La fiscalité au service de l’enrichissement du patrimoine

Publié le 14/11/2019

Alors que les budgets d’acquisition s’effritent les musées français dépendent plus que jamais de la générosité de leurs donateurs. Une fiscalité incitative dédiée permet de favoriser l’action des particuliers comme celle des entreprises.

Si les musées sont en mesure de présenter des collections d’exception, c’est grâce à l’action des donateurs, le plus souvent des collectionneurs passionnés et des artistes ou leurs héritiers qui participent à leur enrichissement. Leur générosité permet aux donateurs d’inscrire leur nom dans l’histoire de ces prestigieuses institutions qui œuvrent au quotidien pour proposer à tous les publics une programmation culturelle et artistique riche et de qualité. Cette aide précieuse pour les musées est le témoin de leur engagement dans la société et leur confiance en l’avenir. L’exposition qui ouvre ses portes au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac et qui fait le point sur 20 ans d’acquisition le démontre avec éclat. Depuis la création du musée, pas moins de 77 082 pièces historiques et contemporaines ont intégré ses collections. Pourquoi acquérir ? Parce que « la collection est vivante, rappelle Yves le Fur, directeur du département du patrimoine et des collections du Musée du quai Branly-Jacques Chirac et commissaire général de l’exposition : « Elle s’enrichit de compléter des points de vue, des connaissances, des recherches. Elle est un héritage qui se transforme sans cesse, un patrimoine actif ». La collection s’est enrichie considérablement grâce à la générosité de donateurs. Sur les 15 857 objets et 61 225 œuvres graphiques ou photographiques entrées dans le fonds du musée, 60 % proviennent de dons. Certains de ces dons sont de très grande ampleur. Ainsi la donation Marc Ladreit de Lacharrière, une collection de 36 œuvres d’art premiers évalué à plus de 50 millions d’euros au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, soit l’équivalent de 25 fois le budget d’acquisition de l’institution. Et cet exemple est loin d’être isolé. Ainsi, en 2018, 40 % des pièces acquises par le Musée du Louvre ont été données, pour une valeur totale de 2 millions d’euros. Au Centre Georges Pompidou, la valeur des dons et legs reçu représente quatre à cinq fois le montant du budget d’acquisition fixé à 2 millions d’euros.

Dons manuels et donations

Plusieurs formes de dons sont possibles pour contribuer au développement des collections nationales. Il peut s’agir d’un don manuel qui consiste à remettre, de la main à la main, différents types de biens (tableau, chèque…). Le don manuel ne nécessite ni formalités particulières, ni de recourir à un notaire. Toutefois, il est possible d’établir un écrit appelé « pacte adjoint » constatant la remise du bien et pouvant comporter des conditions. Le pacte adjoint peut être utilisé pour imposer des charges au donataire ou assortir la donation d’une réserve d’usufruit. Il peut également s’agir d’une donation, un acte passé devant notaire par lequel le donateur transfert irrévocablement les droits ou la propriété d’un bien. Précisons, que depuis la loi Perben n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, il est possible de signer des pactes successoraux lorsqu’on prévoit d’effectuer une donation à un musée. Cette disposition a été introduite dans le Code civil aux articles 929 à 930-5. Les pactes successoraux permettent aux héritiers réservataires présomptifs du donateur de renoncer par anticipation à exercer une action en réduction de la donation. Aussi, ce dispositif constitue un progrès juridique important, car la donation demeure évaluée au jour du décès du donateur. Il offre une garantie aux musées en permettant de prévenir des contentieux résultant d’une valeur de libéralité excédant la quotité disponible en raison de l’augmentation de la valeur d’une œuvre donnée. Dans le cadre de la législation fiscale en vigueur en France, les dons versés donnent droit à une réduction d’impôt, conformément aux dispositions de la loi n° 2003-1311 du 1er août 2003 en faveur du mécénat. À ce titre, chaque don fait l’objet d’un reçu fiscal. En effet, toute somme ou œuvre donnée par un particulier, est déductible du montant de l’impôt sur le revenu dû l’année suivante, à hauteur de 66 % de la valeur du don, dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable (CGI, art. 238 bis).

