mesures exceptionnelles ont été prises par le gouvernement pour soutenir les entreprises que la crise économique générée par la crise sanitaire du Covid-19 a pu mettre en difficultés financières.
Quelques jours après avoir décrété le confinement de la population, le 22 mars, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, annonçait des mesures fiscales d’urgence en faveur des contribuables, particulièrement, et des entreprises en difficultés financières. Ces mesures s’appuyant sur le levier financier s’accompagnent de nombreuses autres mesures adaptant les procédures fiscales à la situation exceptionnelle résultant de l’État d’urgence sanitaire. Elles ont été précisées sur certains aspects par 4 des 25 ordonnances publiées au Journal officiel du 26 mars 2020, prises par le gouvernement habilité à légiférer par voie d’ordonnance par la loi d’habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (JO du 24 mars 2020).
Report des impôts directs
La première mesure consiste à repousser les échéances fiscales des impôts directs. Sur simple demande, les entreprises peuvent obtenir un report pur et simple pour une durée de trois mois de paiement des impôts directs à savoir notamment les acomptes d’impôt sur les sociétés (IS), la taxe sur les salaires et les acomptes de cotisation foncière des entreprises (CFE) et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le report est accordé pour une durée de 3 mois. « Ce report n’est évidemment pas assorti de pénalités, ni d’intérêt de retard, précise Richard Foissac, avocat associé de CMS Francis Lefebvre Avocats. En revanche, le délai est de trois mois et il sera nécessaire de s’assurer de la persistance de cette faculté de report au moment des échéances des différents impôts concernés ».
En pratique, les entreprises ayant opté pour la mensualisation de la CFE et/ou de la taxe foncière peuvent résilier le contrat de mensualisation et reporter ainsi le paiement à l’échéance (15 décembre pour la CFE).
Attention, « ces mesures ne concernent pas les impôts collectés pour le compte de tiers, comme la TVA ou l’impôt sur le revenu prélevé à la source », rappelle Richard Foissac.
Prélèvement à la source
Les entreprises individuelles et les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu peuvent moduler le taux et leurs acomptes de prélèvement à la source (PAS) en fonction des revenus estimés pour l’année. Elles peuvent aussi reporter le règlement de leurs acomptes de PAS relatifs à leurs revenus professionnels (BIC, BNC, BA, rémunérations de l’article 62). Le report peut s’effectuer d’un mois sur l’autre jusqu’à 3 fois en cas d’acomptes mensuels et d’un trimestre sur l’autre pour les acomptes trimestriels. Ces démarches peuvent être réalisées à partir de l’espace particulier sur impots.gouv.fr. Toute intervention avant le 22 du mois sera prise en compte pour le mois suivant.
Remboursement accéléré des crédits d’impôts
Les entreprises ayant déjà payé leur acompte d’IS peuvent demander son remboursement par anticipation auprès de leur service des impôts aux entreprises (SIE). Elles peuvent également demander un remboursement anticipé des crédits d’IS restituables en 2020 (crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE – et crédit d’impôt recherche – CIR). Elles peuvent également demander le remboursement des crédits de TVA, laquelle reste en revanche exigible.
Selon Richard Foissac, « le formalisme de la demande est minimal : depuis leur espace professionnel, les entreprises déposent la demande de remboursement n° 2573-SD, la déclaration n° 2069-RCI-SD, et à défaut de déclaration de résultat, le relevé de solde d’IS n° 2572 permettant de liquider l’impôt dû et de constater la créance restituable pour 2020. Surtout, on constate que les remboursements interviennent rapidement, et quasi automatiquement, sans que l’administration n’ait à apprécier la légitimité de la demande, contrairement à la pratique jusque-là constatée notamment pour les importants remboursements de TVA. Il faut s’attendre à ce que des contrôles formels interviennent plus tard ».
Suspension des contrôles fiscaux
Les contrôles fiscaux engagés à la date du 12 mars 2020 sont suspendus sine die. Cette mesure, pratiquée par Bercy de façon informelle dans un premier temps, est traitée indirectement par l’article 10 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (JO 26 mars 2020, texte n° 9). « L’administration s’est engagée à ne pas prendre d’acte de procédure sur ces contrôles fiscaux et à ne pas engager de nouveaux contrôles, indique Richard Foissac, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats. Sur le plan pratique, toutes les réunions programmées avec l’administration fiscale dans le cadre des contrôles fiscaux et des recours hiérarchiques ainsi que les séances prévues de commissions administratives ont été reportées sine die.
Toutefois, rien n’interdit aux professionnels d’accomplir les actes de procédure en cours dans les délais normaux, sans nécessairement reporter ces derniers comme l’ordonnance le permet.
