Avocats : pas de signes distinctifs sur la robe, conclut un avis commandé par le CNB

Publié le 07/04/2023

Lors de son assemblée générale du 6 avril, le Conseil national des barreaux (CNB) a invité Christian Vigouroux et Élise Untermaier-Kerléo à exposer leur avis sur la question du port du voile avec la robe d’avocat. Les deux auteurs concluent à la possibilité pour le CNB d’interdire le port de signes distinctifs sur la robe dans le règlement intérieur national (RIN) de la profession.

Avocat en robe
AlcelVision/AdobeStock

Le CNB va-t-il se prononcer sur la délicate question des signes distinctifs sur la robe, ravivée depuis quelques années par la volonté de certaines femmes de porter le voile avec le costume d’audience ? Au moins 29 barreaux ont déjà modifié leur règlement intérieur, dont Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon etc.…Si les formulations varient, l’objectif est toujours le même : interdire les signes distinctifs sur la robe. À Paris sont prohibés les signes manifestant « ostensiblement une appartenance religieuse, communautaire ou politique ». À Toulouse, on ajoute les décorations et l’appartenance « philosophique ». À Bordeaux, le barreau précise que le « costume d’audience est constitué de la robe à l’exclusion de tout signe distinctif en dehors des décorations de la République française ».

« La robe, toute la robe, rien que la robe »

Ces formules différentes illustrent la nécessité d’une position commune. Dans un rapport rédigé pour la Conférence des bâtonniers en 2016, le bâtonnier Emmanuel Le Mière concluait « la robe, toute la robe, rien que la robe ». Dans un nouveau rapport de 2022, la Conférence propose au CNB de retenir la formule « l’avocat ne peut porter avec la robe aucun signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique ou politique ». De son côté, le CNB a déjà rédigé plusieurs travaux sur la question concluant peu ou prou dans le même sens, mais sans jamais aller plus loin. Côté jurisprudence, un avocat toulousain qui s’était ému à l’idée de ne plus pouvoir arborer ses décorations sur sa robe a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 2018 qui lui donne raison, mais sur la question bien précise des décorations. L’arrêt vraiment important est celui de la première chambre civile du 2 mars 2022. Elle était saisie d’un recours contre une décision de la cour d’appel de Douai qui avait validé le nouveau règlement intérieur du barreau de Lille ainsi rédigé « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». La Cour de cassation a confirmé aux motifs que :

« La cour d’appel a retenu que la volonté d’un barreau d’imposer à ses membres, lorsqu’ils se présentent devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme contribue à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable, qu’afin de protéger leurs droits et libertés, chaque avocat dans l’exercice de ses fonctions de défense et de représentation, se doit d’effacer ce qui lui est personnel et que le port du costume de sa profession sans aucun signe distinctif est nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable ».

Un costume d’audience obligatoire et uniforme

S’il semble nécessaire d’harmoniser la situation des barreaux sur ce sujet, le CNB en a-t-il la compétence ? Oui, répondent Christian Vigouroux, ancien président de la section de l’intérieur du Conseil d’État et Élise Untermaier-Kerléo, maître de conférences en droit public à Lyon 3, dans leur avis du 11 mars présenté à l’AG du CNB ce jeudi 6 avril. Ils écartent d’abord les fondements non pertinents. La laïcité ne s’applique pas ici car l’avocat n’est pas un agent public, ni même assimilé en tant qu’auxiliaire de justice. Le droit du travail et ses dispositions relatives à la neutralité des salariés ne convient pas non plus à une profession libérale.

La clef, s’agissant des avocats, réside dans l’article 3 de la loi de 1971 qui impose le costume d’audience. Non seulement la robe est obligatoire, mais elle comporte une exigence d’uniformité. Il n’est pas possible d’interpréter le costume à sa guise. Donc, en interdisant les signes distinctifs sur la robe, le CNB ne ferait qu’interpréter la loi pour unifier les pratiques relatives au costume d’audience. Son action serait justifiée par le double fondement de la loi de 1971 et de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2022.

L’avis préconise ainsi d’insérer un article 1.3 bis dans le RIN rédigé comme suit :

« Ainsi qu’il est prévu à l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats revêtent, « dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession ».

 En audience juridictionnelle ou disciplinaire l’avocat ne porte aucun signe distinctif avec la robe ».

« La robe enveloppe l’avocat et le sécurise »

Il est à noter que contrairement aux formulations retenues dans les barreaux, la rédaction proposée n’entre pas dans le détail des signes distinctifs, ce qui a le double mérite de ne stigmatiser aucune communauté, mais aussi, à l’inverse, de n’oublier personne. La valeur fondatrice ici qu’il convient de défendre, c’est l’indépendance. « La robe enveloppe l’avocat et le sécurise » souligne le rapport qui précise : elle n’est « ni un portemanteau sur lequel accrocher des signes de diversité de vie » ni « le réceptacle de possibles contraintes » imposées par un état autoritaire, une pression de l’opinion ou un client important.

La formule est calibrée au millimètre pour avoir toutes les chances de passer avec succès le contrôle du Conseil d’État. Là se situe aussi sa limite. Qu’en est-il de l’avocat qui circule dans les couloirs ? Il est en robe, faut-il admettre qu’on porte des signes distinctifs qui ne seront ôtés que dans la salle d’audience ? a demandé Matthieu Boissavy, vice-président de la Commission libertés et droits de l’homme, lors de la discussion qui a suivi. Christian Vigouroux met en garde : plus on élargit l’interdiction, plus elle risque d’être retoquée par le Conseil d’État, d’où le choix prudent de la limiter. Qu’en est-il également des moments professionnels où l’avocat exerce sa mission, mais sans sa robe, par exemple lors des permanences de garde à vue ? Sans oublier la sempiternelle question des décorations. Elle semble la plus simple à résoudre pour les auteurs de l’avis : le port des décorations républicaines relève du code de la légion d’honneur, pas des ordres ni du CNB. Mais ce dernier pourrait recommander de s’abstenir de les porter à l’audience, sans pour autant l’interdire.

L’avis n’a pas été soumis au vote, il devrait être inscrit à une prochaine assemblée générale. Ce qui apparaît certain à ce stade, c’est que la très grande majorité de la profession rejette l’idée des signes distinctifs sur la robe. Le voile semble donc, en l’état, avoir peu de chances de s’imposer dans les prétoires.

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