Clause d’arbitrage et nature du moyen de défense soulevé devant le juge étatique : la Cour de cassation persiste… mais ne signe pas

Publié le 30/09/2020

L’exception tirée de l’existence d’une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure.

Cass. 1re civ., 13 mai 2020, no 18-25966

En vertu de l’article 1448 du Code de procédure civile, en cas de soumission d’un litige relevant d’une convention d’arbitrage à une juridiction étatique, le juge ne peut relever d’office son incompétence. Les parties doivent par conséquent soulever le moyen tiré de l’existence de la convention d’arbitrage. Or la question de la nature de ce moyen de défense se pose inévitablement car selon que l’exception de clause compromissoire est une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, le régime sera plus ou moins favorable au plaideur. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 mai 2020 vient répondre à la question mais la solution apportée n’emporte pas la conviction.

En l’espèce, une première société a cédé à une deuxième des actions qu’elle détenait dans le capital d’une troisième. L’acte de cession sous seing privé contenait une clause compromissoire. Par un second acte sous seing privé du même jour, une société civile immobilière a vendu au cessionnaire un immeuble à usage industriel et commercial donné à bail à la société cédée. Le contrat stipulait que la non-réalisation de la vente du fait du cédant entraînerait la résiliation de la cession d’actions avec remboursement intégral du prix payé, augmenté des intérêts au taux légal en vigueur. L’acte de vente du bâtiment n’ayant pas été suivi d’un acte authentique dans les 6 mois à compter de sa conclusion, comme l’exige l’article 42 de la loi du 1er juin 1924, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002, le cessionnaire a assigné le cédant et la société civile immobilière en annulation de la convention de cession d’actions et en paiement de certaines sommes. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Metz rendu le 3 mars 2015 qui avait rejeté sa demande en résolution de l’ensemble contractuel et écarté l’application de la clause pénale1. Devant la cour d’appel de renvoi, la société cédante des actions et la société civile immobilière invoquèrent l’irrecevabilité de la demande initiale devant la juridiction étatique en raison de la clause compromissoire contenue dans le contrat de cession d’actions. Sur renvoi, la cour d’appel de Colmar a rejeté les demandes de la société cessionnaire dans un arrêt du 21 novembre 2018 au motif que le moyen tiré de l’existence d’une clause compromissoire constitue une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence entrant dans le champ d’application des articles 74 et 75 du Code de procédure civile, et qu’en conséquence, il n’a pas à être soulevé in limine litis2. Selon les juges colmariens, la société cédante et la société civile immobilière pouvaient invoquer l’existence de la clause compromissoire en tout état de cause, y compris devant la cour d’appel de renvoi. Le pourvoi en cassation formé par le cessionnaire soutenait au contraire que « l’exception tirée de l’existence d’une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure » et qu’elle devait être nécessairement soulevée in limine litis. Dans son arrêt du 13 mai 2020, la Cour de cassation lui donna raison et jugea, au visa de l’article 74 du Code de procédure civile que « l’exception tirée de l’existence d’une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure »3.

Avec cet arrêt, la Cour de cassation affine un peu plus sa position quant à la qualification procédurale à retenir du moyen de défense tiré de l’exception de clause d’arbitrage. Sans retenir strictement la qualification d’exception de procédure, elle a néanmoins décidé de lui appliquer son régime (I). Cette décision, rendue plus en opportunité que dans le respect de la logique juridique, est critiquable, la qualification de fin de non-recevoir conventionnelle pouvant paraître, à certains égards, mieux adaptée à l’exception tirée de l’existence d’une clause d’arbitrage (II).

I – La clause d’arbitrage, une exception « régie » par les dispositions gouvernant les exceptions de procédure

L’exception de clause d’arbitrage a été l’objet d’une jurisprudence fournie quant à la qualification à retenir pour ce moyen de défense, jurisprudence qui n’a pas été sans poser de questions (A). La Cour de cassation, sans se prononcer clairement sur la qualification, a plutôt décidé dans cet arrêt de s’intéresser à son régime (B).

