Assises de Créteil : Dispute mortelle cité des bleuets (2/2)

Publié le 10/08/2020

Après les révélations sur l’anévrisme de la victime d’une rixe à Créteil en mai 2017 et la bipolarité de l’accusé (partie I), la cour d’assise du Val-de-Marne le déclarera-t-elle coupable de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner ? Partie 2/2.

Assises de Créteil : Dispute mortelle cité des bleuets  (2/2)
Palais de justice de Créteil, salle des pas perdus. (Photo : ©P. Anquetin)

« Mon frère, c’était une crème, il était gentil, il n’aurait jamais fait de mal à personne… » Au deuxième jour du procès pour coups mortels, le 9 juillet 2020 au Tribunal judicaire de Créteil, les frères, la sœur, la mère de la victime confient aux jurés leur douleur et leur colère.

Deux témoins déjà cités dans l’enquête ou dans l’instruction viennent confirmer à la barre qu’ils ont bien vu Monsieur Z. donner des coups de pieds à Monsieur D. alors qu’il était au sol.

L’expert psychiatre confirme à la cour que Monsieur Z. n’était pas en crise maniaque au moment des faits. Et aussi qu’il exprimait « des regrets authentiques et pas manipulatoires. »

Lire le récit des faits et des débats sur la santé de l’accusé et de la victime dans la première partie

Enfin c’est au tour de Monsieur Z. lui-même d’être interrogé par le Président Fusina sur la mort la victime, Monsieur D. en 2017 :

« — On était très familiers. On s’était vus quelques jours avant. Moi j’ai fait une blague déplacée sur sa sœur. On s’est disputés, mais il n’y avait pas de haine entre moi et lui. Le lendemain, on s’est croisés, il m’a dit de pas lui serrer la main. Il m’a poussé, je l’ai repoussé, il m’a mis un coup, je lui ai mis trois ou quatre coups. Je ne me suis pas acharné, je le connaissais.

— Des petits jeunes ont dit que vous lui avez shooté dans la figure. Vous avez répondu : ils inventent.

— Au niveau du visage, il n’y a pas de marques. J’ai vu qu’il ne se réveillait pas. J’ai pensé : il a fait un malaise, il va se remettre. »

Le Président ne peut s’abstenir d’évoquer le fait divers à la une des journaux télévisés au moment du procès :

« — Vous avez entendu parler du chauffeur de bus, qui est décédé à la suite des coups ?

— Si j’ai commis un acte aussi grave, je suis prêt à l’assumer. J’ai des regrets. J’ai gâché ma vie, la vie de la famille.

— Vous disiez que c’était un accident ?

— Dans le sens où c’est quelque chose qui n’était pas prévu. Le matin quand je me suis réveillé, je ne m’attendais pas à me battre et à enlever la vie de quelqu’un. »

Un frère de la victime se tord les mains de rage contenue. La famille est en effet brisée. La grand-mère, la mère, les enfants… chacun a été emporté. C’est ainsi que plaide Maître Sandie Boudin, l’avocate de la partie civile : « Leur mère m’a dit : j’ai arrêté de vivre quand mon fils est mort. » Les enfants ont tenté de fuir ce désespoir, mais n’ont trouvé que l’alcoolisme pour les uns, la solitude et la misère pour les autres. L’épreuve du procès les rapproche.

Six à sept ans requis

L’avocat général balaye la controverse médicale : « La victime est décédée d’un traumatisme crânien avec hémorragie, c’est dans le rapport d’autopsie. Il y a des coups qui ont entraîné la mort. Et je le précise, l’état de santé de la victime est indifférent, c’est dans notre droit pénal depuis 150 ans. Peu importe que ce soit dû à la rupture d’anévrisme, peu importe que ce soit le stress, l’adrénaline… Ce qui compte, c’est le résultat, la mort d’un homme. On a bien des violences volontaires ayant entraîné la mort. »

Mais dans ses réquisitions, le l’avocat général veut prendre en compte l’âge de l’accusé, 29 ans, ses études, son diplôme. « Jeune, il est traité pour bipolarité. Il a une réactivité excessive. Il a compris la gravité de ce qu’il s’est passé (…). Une peine ce n’est pas seulement un quantum, c’est aussi une solution de continuité, de réinsertion. »

Il requiert « 6 à 7 ans » de réclusion criminelle.

« Il a tué sans vouloir le tuer »

Dans sa plaidoirie pour la défense, Hélène Japhet, le reconnaît : « Les coups sont là, la mort est là. Que s’est-il passé ? Moi je ne prétends pas le savoir, vous ne savez pas non plus. Le motif de la bagarre est un motif des plus futiles. Un motif qui n’en vaut pas la peine. »

Elle revient sur la rareté et la fragilité des témoignages. « L’omerta de la cité, elle existe, mais dans cette affaire le quartier était contre Monsieur Z. ! Et finalement, tout le monde a compris qu’il a tué Monsieur D. sans vouloir le tuer… » Elle demande aux jurés de le déclarer coupable de coups et blessures involontaires ayant entrainé la mort, et non pas de violences volontaires.

Me Japhet raconte la détention « épouvantable » de son client bipolaire à Fresnes. On le considérait comme « un provocateur, qui ne prenait pas ses médicaments, qui fumait du shit, qui utilisait un téléphone… Il a passé son temps devant la commission de discipline. » Elle met en garde les jurés : « Vous êtes la cour d’assise. Vous n’êtes pas là pour vous dire : je donne tant d’années de prison sachant que le juge d’application des peines va lui enlever tant. Pour peu qu’il dérape encore en prison, il peut faire la totalité de sa peine. » Elle suggère une peine avec un sursis probatoire. « Monsieur Z. est encore rattaché à notre société par un fil. Ce fil se tend. Il ne faut pas le rompre. »

L’accusé conclut avec un ton d’enfant triste : « Je comprends entièrement la haine que la famille éprouve. Avoir la mort d’un ami sur la conscience, c’est quelque chose qui me hantera jusqu’à ma mort. Mais je regrette surtout parce que Jordan est parti. »

Verdict

A 13 heures, la cour et les jurés se retirent pour délibérer. A 19 heures, le verdict, plus lourd que les réquisitions : huit ans de réclusion criminelle, 60 000 € d’indemnisation pour la mère, 25 000 € pour chacun des frères et sœurs, 15 000 € pour la grand-mère.

Le condamné ne fera pas appel.

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