Élection présidentielle : Justice, la grande oubliée
Pour trouver les programmes Justice des candidats à la présidentielle, il faut bien souvent chercher à la lettre S comme Sécurité….Plusieurs avocats soulignent l’état catastrophique dans lequel se trouve l’institution judiciaire et appellent les candidats à prendre conscience qu’il est urgent de la sauver du naufrage.
A chaque élection présidentielle s’invite le thème de la sécurité, chaque candidat s’imposant une surenchère de mesures toujours plus nécessaires les unes que les autres. Mais à quand remonte la dernière fois où un candidat à l’élection a eu comme thème principal de campagne la Justice ? Non pas une ligne de plus dans un programme global promettant systématiquement une justice plus proche, plus rapide, et mieux financée, mais une mutation profonde de la Justice de notre pays, pilier essentiel d’un Etat de droit, qui semble pourtant vouée à une destruction programmée.
Car faut-il le rappeler, aucun programme politique, quel qu’il soit, ne peut être efficace sans une Justice forte disposant de moyens permettant de veiller à son application.
Or le constat est clair, notre justice n’est plus en mesure de répondre aux attentes légitimes des justiciables.
L’opinion publique croit que les revendications en matière de justice sont une histoire de corporations, de juges d’un côté et d’avocats de l’autre, réclamant chacune quelques privilèges supplémentaires.
Une Justice débordée, surchargée, épuisée, méprisée, et sans moyens
Pourtant, s’il y a un sujet qui échappe au corporatisme c’est bien celui consistant à donner enfin à la Justice les moyens humains, financiers et matériels, afin qu’elle soit véritablement à la hauteur qui doit être la sienne dans une démocratie.
Les gouvernements successifs proclament les uns après les autres avoir consenti des « efforts » régulièrement qualifiés d’importants, mais en oubliant toujours de préciser que la France se situe tellement bas au sein de l’Europe en termes de budget par habitant que les augmentations – sans même débattre de leur affectation réelle – demeurent en réalité bien dérisoires.
D’ailleurs, l’urgence n’est même plus de trouver des fonds pour la Justice, mais de stopper une politique qui vise à la transformer – non pas dans le sens d’une recherche d’amélioration constante – mais uniquement pour rogner davantage sur les dépenses et, partant, faire des économies. Ce n’est donc plus l’argent au service des réformes, mais bien des réformes devant permettre de réduire toujours plus les coûts.
Le constat d’une Justice débordée, surchargée, épuisée, méprisée, et sans moyens, est pourtant le révélateur d’un problème systémique dont tous les auxiliaires de justice sont les victimes collatérales.
Dérive législative
La dérive est ancienne, elle a consisté pour les gouvernements successifs, tous bords politiques confondus, à empiler les réformes engendrant des strates législatives et réglementaires disparates dépourvues de cohérence venues s’accumuler au fil des années.
La complexification de la procédure d’appel – illustration parmi tant d’autres de l’instauration de règles procédurales toujours plus obscures, jonchées de chausse-trappes inutiles – réduit in fine les possibilités d’appel pour le justiciable qui se retrouve, dans les faits, amputé d’une voie de recours ayant perdu de son effectivité.
Tandis que, dans le même temps, avocats, magistrats et greffiers sont happés par des débats sans fin portant sur l’interprétation d’arguties procédurales trouvant leur source exclusive dans un texte mal rédigé.
Ces modifications permanentes de la Loi sont l’une des causes tragiques de l’agonie de ce pouvoir régalien. Les magistrats, comme les avocats le crient sans succès : la prolifération marketing de textes incomplets modifiant la procédure la rend inapplicable.
Combien de nouveaux textes qui, chaque année, altèrent, bouleversent, révoquent, annulent, complexifient les textes passés, et laissent à la charge des magistrats comme des avocats la lourde tâche consistant à essayer d’en imaginer la portée, au détour d’incidents de procédure démultipliés ?
Que dire par ailleurs des politiques successives qui n’hésitent pas à privatiser progressivement notre Justice ? Ainsi et sous couvert de modernisation numérique, les avocats se voient aujourd’hui en charge d’effectuer certaines formalités anciennement confiées aux greffes.
L’accès au juge confisqué
Plus grave encore, des prérogatives autrefois dévolues aux magistrats sont désormais confiées à des prestataires privés et payants, l’accès au juge étant pour ainsi dire confisqué au profit de conciliateurs souvent peu, voire pas, formés.
Et les rêves fantasmés de certains politiques, déjà entendus à l’Assemblée nationale, d’une justice « prédictive », rendue par des algorithmes, sans juge ni avocat, ne sont pas pour nous rassurer sur l’avenir.
Quant aux politiques à l’ambition revendiquée de faire plus simple, elles n’en sont pas moins dangereuses.
Faut-il rappeler que dans le cadre de la loi dite de simplification, pour « faciliter » l’accès à la justice, le rédacteur de cette réforme avait jugé opportun de changer au passage la numérotation d’une partie des articles du code civil, pourtant connus de tous les professionnels – y compris dans tous les pays francophones – et inchangés depuis deux siècles ?
La seule question reste donc de savoir si un candidat à l’élection présidentielle aura le courage d’envisager enfin l’arrêt de cette politique comptable, et de faire du sauvetage de la Justice l’élément principal de son programme.
Afin que chaque justiciable ait enfin la possibilité de faire valoir ses droits, dans un délai raisonnable, assisté de conseils pouvant pleinement et sereinement exercer leur mission, dans le cadre d’une justice publique où des magistrats disponibles, considérés et disposant de moyens, pourront simplement effectuer leur office dans des conditions dignes d’une grande Nation.
Et ce sera justice.
Les premiers signataires sont : Vanessa Bousardo, Annabel Boccara, Benoît Deniau, Simon Dubois, Pierre Hoffman, Alexandre Moustardier, Benjamin Pitcho.
Référence : AJU281712