A – L’exception de clause d’arbitrage soumise à une jurisprudence incertaine

1. Option procédurale. En droit judiciaire, trois moyens de défense peuvent traditionnellement être soulevés : la défense au fond, l’exception de procédure et la fin de non-recevoir. Si le premier moyen tend à contester le bien-fondé de la prétention de l’adversaire sur le terrain du fond du droit (CPC, art. 71), les deux autres moyens sont procéduraux et sont susceptibles de s’appliquer en présence d’une clause d’arbitrage. L’exception de procédure tend soit à déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours (CPC, art. 73), tandis que la fin de non-recevoir « tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée », cette liste n’étant pas limitative (CPC, art. 122). Ces deux moyens entraînent une paralysie procédurale de la demande sans entrer dans le fond du droit, mais une différence notoire les sépare : avec l’exception de procédure, il est question d’établir que la procédure engagée par le demandeur n’a pas été faite correctement, ce qui en fait un obstacle temporaire à l’action, alors qu’avec la fin de non-recevoir, le demandeur est définitivement débouté dans son action, à l’égal de la défense au fond. Sur le régime, ces deux moyens de défense se distinguent également quant à leur recevabilité : l’exception de procédure doit être soulevée « simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir » (CPC, art. 74) alors que la fin de non-recevoir est recevable en tout état de cause (CPC, art. 123). En présence d’une clause d’arbitrage, la qualification à retenir – exception de procédure ou fin de non-recevoir – est importante car, de cette qualification, dépendra le moment où ce moyen devra être soulevé. Et jusqu’à présent, la jurisprudence n’a pas fait montre de rigueur sur ce point.

2. Imbroglio jurisprudentiel. La jurisprudence est en effet relativement confuse, même si la qualification d’exception de procédure semble l’emporter4. D’abord, la deuxième chambre civile avait considéré que l’exception de clause d’arbitrage pouvait être soulevée en tout état de cause, l’assimilant ainsi à une fin de non-recevoir. Avant la réforme du 22 décembre 1958, la jurisprudence de cette chambre était en effet plutôt favorable à cette qualification5. Pourtant, par la suite, la qualification en « exception de procédure »6, voire en « exception d’incompétence »7, a semblé l’emporter. De son côté, la première chambre civile a décidé que ce moyen procédural devait être qualifié d’« exception de procédure »8, sans toujours le qualifier d’« exception d’incompétence »9. Malgré cette préférence pour la qualification d’exception de procédure, l’arrêt de la cour d’appel de Colmar s’est fait l’écho de la première jurisprudence en retenant la qualification de fin de non-recevoir10, pouvant donc être soulevée à tout moment. Cette qualification n’est pas incongrue dans la mesure où l’existence d’une clause compromissoire a pour effet de retirer tout pouvoir juridictionnel au juge étatique. Les parties n’ont alors aucun droit d’agir devant les juridictions étatiques. Pourtant, ce n’est pas ce qu’a jugé la Cour de cassation dans le présent arrêt.

B – L’exception de clause d’arbitrage soumise au régime de l’exception de procédure

3. Une exception régie par les dispositions applicables aux exceptions de procédure. Dans l’arrêt du 13 mai 2020, la Cour de cassation a choisi de se conformer à sa jurisprudence dominante en estimant que « l’exception tirée de l’existence d’une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure ». Une telle exception devait donc être soulevée avant toute défense au fond11 ou fin de non-recevoir et en même temps que les autres exceptions de procédure, afin de respecter la double règle d’antériorité et de simultanéité qui gouverne le régime des exceptions de procédure. En l’espèce, en invoquant l’exception pour la première fois devant la cour d’appel de renvoi, le cédant et la SCI n’ont pas respecté cette double règle. Leur demande devait par conséquent être jugée irrecevable et c’est bien là l’effet essentiel recherché par cette qualification d’exception de procédure.