Leg, assurance-vie

Il est également possible pour le propriétaire des biens d’établir un legs au profit d’un musée afin de transmettre par testament et après son décès tout ou partie d’un patrimoine à un lieu qui lui est cher, tout en jouissant de ses biens jusqu’à la fin de sa vie. Les legs au profit d’un musée donnent droit à une exonération des frais de mutation. Pour les legs, dons et donations d’œuvres, l’acceptation du don est soumise à l’avis favorable des commissions d’acquisition compétentes. Autre possibilité, désigner un musée comme bénéficiaire de tout ou partie d’un contrat d’assurance-vie. Le souscripteur jouit de tous les avantages de l’assurance-vie. À son décès, le musée percevra le capital placé. En outre, le montant des dons provenant d’une succession effectués par les héritiers, donataires ou légataires au profit d’une fondation ou association reconnue d’utilité publique est désormais soustrait de l’assiette des droits de succession, conformément à l’article 788-III du Code général des impôts. Cette mesure aligne ainsi le régime des dons faits par les héritiers à celui prévu pour les legs effectués par le défunt à ces organismes. Le don doit être réalisé dans un délai de six mois à compter du décès. Dans tous les cas, le don doit être effectué à titre définitif et en pleine propriété. Pour un même don, un héritier ne peut pas cumuler le bénéfice de la présente mesure avec la réduction d’impôt sur le revenu. Il doit donc choisir l’un des deux régimes. Les héritiers peuvent choisir, au moment de la succession, de consentir un don de somme d’argent et peuvent bénéficier de l’exonération des droits de succession sur la somme donnée.

Mécénat des entreprises

Le mécénat est un dispositif permettant à une entreprise de verser un don, sous forme d’aide financière ou matérielle, ou de se porter acquéreur d’un bien culturel déclaré trésor national. En contrepartie, elle peut bénéficier d’une réduction fiscale. Le don peut prendre la forme d’un versement numéraire, en nature ou en compétence. Pour les entreprises, il s’agit d’une réduction d’impôt sur les sociétés à hauteur de 60 % du montant figurant sur le reçu fiscal, dans la limite annuelle de 0.5 % du chiffre d’affaires annuel hors taxe (CGI, art. 238 bis). La réduction fiscale pour les versements effectués au cours des exercices clos à partir du 31 décembre 2019 sera plafonnée à 10 000 € ou 0.5 % du chiffre d’affaires annuel hors taxe, si ce dernier montant est plus élevé. Dans le cas où les dons en numéraire donnent droit à une réduction d’impôt au profit du donateur, le bénéficiaire du don doit déclarer à l’administration fiscale l’identité du donateur pour les dons d’un montant annuel supérieur à 153 000 € par structure. Le projet gouvernemental d’abaisser de 60 à 40 % le taux de déductibilité des dons des entreprises versant plus de 2 millions d’euros par an de dons au-dessus de certains seuils est susceptible de remettre en cause l’équilibre de l’écosystème du mécénat. En effet, si cette mesure n’est susceptible d’affecter qu’une petite centaine d’entreprises, elle devrait générer environ 80 millions d’euros de recettes fiscales. Ces mesures risquent de faire considérablement baisser l’effort mécénal des entreprises. En effet, l’essor de la philanthropie en France est fortement corrélé avec une fiscalité attractive qui est réservée aux dons des particuliers comme à ceux des entreprises. En 2005, 6 500 entreprises utilisaient le dispositif du mécénat. 12 ans, après en 2017, elles étaient 68 930 entreprises à bénéficier de ce dispositif d’exception. La dépense fiscale a, quant à elle, été multipliée par dix, souligne la Cour des comptes, passant de 90 millions d’euros en 2004 à environ 900 millions d’euros en 2017. Par ailleurs, on sait que le dispositif profite essentiellement aux grandes entreprises. En 2016, 24 d’entre elles ont totalisé 64 % de la dépense fiscale. Une réforme visant particulièrement ces entreprises aura donc un impact immédiat sur les bénéficiaires de ces actions de mécénat.

