Le parquet requiert cinq ans de prison contre François Fillon
C’est devant une salle archi-comble que le parquet a requis mardi après-midi. Les deux procureurs, Aurélien Létocart et Bruno Nataf ont multiplié les formules assassines à l’encontre des époux Fillon.
Certains des combats menés durant les près de 5 heures de réquisitoire dépassaient de loin l’affaire Fillon. Le procureur Aurélien Létocart a commencé par défendre longuement la légitimité de l’ouverture par le parquet national financier d’une enquête au milieu des élections présidentielles. « Aucune règle de droit ne faisait obstacle à cette enquête » qu’il faut lire comme « l’affranchissement du judiciaire sur le temps du politique ». Et de souligner que de toute façon, la décision inverse aurait été également critiquée. C’est oublier que dans de nombreux dossiers, le PNF n’a pas bougé et parfaitement supporté les critiques subséquentes. Qu’importe, le PNF s’est donné pour mission de « bousculer les habitudes judiciaires ». Parmi les nouvelles habitudes, figure celle de s’appuyer sur la presse pour déclencher des enquêtes.
Mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faut que les faits visés par l’article de presse entrent dans la compétence du PNF et que les investigations des journalistes soient suffisamment étayées et circonstanciées, a précisé le magistrat. Dans cette affaire, le rôle de la presse est si important que l’article du Canard Enchainé du 25 janvier 2017 est considéré par le parquet comme le point de départ de la prescription, en ce qu’il révèle l’existence des infractions occultes qui fondent la poursuite.
Le judiciaire s’affranchit du temps politique
Quant à la « précipitation » dont on a pu accuser la justice dans ce dossier, Aurélien Létocart s’explique « notre choix initial était de mener une enquête préliminaire, mais la loi du 27 février 2017 sur la prescription n’a laissé qu’un seul choix, soit clôturer l’enquête et faire une citation directe, soit ouvrir une information judiciaire ». Sans cela en effet, une partie des faits aurait bénéficié de la prescription.
Cette plaidoirie pro domo n’est pas seulement la réponse aux accusations d’enquête à charge de François Fillon ; elle vise également à répondre aux nombreuses critiques qu’a subi le PNF depuis le début de cette affaire. Il faut dire qu’en termes d’apparence d’indépendance, il souffre d’une malfaçon d’origine pointée notamment à l’époque par la commission nationale consultative des droits de l’homme. Créé dans le prolongement de l’affaire Cahuzac pour traiter les affaires de délinquance économique et plus généralement les dossiers à répercussion nationale ou internationale, il concentre de facto les dossiers les plus sensibles. Et lorsqu’il a ouvert une enquête contre le candidat de droite aux présidentielles il était dirigé par Eliane Houlette, laquelle avait été choisie par Christiane Taubira. Il n’en faut pas plus pour donner prise aux interrogations sur le terrain de l’impartialité objective.
« La séparation des pouvoirs est une collaboration et non une séparation étanche »
L’autre combat qu’a décidé de mener le parquet porte sur la capacité du judiciaire à juger les deux autres pouvoirs. Pour Aurélien Létocart la séparation des pouvoirs est le contraire d’un cloisonnement hermétique. C’est « une collaboration, un contrôle des uns sur les autres et non pas une séparation étanche ». Dans cette affaire, la défense oppose précisément cette séparation des pouvoirs pour considérer que le parquet n’a pas à se mêler du contenu du contrat d’assistant parlementaire, ni de sa rémunération, pas plus que de son exécution effective. Bien sûr que si, rétorque le parquet qui défend le fait que le contrat d’assistant parlementaire est détachable de la fonction de parlementaire et de l’immunité qui s’y attache. En résumé, le juge ne peut pas contrôler le contenu du travail d’un député, en revanche rien ne s’oppose à ce qu’il s’assure que, dans le cadre du contrat privé qui l’unit à son collaborateur, l’argent public n’est pas détourné. C’est si vrai que le juge du travail connait du contenu de ces contrats, comme le juge administratif, de sorte qu’on ne voit pas pourquoi le juge pénal serait le seul à ne pas pouvoir s’y intéresser.
La pareidolie du parquet
Lorsqu’on en vient au dossier, Aurélien Létocart doit corriger l’effet produit par la défense grâce aux trois témoins qui ont assuré à la barre sous serment que Pénélope Fillon travaillait effectivement pour son mari et aux trente quatre attestations lues à l’audience qui certifient la même chose. Impossible d’affirmer qu’elle ne faisait rien, cela reviendrait à accuser les témoins, parmi lesquels figure un sous-préfet, d’avoir menti sous serment. Très habilement, Aurélien Létocart s’emploie à démontrer durant près de deux heures « l’inconsistance des missions (de Penelope Fillon) et à tout le moins leur inadéquation profonde avec la rémunération ». Voir un travail d’attachée parlementaire dans ce qu’elle faisait, explique-t-il, c’est comme apercevoir un visage dans un nuage, une pareidolie. Certes, elle ne faisait pas rien, mais Aurélien Létocart estime que la défense « attribue un caractère professionnel à la moindre activité, comme rapporter le courrier ou discuter avec les gens en faisant ses courses ». Ce n’est plus « un rôle social d’épouse », le parquet a compris que la formule avait choqué et l’a abandonnée, c’est un « soutien personnel », pas assez actif pour être qualifiable de professionnel et rémunéré en tant que tel.