4. Abandon de la qualification d’exception d’incompétence. En revanche, contrairement aux précédents arrêts ayant parfois retenu la qualification d’exception d’incompétence, la Cour de cassation n’en fait aucune mention dans cet arrêt. Cet abandon semble pertinent quand on sait que l’exception d’incompétence a pour but de faire constater que la juridiction étatique saisie n’est pas la bonne, soit à raison de la matière, soit à raison de la localisation du litige, alors que l’exception de clause d’arbitrage tend à retirer totalement aux tribunaux étatiques le pouvoir de juger le litige arbitral. Cette dernière ne déplace pas la compétence, elle remet en cause l’existence même du pouvoir du juge. Il n’y a aucun concours possible entre la juridiction étatique et le tribunal arbitral12. Pourtant, on ne peut s’empêcher de relever que l’article 81 du même code prévoit que « lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ». Cet article, figurant dans les dispositions applicables aux exceptions d’incompétence, place sur un même plan la compétence du juge et celle de l’arbitre, incitant une partie de la doctrine à voir dans l’exception de clause d’arbitrage une véritable exception d’incompétence13. Nous ne pouvons cependant souscrire à une telle analyse dès lors qu’elle n’obéit pas à son régime. En effet, la Cour de cassation a considéré que l’article 75 du Code de procédure civile n’était pas applicable lorsque la compétence étatique était contestée au profit d’une « compétence » arbitrale14, que cette compétence soit invoquée à titre principal ou subsidiaire15. Cet article ne s’appliquant que dans les conflits de compétence entre juridictions étatiques, la qualification d’exception d’incompétence ne pouvait que difficilement prospérer, d’autant plus qu’en présentant une exception de clause d’arbitrage, le plaideur désigne forcément la juridiction qu’il estime apte à trancher le litige, à savoir le tribunal arbitral.

5. Rejet de la qualification d’exception de procédure. Mais la qualification d’exception de procédure ne pouvait pas non plus prospérer, l’exception de clause d’arbitrage ne pouvant être rangée dans aucune autre exception de procédure, qu’il s’agisse de l’exception de litispendance, de connexité, dilatoire ou de nullité. C’est sans doute la raison pour laquelle la Cour de cassation a préféré s’intéresser au régime à appliquer à l’exception de clause d’arbitrage, plutôt qu’à sa qualification. Sans qualifier expressément le moyen de défense, la haute juridiction a considéré qu’un tel moyen de défense était « régi par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure ». Avec cette formulation loin d’être inédite16, elle se débarrasse du problème épineux de qualification pour ne retenir que le régime applicable à l’exception de procédure. Pourquoi la Cour de cassation, finalement très embarrassée à l’idée de qualifier ce moyen d’exception de procédure, tient-elle absolument à le soumettre à son régime ? On peut supposer que le but est d’éviter que le juge étatique ne se saisisse trop longtemps d’une affaire qui lui serait par la suite retirée, en raison de l’existence d’une clause d’arbitrage soulevée en cours d’instance. À cet égard, l’administration d’une bonne justice impose un certain comportement procédural de la part des plaideurs et une certaine loyauté dans la procédure. Les plaideurs ne pouvaient pas débattre jusqu’à un stade très avancé au sein de l’instance étatique, comme ici jusque devant la cour d’appel de renvoi, et, sentant le vent tourner, revendiquer le bénéfice de la clause d’arbitrage. Pour la Cour de cassation, à défaut d’invoquer l’exception in limine litis, leur silence valait renonciation à s’en prévaloir17. D’autant qu’une clause d’arbitrage est très visible et qu’on ne la découvre pas après plusieurs années de procédure.

À la vérité, ces différents arguments peuvent être remis en cause et l’exception de clause d’arbitrage devrait plutôt être qualifiée de fin de non-recevoir.

Clause d’arbitrage et nature du moyen de défense soulevé devant le juge étatique : la Cour de cassation persiste… mais ne signe pas
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II – L’exception de clause d’arbitrage, une fin de non-recevoir conventionnelle ?

Pour la Cour de cassation, en ne soulevant pas l’exception de clause d’arbitrage in limine litis, les parties auraient renoncé à l’arbitrage. Or cette analyse est contestable dans la mesure où la renonciation à un droit ne se présume pas. D’ailleurs, on ne retrouve pas une telle renonciation pour la clause de conciliation préalable qui présente de nombreux points communs avec la clause d’arbitrage (A). En réalité, la qualification de fin de non-recevoir s’avère bien plus adaptée (B).