Prolongement des délais de prescription
La suspension des contrôles a un corollaire : tout d’abord, la prescription de l’action en recouvrement des créances dont le recouvrement incombe aux comptables publics est prolongée. L’article 11 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 dispose que les délais applicables en matière de recouvrement et de contestation des créances publiques prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité ou déchéance d’un droit ou d’une action sont suspendus pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de 3 mois.
En effet, l’article 1 de l’ordonnance précitée prévoit que les dispositions générales de prorogation des délais « sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». Pour les délais de prescription, l’article 11 ajoute « un délai de 2 mois suivant la fin de la période » d’état d’urgence sanitaire. Ce qui porte à 3 mois la durée de la prolongation des délais de prescription de l’action en recouvrement à partir du retour à la normale.
Les délais de prescription du droit de reprise de l’administration sont également prolongés. « Pour éviter que l’administration fiscale ne soit en situation de forclusion, son droit de reprise en cours au 12 mars 2020 qui arrive à terme le 31 décembre 2020 (c’est-à-dire par exemple en matière d’IS et d’IR portant sur les revenus de l’année 2017) est prolongé de la durée qui se sera écoulée entre le 12 mars et la cessation de l’État d’urgence, augmentée d’1 mois, indique l’avocat. Il n’y a donc pas « d’effet d’aubaine ». Ceci signifie en pratique qu’un délai de reprise qui arriverait à son terme le 31 décembre 2020 sera étendu de trois mois et 12 jours si la durée de l’état d’urgence reste de deux mois. En revanche, et cela peut paraître surprenant, l’ordonnance ne proroge pas les délais de prescription intervenant postérieurement au 31 décembre 2020 ».
À noter également la suspension, pour la même période de l’ensemble des délais prévus pour les contrôles fiscaux. « Si une proposition de rectification a été notifiée le 14 mars 2020, le délai de 30 jours dont dispose le contribuable pour y répondre est suspendu et ne courra qu’à compter de la fin de la période juridiquement protégée (article 10,1-2). Il en va de même pour tous les délais prévus dans le cadre de la conduite des procédures de contrôle fiscal. Les délais devant les juridictions sont en règle générale prorogés de la même façon. En revanche, la date du 12 mars n’est pas négociable : les délais clos le 11 mars 2020 le restent », précise Richard Foissac.
L’ordonnance suspend également les délais prévus à l’article 32 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, relatif à l’expérimentation de la limitation de la durée des contrôles administratifs sur certaines entreprises (dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes).
La suspension des délais concerne également les rescrits fiscaux. « Le temps que dure l’état d’urgence sanitaire, l’absence de réponse de l’administration dans les délais de droit commun ne doit donc pas être interprétée selon les règles habituelles, qui varient selon le type de rescrit », ajoute l’avocat.
Quid des formalités déclaratives ?
L’ordonnance (art. 10, II) précise expressément que les mesures de suspension de délais ne s’appliquent pas aux déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts droits et taxes. « Bercy avait pourtant annoncé le report du 20 au 31 mai 2020 des déclarations de bénéfices. À notre sens, il faut comprendre l’ordonnance comme ne fixant pas le principe d’un report général des déclarations, mais cela ne prive pas l’administration, de sa propre initiative, d’accorder des reports au cas par cas sans pénalités », estime Richard Foissac.
Par ailleurs, l’ordonnance prévoit deux autres mesures d’exception : l’étalement des dettes fiscales et sociales et même la remise gracieuse d’impôts directs.
Règlement échelonné des dettes fiscales et sociales
Les entreprises qui rencontrent des difficultés financières liées à la pandémie peuvent également solliciter des délais de paiement pour s’acquitter de certaines dettes fiscales qui n’ont pas été acquittées dans les délais légaux pour leur montant total ou partiel, principal et pénalités incluses. Mais la mesure n’exonère pas des intérêts de recouvrement, l’administration considérant qu’ils ne peuvent être liquidés qu’à l’issue du plan et ne peuvent pas faire l’objet de remise.
Ne sont pas exclus du champ de ces demandes, les impôts dus en principal et les pénalités prononcées dans le cadre d’un redressement, et elles ne font pas obstacle le cas échéant à leur contestation si les contribuables les estiment infondées.
Ces procédures sont présentées auprès des comptables publics mais il existe également une autre voie qui est la saisine des commissions départementales des chefs des services financiers.
Sont concernés les professionnels libéraux, les commerçants, les artisans, les agriculteurs et les personnes morales de droit privé (sociétés, associations) ou leur mandataire ad hoc. « Ce droit porte sur toutes les dettes fiscales et sociales (part patronale). La demande doit être adressée à la Commission des chefs de service financiers (CCSF), qui se tient dans chaque département.