Capter une partie du crédit collaborateur
Mais l’attaque la plus dure est réservée à François Fillon. Car le coeur du système, depuis l’origine selon le parquet c’est la « volonté ancienne et constante de François Fillon de capter une partie du crédit collaborateur et d’en faire un complément de rémunération » . C’est l’ADN d l’intention frauduleuse. Il cite à ce sujet les contrats conclus systématiquement après la naissance de chaque enfant (mais sur une période non visée par la prévention), signe à ses yeux qu’à chaque fois que les charges du ménage s’alourdissent, on puise un complément de ressources dans l’enveloppe parlementaire. Il évoque encore le fait que la rémunération n’était pas fonction du travail, mais du reliquat de l’enveloppe. La défense ne le nie pas, mais se retranche derrière la libre disposition des fonds quand le parquet y voit la démonstration d’une « habitude de captation des reliquats d’argent public ».
Lorsque Aurélien Létocart se rassoit au bout de deux heures trois quart, il a conclu sans surprise que tous les délits, détournement de fonds publics, complicité et recel, sont constitués.
Un parquet « emphatique » et magnanime ?
C’est au tour de Bruno Nataf de prendre la parole. Il lui reste à aborder les contrats d’attachés parlementaires de Charles et Marie Fillon, la collaboration de Penelope Fillon à la Revue des Deux mondes et le prêt de 50 000 euros accordé par Marc Ladreit de Lacharrière. Lorsqu’il commence par revenir sur son « empathie » à l’égard de Madame Fillon, la défense bondit. « Madame nous avons eu mal pour vous, ce n’était pas feint. C’était le ressenti que chacun a pu avoir, encore jeudi, quand Penelope Fillon essayait de justifier son apport littéraire à la Revue des Deux Mondes ». Et de poursuivre en décrivant une « prévenue prisonnière de la défense que lui impose son mari ». Concernant les contrats des enfants Fillon, Bruno Nataf rappelle que le PNF avait requis le non-lieu et s’en remet au tribunal, soulignant au passage sa « magnanimité ». Car contrairement à ce qu’allègue la défense, le parquet « s’appuie sur des considérations juridiques complexes, très loin d’être partisanes » assure-t-il.
Le « passe-temps » de la Revue des Deux mondes
Magnanime, il l’est beaucoup moins avec le contrat de Pénélope Fillon dont il souligne le caractère de simple « passe-temps » sans preuve tangible de travail effectif. Même le fait qu’elle ait démissionné ne trouve pas grâce à ses yeux. « Ce contrat s’est terminé dans une très grande gène, on est à la limite de l’abandon de poste depuis chez soi ». Reste, le prêt de 50 000 euros à François Fillon que Bruno Nataf qualifie de « dernier caillou dans sa godasse ». « L’omission de ce prêt est substantielle et intentionnelle » assène le procureur. Question de perspective. La défense avait évoqué une part de 7% dans le patrimoine déclaré en 2012, le parquet y voit l’équivalent du salaire annuel de Penelope cette année-là.
Des faits gravissimes
Le réquisitoire touche à sa fin. Il n’a pas été tendre, ni à l’égard des prévenus dont les actes sont qualifiés de « gravissimes » ni à l’égard des avocats qui ont été plusieurs fois mis en cause, Aurélien Nataf n’hésitant pas à parler des « stratagèmes » de la défense. C’est le ton adopté par le parquet dans le dossier depuis le début de cette affaire. Est-ce l’irritation d’avoir été particulièrement critiqué dans ce dossier ? Toujours est-il qu’il a multiplié les sarcasmes, flirtant régulièrement avec une forme de mépris affiché pour la défense et les prévenus.
Il est près de 18 heures. Aurélien Létocart reprend la parole. La salle suspend son souffle : on va connaître enfin les peines réclamées. Soit le tribunal considère « qu’une époque juge une autre époque » et rend une décision « clémente », expose le procureur. Soit il estime que c’est une atteinte intolérable au corps social de la part de quelqu’un dont on attendait une légitime exemplarité. Sa préférence va évidemment à cette deuxième option. Contre François Fillon, il réclame dix ans d’inégibilité, cinq ans de prison dont trois avec sursis et 375 000 euros d’amende. Contre Penelope Fillon : trois ans avec sursis et 375 000 euros d’amende. Enfin contre le suppléant Marc Joulaud, deux ans avec sursis et 20 000 euros d’amende.
Ce mercredi, dernier jour d’audience, est consacré aux plaidoiries de la défense : Pierre Cornut-Gentille pour Penelope Fillon, Antonin Levy pour François Fillon et Jean Veil pour Marc Joulaud.
Référence : AJU65436