Justice : il est fini le temps de Rose…

Publié le 23/09/2021

Pour pénétrer au tribunal judiciaire de Paris, mais aussi s’y déplacer, que l’on soit avocat ou justiciable, il faut satisfaire à de multiples contrôles, posséder un badge, avoir un rendez-vous, sonner à des interphones, franchir des sas de sécurité….Me Julia Courvoisier se souvient d’un temps pas si éloigné où l’humain n’était pas encore remplacé par des pancartes. C’était le temps de Rose, responsable de l’accueil du service du juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Paris.

Batignolles - Atrium
Tribunal des Batignolles – atrium (Photo : ©O. Dufour)

 

Tribunal judiciaire de Paris, un jour comme un autre en 2021.

« — Vous allez à quel étage Maître ?

— IGH Sud ou Nord ?

— Vous avez rendez-vous ?

— Votre carte n’est pas activée : il faut aller chercher un badge à l’accueil Maitre.

— C’est pour quoi ?

— Non, ces toilettes sont réservées aux personnels du tribunal maître, il faut retourner à l’accueil.

— Salle d’attente 2 : on viendra vous chercher !

— Tout est inscrit sur le tableau d’affichage lumineux Maître ».

Le SAUJ : une file d’attente des personnels sans nom derrière des vitres

Il y a 10 ans…

Elle s’appelait Rose.

Je pense souvent à Rose ces derniers mois. En réalité, je pense à elle quasiment à chaque fois que je me rends dans ce bunker sécurisé qu’est le Tribunal judiciaire de Paris situé à Porte de Clichy.

La sécurité, encore la sécurité, toujours la sécurité.

Des portiques dignes de l’aéroport de Roissy, des étages inaccessibles sans un badge spécial, des « hôtesses d’accueil » qui renseignent le justiciable comme dans un centre commercial. Du blanc, du verre, des balustrades desquelles il ne faut pas s’approcher au cas où… (1)

Et puis le SAUJ.

Le Service d’Accueil Unique du Justiciable.

Avec un côté pour les justiciables et un autre pour les avocats.

Le SAUJ, c’est le nouveau service à la mode qui pullule dans tous les tribunaux de France.

Un peu comme les crocks, ces chaussures que tout le monde porte tout en reconnaissant que c’est hideux.

Le SAUJ, c’est une file d’attente et des personnels sans nom derrière des vitres. Aucun numéro de téléphone n’est donné, encore moins aux avocats. Vous déposez une demande de permis de communiquer pour aller voir un détenu : « on vous appellera quand il sera prêt et vous viendrez le chercher ! ».

L’idée officielle ? Simplifier les démarches des justiciables et gagner du temps. Simplifier, encore simplifier, toujours simplifier.

La réalité : ne pas déranger les juges. Ni leurs greffiers. Et donc éloigner encore plus le justiciable de la justice. Mais surtout les avocats. Et pour tout vous dire, c’est parfaitement bien réussi.

La sécurité, encore la sécurité, toujours la sécurité.

Et faire des économies sur tout le reste pour payer cette sécurité.

Les avocats sont les premiers à en souffrir. Comme si un juge risquait sa vie en acceptant qu’un avocat vienne lui parler dans son bureau sans avoir passé un portique de sécurité, badgé 3 fois et présenté sa carte professionnelle à une caméra…

Rose avait toujours le sourire, avec tous les avocats

Alors je repense à Rose. Souvent.

Rose était la charmante dame qui a géré durant des années l’accueil du service du juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Paris, ile de la Cité. Elle était le premier filtre avant les greffiers de chaque juge.

Rose avait toujours le sourire avec tous les avocats. Même ceux qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’avait jamais vus. Elle se souvenait de chacun.

Rose était le soleil de ce service. Pour les avocats, certes. Mais aussi pour les justiciables venus divorcer, dans ce moment difficile de la vie où l’on vient se hurler des horreurs à la figure, se déchirer pour les enfants, un appartement, une prestation compensatoire.

Rose prenait nos noms et nous indiquait la salle d’attente dans laquelle nous devions nous installer.

Puis elle prévenait le greffier de notre arrivée.

Rose avait toujours un mot gentil, une petite attention.

Rose et son accent des iles. Rose et ses anecdotes antillaises.

Rose et son amour pour la vie, son amour pour les autres.

Rose nous trouvait toujours des solutions en cas de problème.

Un retard en audience et Rose gérait l’ordre de passage comme une chef !

Nous, les avocats, pouvions aller et venir à notre guise dans ce long couloir en U des affaires familiales de ce vieux palais. Grâce à Rose, nous avions un interlocuteur toujours disponible et très compétent qui permettait le lien nécessaire entre avocats et magistrats.

Nous pouvions d’ailleurs nous rendre partout dans ce palais de justice teinté d’histoire et de souvenirs. Ni badge, ni entrée interdite aux avocats, ni aucune barrière entre nous et la justice.

Et puis un jour, Rose est partie. Surement en retraite dans son île chérie.

Je l’imagine loin de ce capharnaüm qu’est devenu le tribunal judiciaire.

Personne ne l’a remplacée.

Plan du tribunal des Batignolles
Plan du tribunal des Batignolles (Photo : ©O. Dufour)

Badger, encore badger, toujours badger

Petit à petit, les portes des magistrats se sont fermées à clés, nous imposant de faire des emails sur le RPVA, le réseau informatique interne de la justice. Des pancartes accrochées au mur ont pris le relai des chaleureuses indications de Rose. Un parcours fléché, impersonnel. Froid, glacial. Moche. Parfois en couleur pour ne pas se tromper.

Et puis le Tribunal a déménagé à Porte de Clichy. Il est devenu le Tribunal judiciaire.

Avec le Tribunal de grande instance de Paris, avec Rose, la proximité entre avocats et magistrats a disparu.

Là-bas, se rendre dans le bureau d’un juge est digne d’une épreuve de Pékin Express.

Pour accéder à  la plupart des étages où travaillent les magistrats, il faut montrer patte blanche avec une carte d’avocat ou un passe délivré individuellement par l’accueil, sonner à des portes ultra sécurisées, accepter d’être filmés dans les couloirs, badger, encore bagder, toujours badger. De plus en plus, il faut « prendre rendez-vous », comme à Nanterre où, après 16 heures 30, soit les avocats ont rendez-vous avec un juge, soit ils se font refouler à la porte !

Sonner. Justifier qui vous êtes, pourquoi vous venez. Attendre dans un sas, devant une caméra qui vous filme. Vous surveille. Attendre qu’un inconnu daigne vous laisser entrer.

« La sécurité Maître ! Les attentats Maitre ! ».

Oui, Rose me manque.

Cette justice-là me manque.

Et je crains qu’elle ne manque à beaucoup de confrères mais aussi de justiciables.

 

 

(1) La tentative de suicide d’un jeune migrant, mineur, originaire du Burkina Faso en novembre 2018, soit quelques mois après la mise en service du nouveau tribunal de Paris a suscité l’émoi. Celui-ci en effet s’est jeté du quatrième étage. Il s’en est sorti miraculeusement indemne, mais depuis lors, le tribunal demande aux agents de sécurité d’empêcher quiconque de s’approcher des garde-corps en attendant que des travaux soient réalisés pour sécuriser les lieux. Avocats et magistrats avaient pourtant prévenu avant même l’ouverture du tribunal que la configuration était dangereuse. Pour en savoir plus, notamment sur les travaux prévus, c’est ici.

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