A – Similitudes entre la clause de conciliation et la clause d’arbitrage

6. Définition et régime de la clause de conciliation. La clause de conciliation préalable vise à traiter, à l’amiable, et avant toute action en justice, les difficultés qui pourraient s’élever entre les parties à l’occasion du contrat18. D’un point de vue procédural, le non-respect de cette clause est sanctionné par une fin de non-recevoir de nature conventionnelle qui peut être proposée en tout état de cause19, y compris pour la première fois en cause d’appel20. Rien n’empêche donc une partie de soulever l’existence d’une clause de conciliation en cours d’instance, alors que la procédure est pourtant bien avancée. Avec cette qualification, la Cour de cassation considère que les parties sont dépourvues du droit d’agir devant le juge tant que la procédure de conciliation n’a pas été mise en œuvre. Par conséquent, le juge est privé de tout pouvoir juridictionnel à l’égard du litige qui n’aurait pas été soumis à une telle procédure, mais il ne peut relever d’office son défaut de pouvoir. Les parties doivent donc soulever cette fin de non-recevoir.

Comment expliquer cette absence de pouvoir de relevé d’office du juge ? C’est bien sûr la nature conventionnelle de la fin de non-recevoir qui le justifie. En effet, les parties peuvent très bien avoir renoncé à la conciliation en s’engageant dans la procédure étatique comme elles peuvent aussi ne pas y avoir renoncé. La circonstance qu’elles n’aient pas soulevé ce moyen au début de la procédure ne doit pas conduire le juge à considérer qu’elles ont renoncé de manière irréfragable à la conciliation. Aucun accord ne peut se déduire de cette circonstance. Le but est de garantir l’efficacité de cette clause qui, sans sanction procédurale forte, n’aurait que peu d’utilités21. Le fait de pouvoir la soulever à tout moment de la procédure, sans que le juge ne puisse relever d’office son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher le litige, permet aux parties de renoncer implicitement à la conciliation ou de faire respecter, éventuellement plus tard, leurs prévisions contractuelles, quitte à ce qu’elles soient sanctionnées par le juge pour avoir tardé à invoquer ladite clause (CPC, art. 123).

7. Adéquation avec la clause d’arbitrage. Pour la clause d’arbitrage, il doit en être de même : si le demandeur en assignant sur le fond son cocontractant devant une juridiction étatique peut avoir renoncé au bénéfice de la convention22, rien n’indique que le défendeur, en se présentant devant la juridiction étatique, a voulu renoncer à l’arbitrage. Il se peut que le plaideur n’ait pas eu connaissance de l’existence de la convention d’arbitrage et ce, pour plusieurs raisons : présence de la convention d’arbitrage dans les conditions générales du cocontractant ou d’un cocontractant tiers non partie au litige mais partie au complexe contractuel, transmission de la clause d’arbitrage dans une chaîne de contrats, par voie de cession de créance ou de subrogation, etc. Autant d’hypothèses qui montrent que soulever ce moyen in limine litis n’est pas forcément aisé alors qu’il peut constituer un réel avantage procédural pour la partie qui souhaiterait l’invoquer. Comme pour la clause de conciliation, le juge ne peut relever d’office son incompétence (CPC, art. 1448), laissant entendre que les parties peuvent avoir renoncé à invoquer la clause d’arbitrage23. Cependant, rien ne doit autoriser le juge à considérer qu’elles ont irrévocablement renoncé à faire respecter leurs prévisions contractuelles. Ce serait sacrifier l’efficacité du processus arbitral sur l’autel d’une meilleure « gestion du flux judiciaire »24. Le juge pourrait, comme pour la clause de conciliation, condamner à des dommages et intérêts la partie qui se serait abstenue de soulever l’exception de clause d’arbitrage plus tôt dans une intention dilatoire (CPC, art. 123). En l’espèce, les parties avaient parfaitement connaissance de la clause d’arbitrage et ne l’ont invoquée que devant la cour d’appel de renvoi. Était-ce suffisant pour déclarer irrecevable l’exception de clause d’arbitrage ? Nous ne le pensons pas puisqu’en invoquant la clause d’arbitrage, elles ont manifesté leur volonté de ne pas renoncer à une telle clause, fût-ce tardivement. Le juge aurait donc dû renvoyer les parties à l’arbitrage. L’existence de cette clause empêche le juge de trancher le litige car ce pouvoir a été confié par les parties à un tribunal arbitral. Il en résulte que les parties n’avaient aucun droit d’agir devant la juridiction étatique, défaut que seule une fin de non-recevoir pourrait sanctionner.

