La dation en paiement, un dispositif encore méconnu

Publié le 03/06/2020

Retour sur un dispositif fiscal singulier destiné à enrichir les collections du patrimoine.

Imaginé par André Malraux en 1969 lorsqu’il était ministre de la Culture, le mécanisme de la dation en paiement, entré en application pour la première fois en 1972, a permis d’enrichir considérablement les collections de l’État. Instituée par la loi n°68-1251 du 31 décembre 1968 et son décret d’application n°70-1046 du 10 novembre 1970, la dation constitue un mode de paiement exceptionnel permettant de s’acquitter d’une dette fiscale par la remise d’œuvres d’art, livres, objets de collection, documents, de haute valeur artistique ou historique. La Belgique, le Royaume-Uni et la Suisse, notamment disposent de mécanismes d’acquisition similaire. Le dispositif français a été confirmé et étendu par les gouvernements successifs. Avec ce dispositif, codifié à l’article 1716 bis du Code général des impôts (CGI) le contribuable concerné peut s’acquitter de ses droits de succession. Depuis 1973, les droits de mutation à titre gratuit entre vifs et les droits de partage entrent dans le champ d’application de ce texte. La dation en paiement a été étendue en 1982 à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Elle s’applique désormais à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). La procédure de dation ne s’applique pas aux autres impôts directs et indirects. Le dispositif de la dation en paiement a permis l’entrée dans le patrimoine national d’œuvres d’une qualité tout à fait exceptionnelle, parmi lesquelles L’astronome de Vermeer, le Portrait de Diderot de Fragonard, venus enrichir les collections du Louvres, Paysage à Argenteuil de Caillebotte, l’Origine du monde de Courbet, le Déjeuner sur l’herbe de Claude Monet, les Danseuses de Degas exposés au Musée d’Orsay, le Mur d’objets d’André Breton, le Nu aux oranges d’Henri Matisse, désormais conservé au Musée national d’art moderne, ainsi que des œuvres majeures de Bacon, Braque, Calder, ou encore Rothko. Le trésor de Rethel, un magistral ensemble d’orfèvrerie gallo-romaine, le trésor d’orfèvrerie romaine de Boscoreale, des meubles royaux, une grande partie des archives de Viollet-le-Duc et de Claude Lévi-Strauss, mais aussi des manuscrits de Montesquieu, Jules Verne, Marcel Proust, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, la correspondance de Debussy ainsi que des instruments de musique ont également été acquis par dation. Mais les dations en paiement ne se limitent pas aux seules œuvres d’art. Elles ont également permis d’introduire dans les collections publiques, la collection de volcanologie de Katia et Maurice Krafft, la collection de minéraux de Roger Caillois, les archives de Louis de Broglie, des hélicoptères Hiller, des ordinateurs Bull, des prototypes automobiles, ou encore des coléoptères de Camargue parmi lesquels certaines espèces disparues.

Des débuts exceptionnels : la donation Picasso

Le texte de la loi affirme que « tout héritier, donataire ou légataire peut acquitter les droits de succession par la remise d’œuvres d’art, de livres, d’objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique ». Cette disposition a pour objectif de favoriser le maintien des œuvres d’art et objets de collection d’importance patrimoniale sur le territoire national. La première dation de grande envergure, survenue après la mise en place de ce nouveau texte, sous l’égide de Michel Guy, alors secrétaire d’État à la Culture, est à l’origine des collections du musée Picasso, abritées à l’hôtel Salé, un bâtiment du XVIIe siècle. Lorsqu’il décède, le 8 avril 1973, à l’âge de quatre-vingt-onze ans, Picasso laisse derrière lui un héritage considérable, comprenant, entre autres, 1 880 peintures, 1 335 sculptures, 7 089 dessins séparés, environ 200 carnets avec près de 5 000 dessins, 880 céramiques et 20 000 épreuves de gravures. Dès 1973, la collection particulière de l’artiste, comprenant une cinquantaine d’œuvres est donnée à l’État par ses héritiers conformément à son souhait. En 1978, une deuxième donation vient compléter l’ensemble. Elle comprend 150 œuvres. On y trouve des masques africains et océaniens, des œuvres de Le Nain, Corot, Cézanne, Gauguin, Matisse, Renoir, Modigliani, Moro, Degas… En 1979, deux dations successives permettent de créer le musée Picasso. Les négociations entre les héritiers du peintre et Maurice Aicardi, alors président de la Commission interministérielle d’agrément pour la conservation du patrimoine national, ont permis d’établir la liste des pièces retenues. 203 peintures, 158 sculptures, 16 papiers collés, 29 tableaux reliefs, 83 céramiques, environ 1 500 dessins, ainsi que 1 600 gravures, outre un important ensemble de manuscrits constitue le premier fonds du musée à venir. Ces échanges font intervenir trois personnages essentiels : Dominique Bozo, alors conservateur des musées de France, Maurice Rheims, commissaire-priseur en charge de l’inventaire des biens et Pierre Zecri, administrateur judiciaire de la succession. Cinq années auront été nécessaires pour aboutir à ces premières dations en paiement compte tenu de la complexité des questions artistiques, juridiques, fiscales, en jeu. Une troisième dation, de moindre ampleur mais comprenant des œuvres majeures de la dernière période est consentie par les héritiers de Jacqueline Picasso en 1990. En 1992, 200 000 archives personnelles de Picasso sont données au musée par les héritiers du peintre. « Donnez-moi un musée et je le remplirais », la citation de l’artiste trouve tout son sens avec la création de ce musée monographique, d’une ampleur exceptionnelle, dont l’histoire se confond avec celle de la dation en paiement.

