L’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond en droit international privé de la filiation

Publié le 28/03/2017

N’encourt pas la cassation pour dénaturation de la teneur de la loi étrangère, la décision rendue par les juges du fond qui estime, à bon droit, que l’expertise ne constituant qu’un mode de preuve parmi d’autres selon la loi marocaine, M. X n’était pas le père de l’enfant.

Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, no 16-10754, FS-PB

1. Cette décision rapportée invite à déambuler en droit international privé de la filiation qui reste un sujet complexe et d’actualité1. Cet arrêt invite d’autant plus à faire le point sur la méthode de contrôle opérée par les hauts magistrats en matière de motivation de la décision des juges du fond en présence d’une loi étrangère. Dans l’arrêt commenté, deux époux de nationalité marocaine se sont mariés en France le 19 août 2005. À la suite d’une assignation en divorce, le juge aux affaires familiales a rendu une ordonnance en date du 26 mai 2006 qui a constaté leur non-conciliation. Par la suite, Mme Y a donné naissance à un enfant le 8 février 2009. Finalement, le divorce a été prononcé le 8 juillet 2009. Par jugement en date du 7 mai 2014, le tribunal de grande instance de Nice a fait application de l’article 158 du Dahir du 3 février 2004, en considérant que la carence du défendeur aux opérations d’expertise n’emportait pas nécessairement preuve de la paternité2. En appel3, la mère fait grief à la cour d’avoir écarté l’action aux fins d’établissement de la paternité de son ex-époux4. La haute juridiction rejette le pourvoi de l’ex-épouse en soulignant « qu’aux termes de l’article 311-4(14) du Code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Les juges de la cour d’appel de céans, dans leur arrêt en date du 16 juin 2011, ont ainsi fait application de la loi marocaine, et plus particulièrement des articles 150 à 154 et 159 du Dahir du 3 février 2004. Ils ont rappelé également la possibilité ouverte par l’article 158 du Dahir, de recourir à une expertise judiciaire pour établir la filiation paternelle. Mais cet article, ni aucun autre, n’instaure la possession d’état, notion qui apparaît complètement étrangère à la loi marocaine, comme mode d’établissement de la filiation. Dès lors, ce moyen soulevé par l’appelante sera écarté. Comme l’ont pertinemment relevé les premiers juges, l’article 158 du Dahir ne donne pas la priorité à l’expertise biologique : il s’agit d’un moyen de preuve parmi d’autres (…) ». On voit bien qu’une telle règle de conflit de lois revêt tout son intérêt en matière de droit international privé de la filiation (I) d’autant plus que l’interprétation de la loi étrangère relève de l’appréciation souveraine des juges du fond sous le contrôle de la haute juridiction judiciaire (II).

I – Loi personnelle de la mère applicable en matière de filiation

2. Selon la haute juridiction judiciaire, la filiation est établie en vertu de l’article 158 du Dahir marocain (B) ce qui confirme la bilatéralisation de principe prévue à l’article 311-14 du Code civil (A).

A – La bilatéralisation de l’article 311-14 du Code civil

3. En droit français, l’article 311-14 du Code civil dispose que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ». La règle de conflit de lois issue de l’article 311-14 du Code civil est bilatérale dans la mesure où la règle de conflit désigne la loi du for ou une loi étrangère. Force est de poursuivre en ce que la règle de conflits est neutre car elle ne va pas prendre en considération les règles substantielles des différentes lois envisagées. Au cas d’espèce, la Cour de cassation observe simplement que « Comme l’ont pertinemment relevé les premiers juges, l’article 158 du Dahir ne donne pas la priorité à l’expertise biologique : il s’agit d’un moyen de preuve parmi d’autres ».