B – La qualification de fin de non-recevoir plus adaptée ?

8. Logique procédurale. La jurisprudence considère que l’existence d’une clause d’arbitrage a pour effet de retirer aux juridictions étatiques tout pouvoir juridictionnel quant au litige arbitral : « L’existence d’une clause compromissoire insérée dans un contrat mettant en cause les intérêts du commerce international (…) tend à retirer à ces tribunaux le pouvoir de juger les différends relatifs à ce contrat »25. Ce défaut de pouvoir de juger, que Motulsky avait déjà mis en lumière26, traite de l’aptitude d’une juridiction à trancher un litige et non d’une quelconque répartition de compétence entre le juge et l’arbitre. C’est d’ailleurs par la reconnaissance d’un tel défaut de pouvoir juridictionnel que le pourvoi en cassation a été déclaré immédiatement recevable contre la décision qui a statué sur l’incident lié à l’existence de la clause d’arbitrage dans l’arrêt du 9 octobre 199027. Pour la Cour, le pourvoi est immédiatement recevable en matière d’arbitrage parce qu’il s’agit d’un « cas d’excès de pouvoir »28, visant à sanctionner « la méconnaissance par le juge de ses attributions mais également la violation des règles essentielles de la procédure »29. Cette notion d’excès de pouvoir a déjà été utilisée pour autoriser le pourvoi immédiat lorsque le plaideur bénéficie d’une immunité de juridiction30. Dans ce cas également, ce qui est remis en cause est le pouvoir de juger de la juridiction saisie. Or le moyen procédural retenu pour l’immunité de juridiction est une fin de non-recevoir alors qu’en présence d’une convention d’arbitrage, la Cour de cassation retient la qualification d’exception de procédure31. Preuve du désordre ambiant, l’article 75 du Code de procédure civile a également été jugé inapplicable en présence du moyen tiré de l’immunité32. La logique procédurale voudrait finalement que la contestation sur le défaut de pouvoir juridictionnel du juge soit traitée comme une fin de non-recevoir, quel que soit le moyen soulevé.