Un préalable : l’offre de dation

La procédure de dation en paiement ne peut être initiée que par le dépôt d’une offre de paiement. Elle est subordonnée à un agrément délivré par le ministre chargé du Budget après avis des ministres concernés et, s’agissant de la remise d’objets d’art ou de collection, après avis d’une commission interministérielle. Le contribuable redevable de droits susceptibles d’être réglés par dation doit déposer à la recette des impôts compétente pour, selon le cas enregistrer la déclaration de succession ou l’acte constatant la mutation ou le partage ou recevoir la déclaration d’impôt sur la fortune immobilière prévue à l’article 982 du CGI une demande indiquant la nature et la valeur de chacun des biens qu’elle propose en paiement à l’État. La dation en paiement est possible pour des objets d’art ou de collection de haute valeur artistique ou historique mais également pour des immeubles situés dans les zones d’intervention du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ou des immeubles en nature de bois, forêts ou espaces naturels. Comment apprécier la notion de haute valeur artistique ou historique ? Pour la commission interministérielle, qui instruit les offres de dation, il s’agit soit d’œuvres réalisés par des artistes absolument majeurs comme L’astronome de Vermeer, ou d’œuvres d’art présentant un témoignage sociologique, historique, politique ou religieux ou d’œuvres d’artistes peu connus ou redécouverts. Les ouvres d’artistes contemporains peuvent être acceptés. Cela a été le cas dans le cadre de la succession Jean Dubuffet, par exemple. Jusqu’à récemment les œuvres d’artistes vivants n’étaient pas éligibles au dispositif de dation en paiement. Ce principe a cependant souffert quelques exceptions. Dans tous les cas, la dation ne peut être proposée qu’après l’intervention du fait générateur de l’impôt. Elle ne peut donc être proposée qu’en règlement de droits exigibles et ne peut être mise en œuvre pour acquitter par anticipation des dettes fiscales à venir qui ne sont pas certaines dans leur principe ou dans leur montant. En outre, la procédure n’est applicable que lorsque le montant des droits que l’intéressé propose d’acquitter par dation est au moins égal à 10 000 € au titre de chaque imposition considérée. La valeur des biens dont la remise à l’État est proposée, peut représenter la totalité ou une partie seulement des droits dont le demandeur est redevable. L’offre de dation ne peut concerner que des biens dont les redevables sont pleinement propriétaires. Elle n’est donc pas applicable à des biens détenus en indivision ou en copropriété avec des personnes qui ne sont pas redevables des droits au titre desquels l’offre est faite. Elle n’est pas applicable à des biens dont le contribuable se réserverait la jouissance. En outre, l’offre de dation n’est pas recevable pour les biens détenus depuis moins de cinq ans par l’intéressé. Cette condition ne s’applique pas s’ils sont entrés en sa possession par mutation à titre gratuit. Enfin, l’offre de dation n’est pas recevable si les biens offerts en paiement ont précédemment donné lieu à 2 refus d’agrément.