Pour solliciter l’échelonnement, l’entreprise doit remplir plusieurs conditions : être à jour du dépôt de ses déclarations fiscales et sociales et du paiement des cotisations et contributions salariales ainsi que du prélèvement à la source et ne pas avoir été condamnée pour travail dissimulé. Pour justifier sa demande, l’entreprise demanderesse doit fournir les documents suivants :
– une attestation justifiant de l’état de difficultés financières ;
– une attestation sur l’honneur justifiant le paiement des parts salariales des cotisations sociales ;
– les 3 derniers bilans ;
– un prévisionnel de chiffre d’affaires HT et de trésorerie pour les prochains mois ;
– un état actuel de trésorerie et le montant du chiffre d’affaires HT depuis le 1er janvier ;
– un état détaillé des dettes fiscales et sociales.
Les très petites entreprises peuvent remplir un dossier simplifié disponible sur le site impots.gouv.fr.
Remises gracieuses exceptionnelles (et protection des comptables publics)
Si les difficultés ne peuvent être résorbées par un plan d’échelonnement des dettes fiscales, les entreprises peuvent demander la remise gracieuse de tout ou partie d’impôts directs (impôt sur les sociétés, CFE, taxe sur les salaires). « Il s’agit de remises partielles ou totales d’impôts dus et non contestés, c’est-à-dire de l’annulation pure et simple en totalité ou en partie d’impositions. Cette mesure exceptionnelle est réservée aux contribuables (dont les entreprises) se trouvant dans des situations critiques, et dans l’impossibilité absolue de régulariser leur situation même avec des délais de paiement.
À noter que la demande en remise ou modération peut porter sur la totalité des pénalités, quel que soit l’impôt en cause. En revanche, s’agissant des impôts eux-mêmes, seuls les impôts directs (impôt sur le revenu, taxe foncière, cotisation foncière des entreprises…) peuvent faire l’objet d’une remise totale ou partielle, les droits d’enregistrement ou la TVA ne pouvant jamais donner lieu à remise.
Compte tenu de l’ensemble de ces dispositions et de leurs conditions de mise en œuvre, le gouvernement a pris une ordonnance spéciale pour déroger aux règles relatives à la responsabilité des comptables publics. En effet, en vertu de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des opérations réalisées dans leur poste comptable. Tout manquement à un des contrôles requis par la réglementation est susceptible d’aboutir, par la voie de la procédure du débet, à ce qu’ils doivent rembourser sur leur patrimoine personnel les sommes concernées.
Cette responsabilité objective, dépourvue de toute notion de faute, a pour objectif une protection rigoureuse des deniers publics. Or l’épidémie de Covid-19 peut mettre certains comptables dans l’impossibilité d’effectuer les contrôles prescrits par la réglementation (comme d’obtenir certaines pièces justificatives permettant de vérifier la régularité de la dépense), ou dans l’obligation de dépasser le périmètre de leur compétence géographique. Avec le dispositif exceptionnel de remise gracieuse, les comptables publics peuvent avoir à s’abstenir de réaliser certaines mesures de recouvrement forcé des impôts et autres recettes publiques. Il convenait donc de protéger les comptables publics d’une éventuelle mise en cause de leur responsabilité (à condition qu’un lien de causalité soit établi entre la crise sanitaire et l’éventuel manquement du comptable). La loi de 1963 précitée prévoit que leur responsabilité est dégagée en cas de force majeure – et dans cette unique hypothèse. En conséquence, a été prise l’ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics (JO 26 mars 2020).
IFI et droits de mutation à titre gratuit : les questions soulevées
À l’approche de l’échéance de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) se pose déjà la question, plus délicate que jamais, de l’évaluation des biens entrant dans le champ de l’impôt. En effet, la loi (CGI, art. 964) apprécie les conditions d’assujettissement au 1er janvier de l’année d’imposition, et donc la valeur des biens à déclarer. « Or une très grande partie des actifs immobiliers de rendement, va subir une dépréciation du fait de la crise et la dégradation des valeurs des sociétés foncières notamment cotées déjà amorcée, va s’aggraver, rappelle Richard Foissac. Leur valeur au 1er janvier n’est pas fidèle à la valeur qu’elles revêtiront, dans quelques semaines, à l’heure de la déclaration de l’IFI. Dans ce contexte, l’application de la règle de droit peut paraître rigide et inadaptée si elle ne permet pas du tout de prendre en considération le caractère exceptionnel des événements que nous traversons ».
Cette situation concerne tous les détenteurs d’actifs immobiliers, qu’ils les détiennent à travers des contrats d’assurance-vie, en direct, via des SCPI, etc. tant au regard de l’IFI que des droits de succession ou de donations. Dès lors, la place s’interroge : « existe-t-il des précédents exceptionnels dans lesquels des événements postérieurs à la date d’exigibilité ont pu être admis à titre de correction de la valeur à retenir ? », soulève l’avocat. À défaut, il faudra interpeller les pouvoirs publics.