9. Confirmation doctrinale. Une partie de la doctrine défend cette position33. Elle estime qu’en retirant tout pouvoir de juger aux juridictions étatiques pour confier ce pouvoir à un tribunal arbitral, les parties ont nécessairement convenu qu’elles seraient privées du droit d’agir devant ces mêmes juridictions34. Or la sanction pour défaut du droit d’agir est bien une fin de non-recevoir. La conséquence d’une telle qualification est que le moyen tiré de l’existence d’une clause d’arbitrage peut être invoqué en tout état de cause, y compris devant une cour d’appel de renvoi comme dans la présente affaire. Au soutien de cette qualification, on peut citer un arrêt de la Cour de cassation ayant admis que, dans une procédure arbitrale, l’incompétence du tribunal arbitral tirée de l’absence de convention d’arbitrage pouvait être soulevée à tout moment de la procédure, dès lors que le comportement du défendeur, en cours de procédure, ne permettait pas d’en déduire une renonciation de sa part à soulever une telle irrégularité35. Dès lors, on doit pouvoir admettre que l’exception tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage puisse de la même manière être soulevée à tout moment de la procédure étatique dès lors que l’on ne peut déduire du comportement du litigant une renonciation à invoquer un tel moyen. Et une telle renonciation ne saurait seulement se déduire de l’absence de contestation in limine litis du pouvoir juridictionnel du juge étatique. C’est là où l’on regrette que l’article 1448 du Code de procédure civile n’autorise pas le juge à soulever d’office cette question afin de purger au plus vite ce contentieux…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-20938, D.
  • 2.
    CA Colmar, 21 nov. 2018, n° 17/00604.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 13 mai 2020, n° 18-25966, Sté Kimmolux c/ Sté Boulangerie Neuhauser et a. : Gaz. Pal. 23 juin 2020, n° 379w4, p. 35, obs. Berlaud C. ; LEDC juill. 2020, n° 113f1, p. 3, obs. Guerlin G. ; Dalloz actualité, 12 juin 2020, obs. Sansone G.
  • 4.
    Pour une étude d’ensemble, Akhouad S., La notion de partie dans l’arbitrage, thèse dactyl., 2012, Versailles, nos 267 et s.
  • 5.
    Cass. 2e civ., 20 juin 1957, n° 7.209 : JCP G 1958, II 10773, note Motulsky H. ; repris in Écrits, Études et notes sur l’arbitrage, 1972, Dalloz, p. 139, citant également Cass. civ., 21 janv. 1903 : DP 1903, 1, p. 176 – Cass. civ., 17 mars 1925 : S. 1926, 1, p. 74 – Cass. civ., 11 juin 1927 : DH 1927, p. 464.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 14 mai 1997, n° 96-11235 : Bull. civ. II, n° 143 – Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 99-21662 : Bull. civ. II, n° 168 ; D. 2002, IR, p. 42 ; Dr. et proc. 2002, p. 108, note Douchy M. ; Procédures 2002, comm. 1, note Perrot R. ; JCP G 2002, II 10174, note Boillot C. ; JCP E 2002, 1467, note Chabot G. ; RTD com. 2002, p. 46, obs. Loquin E. ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. 41, obs. Leveneur L. ; Rev. arb. 2002, p. 371, obs. Théry P. – Cass. 2e civ., 20 déc. 2001, n° 00-11852, D.
  • 7.
    Cass. 2e civ., 17 janv. 1996, n° 93-18361 : Bull. civ. II, n° 3 ; Procédures 1996, comm. 70, obs. Perrot R. ; Rev. arb. 1996, p. 620, obs. Cadiet L. – Cass. 2e civ., 18 déc. 1996, n° 94-20088 : Bull. civ. II, n° 289 – Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, n° 11-14741 : Bull. civ  II, n° 75 – Cass. 2e civ., 10 avr. 2014, n° 13-16116, D. ; Cass. 2e civ., 19 oct. 2017, n° 16-21813, D.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 6 juin 1978, n° 77-10835 : Rev. arb. 1979, p. 230, note Level P. – Cass. 1re civ., 18 nov. 1986, n° 85-11324 : Bull. civ. II, n° 269 – Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-12561 : Bull. civ. I, n° 205 ; D. 1991, p. 571, note Santa-Croce M. ; Rev. arb. 1991, p. 305, note Niboyet-Hoegy M.