4. Il ne nous paraît pas absurde de considérer que la mise en œuvre de la règle de conflit de lois issue de l’article 311-14 du Code civil implique des difficultés quant à la question de l’application de la théorie du renvoi. On enseigne classiquement que les règles de conflit de lois permettaient le renvoi inhérent au bilatéralisme5. D’illustres auteurs ont même considéré que : « Le problème le plus délicat est évidemment celui du renvoi. Le législateur aurait bien été inspiré en précisant que la loi applicable à la filiation était la loi interne de la mère »6.

5. Cette règle de conflit de lois prévue à l’article 311-14 du Code civil a donc vocation à s’appliquer d’une part aux conditions de l’établissement de la filiation et d’autre part, quant à la contestation de la filiation. Le critère de rattachement principal est donc la loi de la mère critère choisi en raison de sa certitude supposée7. Ce texte est d’une grande complexité tant et si bien que la loi applicable est donc celle du statut personnel de la mère, autrement dit celle de sa nationalité en droit français et celle du domicile en droit anglais, par exemple8. Dans le même ordre d’idées, la doctrine s’interroge sur « la question de son extension aux effets de la filiation (notamment l’autorité parentale), ainsi que le prévoyait la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 »9.

B – L’application de la loi étrangère

6. Conformément au Dahir marocain n° 1.04.22 du 3 février 2004 portant homologation de la loi n° 70.0 contenant le Code de la famille en droit interne, ce dernier prévoit, au chapitre II intitulé : « De la filiation paternelle et de ses moyens de preuve », la disposition suivante à l’article 158 : « La filiation paternelle est établie par Al firache (rapports conjugaux), l’aveu du père, le témoignage de deux adouls, la preuve fondée sur le ouï-dire et par tout moyen légalement prévu, y compris l’expertise judiciaire ». Dans l’arrêt rapporté, les juges du fond ont appliqué sèchement l’article 158 du Dahir marocain en vertu de la bilatéralisation de l’article 311-14 du Code civil10. Les juges aixois ont fait une application littérale et neutre de l’article 311-14 du Code civil en constatant que la nationalité marocaine de la mère relevait de la loi marocaine applicable à l’établissement de la filiation. Comme on l’a relaté ci-dessus, l’article 158 du Dahir du 3 février 2004 prévoit que la filiation peut être établie par tout moyen de preuve légalement prévu lorsque l’enfant est né avant le divorce.

7. L’arrêt rapporté paraît donc dans la droite ligne de la jurisprudence classique en matière d’application neutre de l’article 311-14 du Code civil. Pour autant, l’on pouvait hésiter à demeurer sur la solution retenue par les juges du fond au regard de la règle de conflit de lois. Le caractère neutre de la règle de conflit empêche le juge d’y apporter une appréciation substantielle. Force est de relever que cette neutralité a fait réagir la doctrine en estimant que : « Cette neutralité a été critiquée, en particulier par la doctrine américaine qui n’a pas craint de parler d’aveuglement de la règle et d’indifférence au résultat »11. Cela relève immanquablement d’un débat méthodologique en matière de droit international privé en général et en droit de la filiation en particulier. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, les juges constatent que : « La seule carence du défendeur aux opérations d’expertise suffit pas à renverser la présomption qui se dégage des circonstances ainsi rappelées d’une séparation et d’une cessation des relations de couple entre Mme Y et M. X rendant peu vraisemblable la conception de l’enfant par le fruit de relations de l’une avec l’autre. Il convient par conséquent de débouter Mme Y de sa demande en recherche de paternité et de tirer toutes conséquences de droit de cette décision en ce qui concerne le nom de l’enfant ».

II – Le contrôle de l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond

8. Même s’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement l’interprétation de la loi étrangère il n’en demeure pas moins que la Cour de cassation opère d’une part, un contrôle sur la motivation des juges du fond (A), et d’autre part, sur la dénaturation de la teneur de la loi et de la jurisprudence étrangère (B).