Acquisition d’un trésor national

Les entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un trésor national pour le compte de l’État peuvent ainsi bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies, dans la limite de 50 % de l’impôt dû (CGI, art. 238 Bis-OA). La notion de trésor national vise des biens culturels qui, présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Ces biens culturels ne peuvent être exportés pendant une période de 30 mois. Dans ce délai, l’État peut présenter au propriétaire une offre d’achat qui tienne compte des prix sur le marché international. Afin de permettre de financer cette acquisition, il peut solliciter les entreprises. Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de 9 grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. Si l’entreprise souhaite acquérir un trésor national et en rester propriétaire, la réduction d’impôt est alors limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art. 238 Bis-O AB), ce dernier dispositif étant très peu utilisé. La réduction est prise en compte dans le plafonnement global des avantages fiscaux. En cas de dépassement du plafond, il est possible de reporter l’excédent sur les 5 exercices suivants. Mais les montants reportés ne peuvent s’ajouter aux dons effectués chaque année que dans la limite du plafond annuel. Dans ce dernier cas, la réduction d’impôt est possible uniquement si le bien n’a pas fait l’objet d’une offre d’achat de l’État, si l’entreprise demande l’agrément pour l’acquisition directe d’un trésor national, et à la condition que l’entreprise s’engage à en demander le classement comme monument historique. Le bien ne doit pas être cédé dans les 10 ans suivant l’acquisition. En outre, il doit être placé en dépôt auprès d’un musée de France, d’un service public d’archives ou d’une bibliothèque relevant de l’État ou placée sous son contrôle technique, durant 10 ans minimum.

La dation en paiement

Ce mode de paiement exceptionnel permet à un particulier de régler en totalité ou en partie une dette fiscale (droits de succession, droits de mutation à titre gratuit entre vifs, droits de partage ou IFI) par la remise d’œuvres d’art, livres, objets de collection, documents, de haute valeur artistique ou historique. C’est un système équitable qui permet au contribuable d’éteindre sa dette et à l’État d’enrichir les collections publiques. Grâce à ce mécanisme fiscal imaginé par André Malraux en 1968, des œuvres majeures qui ont intégré les collections françaises comme le Portrait de Diderot par Fragonard présenté au Louvre, le Déjeuner sur l’herbe de Manet au Musée d’Orsay, ou encore le Nu jaune de Bonnard au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

La procédure est engagée par le contribuable, qui dépose à la recette des impôts compétente une demande indiquant la nature et la valeur de chacun des biens qu’il propose en paiement à l’État. Cette offre de dation est instruite par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et transmise pour avis à la commission interministérielle d’agrément pour la conservation du patrimoine artistique national qui émet un avis sur l’intérêt artistique et historique du bien offert et sur sa valeur, après avoir entendu les conservateurs et experts compétents. La décision d’agrément prise par le ministre fixe la valeur libératoire des biens offerts en paiement des droits de mutation. L’acceptation du contribuable clôt la procédure et le bien devient propriété de l’État. À défaut d’acceptation dans le délai prévu par la décision d’agrément celle-ci est considérée comme caduque. L’acceptation, par le redevable, d’une valeur libératoire inférieure aux droits exigibles implique le versement d’un complément de droits. En revanche, une valeur libératoire supérieure aux droits exigibles ne saurait se traduire par le versement d’une soulte à la charge de l’État. La facture fiscale doit être acquittée dans le délai d’un mois à compter de la date d’expiration du délai imparti au donateur pour donner son acceptation ou de la date de réception de la décision de refus d’agrément ou encore de l’expiration du délai d’un an calculé à partir de la date du récépissé de l’offre, lorsque aucune décision n’a été notifiée durant cette période d’un an, pour les paiements par remise d’œuvre d’art ou de documents. Aucune indemnité de retard n’est exigible lorsque les délais ainsi prescrits sont respectés. En revanche, si le contribuable ne donne pas son acceptation ou s’il retire son offre de dation avant la notification de la décision d’agrément, les droits fiscaux dus sont assortis de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI.

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