La dation en paiement, un dispositif encore méconnu
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Un cadre rigoureux

Depuis la troisième loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011, l’offre de dation ne peut être retirée dans le délai de six mois suivant la date de son dépôt. Ce délai peut être prorogé de trois mois par décision motivée de l’autorité administrative, notifiée à l’intéressé. Si l’intéressé ne donne pas son acceptation à l’agrément des biens offerts en paiement pour la valeur proposée dans l’offre de dation ou s’il retire son offre de dation avant la notification de la décision d’agrément, les droits dus sont assortis de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI, calculé à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel les droits devaient être acquittés jusqu’au dernier jour du mois du paiement. Lorsque l’État accepte les biens offerts en paiement pour une valeur libératoire différente de celle proposée par l’intéressé dans son offre, ce dernier dispose de trente jours pour confirmer son offre à cette nouvelle valeur ou pour y renoncer. S’il renonce, l’intérêt de retard est calculé à compter du premier jour du mois suivant l’expiration du délai de trente jours précité, jusqu’au dernier jour du mois du paiement. La réforme de 2011 est intervenue à la suite de l’échec de la dation en paiement intervenu dans le cadre de la succession du producteur Claude Berry. Le Centre Pompidou devait accueillir un ensemble d’œuvres d’une valeur globale de 30 millions d’euros, comprenant des noms comme : Robert Ryman, Ad Reinhardt, Lucio Fontana, Giorgio Morandi, Dan Flavin et Richard Serra. Ce projet de dation a échoué au dernier moment, les deux fils de Claude Berry ayant finalement préféré céder ces œuvres sur le marché.

L’octroi de l’agrément

La procédure d’agrément pour les objets d’art ou de collection est prévue à l’article 384 A de l’annexe II au CGI et à l’article 384-0 A bis de l’annexe II au CGI. L’offre de dation indique la nature, les modalités d’acquisition et la valeur de chacun des biens faisant l’objet de la remise à l’État. Elle est produite en quatre exemplaires, accompagnée de deux photographies de chaque objet proposé ainsi que des documents justifiant les modalités d’acquisition des biens et est signée par le redevable ou par son représentant dûment mandaté et, le cas échéant, par tous les héritiers, donataires ou leur représentant dûment mandaté. Le comptable de la DGFiP examine si le dossier est complet, correctement rempli, daté et signé. Dans la négative, il invite le contribuable à régulariser sa demande. Il transmet ensuite le dossier à la direction régionale ou départementale des finances publiques. Cette dernière vérifie la sincérité des indications fournies par le demandeur et s’assure que la situation fiscale de l’intéressé est régulière. Le bénéfice de l’agrément ne saurait, en effet, être accordé aux contribuables n’ayant pas satisfait à leurs obligations fiscales ou convaincus, à une époque récente, de fraudes fiscales caractérisées, précise Bercy. Puis le dossier est transmis au Bureau des agréments et rescrits de la DGFiP, seul compétent pour procéder à l’instruction. Ce bureau fait parvenir un exemplaire de l’offre au secrétariat de la commission interministérielle, qui comprend un représentant du Premier ministre, qui préside la commission, deux représentants du ministre chargé du Budget et deux représentants du ministre chargé de la Culture. La commission prend l’avis des institutions susceptibles d’accueillir les œuvres proposées. Elle peut, le cas échéant, ne retenir que certains biens présentés dans l’offre ou proposer au demandeur la substitution ou l’adjonction d’autres biens à son offre. La commission est un organisme consultatif : elle émet un avis tant sur l’intérêt artistique ou historique que sur la valeur des biens offerts. Au vu de l’avis de cette commission consultative, le ministre chargé de la Culture propose au ministre chargé du Budget l’octroi ou le refus de l’agrément. Le pouvoir de décision appartient au ministre chargé du Budget, seul compétent pour délivrer une décision d’agrément ou opposer un refus d’agrément. La décision d’agrément prise par le ministre chargé du Budget fixe la valeur libératoire des biens offerts en paiement des droits dus au regard de la déclaration ou de l’acte au titre duquel l’offre de dation est proposée. La valeur libératoire des biens est le montant maximum des impositions pouvant être acquittées par la remise des œuvres offertes en paiement. Elle est aussi proche que possible des valeurs de marché. Si la valeur libératoire excède le montant des impositions, aucune soulte ne pourra être exigée et le propriétaire de l’oeuvre complétera sa dation en effectuant une libéralité. Si en revanche la valeur libératoire est inférieure à la dette fiscale, le contribuable devra acquitter le solde de cette dernière en numéraire. Dans tous les cas, la dation en paiement agréée n’est parfaite qu’après l’acceptation expresse par l’intéressé de la valeur libératoire mentionnée dans l’agrément. Lors du colloque dédié à la dation en paiement d’œuvres d’art qui s’est déroulé à l’hôtel Salé, les 10 et 11 janvier 2019, il a été précisé que sur les dix dernières années et sur les 270 offres en dations qui ont été proposées, près d’une offre sur deux a été refusée (42 %). En outre 11 % des offres ont été retirées par les contribuables.

LPA 03 Juin. 2020, n° 152t2, p.3

Référence : LPA 03 Juin. 2020, n° 152t2, p.3

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