-L. ; Gaz. Pal. Rec. 1991, som., p. 348, obs. Croze H. et Morel C. ; RTD. civ. 1991, p. 603, obs. Perrot R. – Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, nos 88-12132, 88-12247, 88-12270, 88-12430, 88-12633 et 88-14477, Fraser : Rev. arb. 1991, p. 73, note Delebecque P. ; Cass. 1re civ., 19 nov. 1991, n° 90-14869 : Bull. civ. I, n° 313 ; Rev. arb. 1992, p. 462, note Hascher D. – Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 06-10652, D. – Cass. 1re civ., 1er juin 2017, n° 16-11487, D. ; Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-22103, D. : Procédures 2018, comm. 298, obs. Weiller L.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 25 avr. 2006, n° 05-13749 : Bull. civ. I, n° 197 – Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 06-10652, D. – Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 09-13618 : Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2010, I 546, § 8, obs. Clay T. – Cass. 1re civ., 14 avr. 2010, n° 09-12477 : Bull. civ. I, n° 96 ; D. 2010, IR, p. 1152 ; Rev. arb. 2010, p. 496, note Callé P. ; Dr. et proc. 2011, p. 14, obs. de Laforcade A. ; RJ com. 2010, p. 84, obs. Moreau B. – Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-22103, D. : Procédures 2018, comm. 298, obs. Weiller L.
  • 10.
    CA Colmar, 21 nov. 2018, n° 17/00604.
  • 11.
    Cass. 2e civ., 18 févr. 1999, n° 97-12770 : Rev. arb. 1999, p. 299, note Pinsolle P. V. pour un appel en garantie formé avant l’invocation de l’exception de clause d’arbitrage, CA Rennes, 15 mars 2011 : Rev. arb. 2011, p. 487, note Moreau B. (confirmé par Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, n° 11-14741).
  • 12.
    Contra Loquin E., obs. sous Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 99-21662 : RTD com. 2002, p. 46.
  • 13.
    En ce sens, Théry P., obs. sous Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 99-21662 : Rev. arb. 2002, p. 371, spéc. n° 3 ; Solus H. et Perrot R., Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, p. 685, n° 635 ; Cornu G. et Foyer J., Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, p. 80, n° 15 ; Clay T., L’arbitre, Dalloz, 2001, nos 166 et s.
  • 14.
    CA Paris, 12 oct. 1994, n° 94/7680 ; JCP G 1995, I 3846, § 26, obs. Cadiet L. ; D. 1995, IR, p. 37 ; RTD com. 1995, p. 399, obs. Dubarry J.-C. et Loquin E., jugeant que l'article 75 du CPC est inapplicable « car la revendication de la juridiction arbitrale met en jeu l'existence même du pouvoir du juge ».
  • 15.
    Cass. 2e civ., 17 janv. 1996, n° 93-18361 : Bull. civ. I, n° 3 ; Rev. arb. 1996, p. 621, note Cadiet L., cassant CA Paris, 23 juin 1993 : Rev. arb. 1994, p. 151, note Cadiet L. – Cass. 2e civ., 18 déc. 1996, n° 94-20088 : D. 1997, IR, p. 37.
  • 16.
    V. déjà, Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 99-21662.
  • 17.
    À l’égal du principe qui prévaut en matière d’arbitrage et selon lequel une partie qui n’a pas soulevé en temps utile une irrégularité de procédure devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à l’invoquer ultérieurement : CPC, art. 1466. V. sur le sujet, Cadiet L., « La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale », Rev. arb. 1996, p. 3.
  • 18.
    Sur cette clause, Jarrosson C., « Les clauses de renégociation, de conciliation et de médiation », in Les principales clauses conclues entre professionnels, av.-propos de Mestre J., Colloque de l’Institut de droit des affaires d’Aix-en-Provence (17 au 18 mai 1990), 1990, PUAM, p. 141.
  • 19.
    Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19423 et 00-19424 : Bull. civ. ch. mixte, n° 1 ; D. 2003, Jur., p. 1386, note Ancel P. et Cottin M. ; D. 2003, Somm., comm. 2480, obs. Clay T. ; Rev. arb. 2003, p. 403, note Jarrosson C. ; JCP G 2003, I, 128, note Cadiet L. ; RRJ 2004, p. 549, obs. Léandri A. ; JCP G 2003, I 164, n° 9, obs. Seraglini C. ; RTD civ. 2003, p. 294, obs. Mestre J. et Fages B. ; RTD civ. 2003, p. 349, obs. Perrot R. ; Procédures 2003, comm. 96, obs. Croze H. ; RDC 2003, p. 182 et p. 189, obs. Cadiet L. et Lagarde X. ; Contrats, conc. consom. 2003, comm. 84, note Leveneur L. V. dernièrement, CA Paris, 15 juin 2020, n° 19/03061.
  • 20.
    Cass. com., 22 févr. 2005, n° 02-11519 : RTD civ. 2005, p. 450, obs. Perrot R. ; RDC 2005, p. 1143, obs. Lagarde X. ; JCP G 2005, I 183, obs. Clay T. ; Rev. arb. 2008, p. 142, note Tricoit J.-P.
  • 21.
    Afin de garantir l’efficacité de cette clause, le cours de la prescription est suspendu, le coût de cette procédure doit rester relativement faible et l’empêchement d’agir a un caractère provisoire : CJUE, 18 mars 2010, nos C-317/08, C-318/08, C-319/08 et C-320/08, Alassani : Procédures 2010, comm. 179, note Nourissat C. ; JCP G 2010, I 546, § 5, obs. Clay T. ; RTD eur. 2010, p. 599, chron. Coutron L. ; D. 2011, Pan., p. 265, obs. Fricéro N. V. égal. Cass. com., 29 avr. 2014, n° 12-27004 : Bull. civ. IV, n° 76 ; Gaz. Pal. 9 sept. 2014, n° 190y4, p. 15, note Amrani-Mekki S. ; RTD civ. 2014, p. 655, obs. Barbier H. ; RDC 2014, n° 111f8, p. 704, obs. Cayrol N. ; LPA 3 nov. 2014, p. 5, obs. Boillot C., qui vient ajouter une condition : la clause de conciliation doit être assortie de conditions particulières de mise en œuvre.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 6 juin 1978, n° 77-10835, British Leyland c/ Étab. Richard : Rev. arb. 1979, p. 230, note Level P.
  • 23.
    Racine J.-B., Droit de l’arbitrage, 2016, PUF, Thémis droit, n° 300.
  • 24.
    Guerlin G., obs. sous Cass. 1re civ., 13 mai 2020, n° 18-25966 : LEDC juill. 2020, n° 113f1, p. 3.
  • 25.
    V. Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-12561. V. égal., Cass. 1re civ., 30 juin 1998, n° 96-13469 : Bull. civ. I, n° 227 ; Rev. arb. 1999, p. 80, note Niboyet M.-L.
  • 26.
    Motulsky H., in JCP G 1954, I 1194 et JCP G 1957, I 1383.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-12561.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 8 nov. 2005, n° 02-18512 : Bull. civ. I, n° 402 ; D. 2005, IR, p. 2896 ; D. 2005, Pan., p. 3050, obs. Clay T. ; RTD civ. 2006, p. 143, obs. Théry P. ; Rev. arb. 2006, p. 925, note Bensaude D.
  • 29.
    Foussard D., « Le recours pour excès de pouvoir dans le domaine de l’arbitrage », Rev. arb. 2002, p. 579, spéc. p. 583.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 15 avr. 1986, n° 84-13422 : Bull. civ. I, n° 87, Rev. crit. DIP 1986, p. 723, note Couchez G. – Cass. 1re civ., 20 oct. 1987, n° 85-18608 : Bull. civ. I, n° 274, Rev. crit. DIP 1988, p. 727, note Mayer P. – Cass. 1re civ., 27 avr. 2004, n° 01-12442 : Bull. civ. I, n° 114 ; RTD civ. 2004, p. 769.
  • 31.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-12561.
  • 32.
    Cass. soc., 5 juin 2001, n° 98-44996 : Bull. civ. V, n° 204 ; JCP G 2001, IV 2457, affirmant que le moyen tiré de l'immunité est « une fin de non-recevoir, et non une exception d'incompétence, en sorte que l'article 75 du nouveau Code de procédure civile n'est pas applicable ».
  • 33.
    Amrani-Mekki S. et Strickler Y., Procédure civile, 2014, PUF, n° 188 ; Chainais C., Ferrand F., Mayer L. et Guinchard S., Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, 34e éd., 2018, Dalloz, Précis, n° 2302 ; Callé P., in Rép. pr. civ., v° Incompétence, 2020, spéc. n° 9.
  • 34.
    V. déjà en ce sens, Akhouad S., La notion de partie dans l’arbitrage, thèse dactyl., 2012, Versailles, nos 269 et s.
  • 35.
    Cass. 1re civ., 11 juill. 2006, n° 03-20802 : Bull. civ. I, n° 369 ; D. 2006, AJ, p. 2052, obs. Delpech X.
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