A – Un contrôle de la motivation de la décision des juges du fond

9. La faveur que manifeste la haute juridiction judiciaire, à l’égard des juges du fond, en considérant que l’appréciation de la loi étrangère par les juges du fond est « insusceptible de discussion » n’est plus à démontrer. Pour autant, par deux décisions jugées le même jour, la Cour de cassation exerce malgré tout un contrôle minimum en présence d’un conflit de lois12. C’est ainsi que l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er juin 201113 est représentatif de l’appréciation souveraine des juges du fond lorsque la Cour de cassation estime qu’« ayant constaté qu’en épousant Mme Y, M. X avait poursuivi un but contraire à l’essence même du mariage, savoir obtenir un titre de séjour sur le territoire français sans intention de créer une famille et d’en assumer les charges, c’est par une interprétation que rendait nécessaire l’ambiguïté née du rapprochement des dispositions des articles 3, alinéa 1er, 21 et 23 du Code du statut personnel tunisien que la cour d’appel a souverainement estimé que la démarche suivie par M. X s’analysait en une absence de consentement au mariage au sens du premier de ces textes, en sorte que la sanction de la nullité, édictée par le deuxième était encourue ; que le moyen n’est pas fondé ».

10. Ce sentiment se confirme à la lecture de l’arrêt d’espèce par lequel la Cour de cassation affirme sans ambages le pouvoir souverain des juges du fond, en précisant que « l’arrêt énonce qu’en application de l’article 158 du Dahir marocain du 3 février 2004, la filiation paternelle est établie par les rapports conjugaux, l’aveu du père, le témoignage de deux adouls, la preuve par ouï-dire et par tout moyen légalement prévu, y compris l’expertise judiciaire ; qu’il relève que Mme Y et M. X ne se sont pas rapprochés au cours de la procédure de divorce ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a, sans dénaturation, souverainement estimé que, l’expertise ne constituant qu’un mode de preuve parmi d’autres selon la loi marocaine, M. X n’était pas le père de l’enfant ; que le moyen ne peut être accueilli ».

11. Il arrive que les juges fond soient censurés par la haute juridiction pour insuffisance de motivation comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile dans les termes suivants : « Qu’en statuant ainsi, sans préciser la loi dont elle faisait application, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle ; par ces motifs ; casse et annule »14.

B – Un contrôle de dénaturation de la teneur de la loi et la jurisprudence étrangère

12. Souhaitée par la doctrine15, la théorie internationaliste de la dénaturation de la loi étrangère16 souffre de nombreuses lacunes liées notamment à la difficulté de la distinguer de la mauvaise interprétation17. La Cour de cassation n’accueille que rarement une censure pour dénaturation de la teneur de la loi étrangère. Si tel était le cas, la haute juridiction serait alors amenée à appliquer la théorie de l’équivalence afin d’éviter la censure des juges du fond18. Toutefois, la haute juridiction a été amenée à censurer les juges du fond dans une décision concernant une action en recherche de paternité. En l’espèce19, une femme, née en 1972 au Bénin (ex-Dahomey), a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre de sa demande tendant à voir juger qu’elle avait acquis la nationalité française le 15 mars 1982, date de la réintégration de son père Médard X, dans la nationalité française, d’avoir constaté son extranéité, et d’avoir ordonné la mention prévue à l’article 28 du Code civil. Manifestement, les juges du fond appréciant souverainement la loi étrangère béninoise l’ont dénaturée dans la mesure où la mère étant de nationalité béninoise lors de la naissance de l’enfant, tant et si bien que c’est cette loi que devaient appliquer les juges du fond20. La haute juridiction, dans un arrêt remarqué, censure l’appréciation souveraine des juges du fond pour dénaturation en considérant : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait d’une part d’une consultation ordonnée par le premier juge, en date du 26 avril 1999, qu’il n’existait pas, au Bénin, de texte en matière d’établissement de la filiation naturelle paternelle, pas plus que dans le “coutumier dahoméen” et d’autre part que, selon la même consultation et un certificat de coutume et une attestation notariée, les usages admettaient que le nom du père soit inscrit dans l’acte de naissance sur la simple affirmation de la mère – sans déclaration de naissance par le père lui-même, valant reconnaissance –, l’enfant étant alors considéré comme tacitement reconnu en l’absence de contestation du père, la cour d’appel a dénaturé le droit étranger et violé l’article 3 du Code civil »21.

13. Dans l’arrêt annoté, la haute juridiction, en considérant que l’article 158 du Dahir n’instaure pas la possession d’état, notion qui apparaît complètement étrangère à la loi marocaine, comme mode d’établissement de la filiation, écarte la dénaturation de la teneur de la loi étrangère. Les hauts magistrats rejettent le pourvoi et estiment : « qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a, sans dénaturation, souverainement estimé que, l’expertise ne constituant qu’un mode de preuve parmi d’autres selon la loi marocaine, M. X n’était pas le père de l’enfant ; que le moyen ne peut être accueilli ».

14. On serait tenté, bien sûr, de rechercher le véritable fondement de la dénaturation de la teneur de la loi étrangère. Point trop n’en faut cependant, la teneur de la loi étrangère impose un contrôle maximum mené par la Cour de cassation qui risque de contrarier la neutralité de la règle bilatérale issue de l’article 311-14 du Code civil.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Monéger F., « Le juge français et la loi étrangère (suite) », Dr. & patr. 1er oct. 2003, n° 119. Simon-Depitre M. et Foyer J., « Le nouveau droit international privé de la filiation », RDI 1973. Fohrer-Dedeurwaerder E., « Qualification en droit international privé », art. 3, fasc. 20. Circ. du 28 oct. 2011 (règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation).
  • 2.
    TGI Nice, 7 mai 2014, n° 13/00978.
  • 3.
    CA Aix-en-Provence, 6e ch. C, 17 févr. 2015, n° 14/13036.
  • 4.
    Mélin F., « Régime procédural de la loi étrangère devant le juge français », Dalloz actualité, 23 janv. 2017.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    Simon-Depitre M. et Foyer J., « Le nouveau droit international privé de la filiation », RDI 1973, op. cit., n° 24, p. 28.
  • 7.
    Montillet de Saint-Pern L., La notion de filiation en droit comparé droit français et droit anglais, thèse université Panthéon-Assas, 2013, p. 314, n° 534.
  • 8.
    Ibid.
  • 9.
    Chevalier P., « La règle de renvoi de l’article 311-14 du Code civil n’établit pas de discrimination entre homme et femme », Gaz. Pal. 3 mars 2011, n° I4892, p. 6.
  • 10.
    Fulchiron H., « La séparation du couple en droit international privé », LPA 28 mars 2001, p. 4.
  • 11.
    Bottiau A., « Conflit de lois et légitimation : suppression de l’article 311-16 du Code civil », RLDC 1er févr. 2007, n° 35.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 1er juin 2011, n° 09-68479 ; Cass. 1re civ., 1er juin 2011, n° 09-67805 : « Juin 2004-juillet 2005 : des récoltes inégales », Dr. & patr. 1er nov. 2005, n° 142.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 1er juin 2011, n° 09-67805, préc.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 1er juin 2011, n° 09-68479, D.
  • 15.
    Leborgne A., « Droits indisponibles, conflit de lois et office du juge : la première chambre civile rappelle “sa doctrine” », RJPF 1er oct. 2011.
  • 16.
    Egea V., « Dénaturation de la loi étrangère en matière de paternité naturelle », Dalloz actualité, 3 nov. 2008.
  • 17.
    Légier G., « La Cour de cassation ne contrôle pas l’application de la loi étrangère par les juges du fond », Rev. crit. DIP 1994, p. 506.
  • 18.
    « Office du juge face à la loi étrangère », Le Lamy droit économique 2016, n° 717.
  • 19.
    Garé T., « Quand la Cour de cassation donne aux juges du fond une leçon de droit… béninois », RJPF 1er janv. 2009.
  • 20.
    Ibid.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 22 oct. 2007, n° 07-14934, FS-PB.
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