L’avocat de la partie civile est-il un procureur privé ? Assurément oui !
Ah, comme il est difficile le rôle de l’avocat ! Même au sein de la profession, les avis divergent sur certains aspects de l’exercice de la défense. C’est le cas s’agissant de l’assistance des parties civiles en matière pénale. L’avocat, dit-on souvent, devrait se limiter à décrire ce qu’a subi son client, sans s’engager dans une démonstration de culpabilité qui le changerait alors en procureur privé. Ce n’est pas l’avis de Me Julien Benshimon, voici pourquoi.
Un journaliste du site internet Les jours a dernièrement écrit à propos des plaidoiries de partie civile du procès des attentats de novembre 2015 : « C’est la fin de centaines de plaidoiries de parties civiles cette semaine, et l’ensemble laisse une impression mitigée : les avocats sont-ils procureurs privés, dépositaires d’une mémoire, philosophes ? Ils ne le savent pas très bien eux-mêmes. »
Cette phrase a fait réagir une de nos consœurs, bien connue des lecteurs du site Actu-juridique, qui a pris position en indiquant :
« L’avocat de la partie civile est un avocat de la défense des intérêts de son client, comme le dit si bien Me Maugendre. Il ne requiert pas, n’a pas à prouver la caractérisation de l’infraction, ni à démontrer la culpabilité. Il doit parler de son client et de ce qu’il a subi. »
L’avocat de la partie civile est un avocat de la défense des intérêts de son client, comme le dit si bien Me Maugendre. Il ne requiert pas, n’a pas à prouver la caractérisation de l’infraction, ni à démontrer la culpabilité. Il doit parler de son client et de ce qu’il a subi.
— Julia Courvoisier (@JuCourvoisier) June 1, 2022
Je partage pleinement la première partie de ce propos, mais ne partage la seconde car dans ma pratique je n’hésite pas à me faire « Procureur privé », ce que je considère servir pleinement les intérêts de mes clients.
Le passage de « partie civile » à « victime » impose l’existence de la culpabilité
Il me semble que la mission de l’avocat est d’assurer la défense des intérêts de son client. Cela est vrai, dans un procès pénal, que l’on défende un client poursuivi ou une partie civile. Je partage ainsi totalement l’opinion selon laquelle l’avocat d’une partie civile est un avocat de la défense des intérêts de son client.
Cela n’empêche que lorsque je défends une partie civile, son intérêt est, par principe, de passer du statut de partie civile à celui de victime, ce qui impose que le prévenu ou l’accusé soit condamné. Ce n’est qu’au prix de cette condamnation que la partie civile changera de statut, deviendra « victime » et considérera que « Justice » a été rendue. Cela impose que la culpabilité de l’auteur soit démontrée. C’est de plus l’existence de cette culpabilité qui ouvrira le droit à l’indemnisation de la partie civile devenue victime.
Il y a donc un véritable enjeu pour une partie civile à ce que l’infraction soit jugée par le tribunal ou la cour d’assises comme caractérisée, et la culpabilité constatée. J’estime donc que pour défendre les intérêts de mes clients parties civiles, je dois tout faire pour que l’auteur soit condamné.
Impossible de faire une confiance aveugle au parquet
C’est à ce stade que le déroulé du procès pénal et la place qui y est assignée à l’avocat de la partie civile impose de faire un choix.
Par principe, certains d’entre nous considèrent que le procureur présent à l’audience pénale, qui doit porter l’accusation et démontrer l’existence de l’infraction, connaît parfaitement le dossier, a compris ses tenants et aboutissants, et fera tout ce qui est nécessaire pour démontrer la constitution de l’infraction.
D’autre considèrent qu’il n’y a aucune certitude que ce soit le cas.
Je fais partie de cette seconde catégorie et je me refuse à faire aveuglément confiance au représentant du ministère publique présent à l’audience.
Pour la simple et bonne raison que le procureur pose ses questions après l’avocat de la partie civile et requiert après lui ! Ainsi il est impossible de connaître à l’avance la teneur ou la qualité de ses réquisitions.
Mon père en a fait l’amère expérience au début des années 90 aux assises de Créteil où, jeune avocat, il défendait une famille dont le père avait été écrasé par un chauffard à la suite d’une dispute. N’ayant à cette époque jamais plaidé en partie civile aux assises, il avait demandé conseil à des confrères plus âgés. Ceux-ci lui avaient répondu que son rôle, lors de sa plaidoirie, était de ne surtout pas démontrer la culpabilité mais de se borner à décrire la souffrance des victimes et les conséquences du crime commis. C’est donc ce qu’il a fait. Malheureusement après lui le procureur a requis l’acquittement et l’accusé a été acquitté. Mon père en a été profondément bouleversé au point qu’il a envisagé après le délibéré de quitter la robe.
Depuis, lorsque nous représentons des parties civiles, nous nous attachons dans les questions que nous posons puis par nos plaidoiries, en correctionnelle ou aux assises, à démontrer pleinement la caractérisation des infractions car si nous ne le faisons pas nous n’avons pas la certitude que cela sera fait, ou bien fait !
L’avocat de la partie civile connait souvent mieux le dossier que le procureur
Nous sommes en effet régulièrement confrontés à des procureurs qui ne maîtrisent pas aussi bien le dossier dans lequel nous intervenons que nous le souhaiterions.
En correctionnelle, pour des raisons de surcharge de travail, les procureurs prennent souvent connaissance des dossiers la veille de l’audience, quand ce n’est pas le matin même et ont donc un temps extrêmement limité à consacrer à l’étude des dossiers pénaux. De plus, lors d’une audience correctionnelle, ils vont devoir requérir dans plusieurs dossiers, ce qui matériellement les empêche de tous bien les connaître. Il n’est donc malheureusement pas rare que les réquisitions soient courtes, peu abouties sur le fond et caractérisant mal l’infraction poursuivie.
C’est cette réalité qui nous pousse à être « procureur privé » dans l’intérêt de nos clients
Nous connaissons donc souvent mieux le dossier que le parquet, pour la simple raison que nous sommes régulièrement à l’initiative de la plainte déposée qui a entraîné l’ouverture d’une enquête, puis que nous avons agi pour que cette enquête avance, que nous avons participé aux confrontations, effectué des demandes d’actes et que nous portons la parole de nos clients généralement depuis plusieurs années au moment où le dossier arrive à l’audience.
Nous avons également plus de temps que le parquet pour préparer l’audience, ce qui nous permet de préparer nos clients, de déterminer les pièces à communiquer, de rédiger des conclusions démontrant la culpabilité du prévenu, de préparer des questions et une plaidoirie aboutie.
Enfin, nous n’avons généralement qu’un seul dossier à l’audience ce qui permet de mieux le maîtriser.
Je considère que nous avons donc, lorsque nous sommes avocats de partie civile, un véritable rôle à jouer pour démontrer avant l’audience (par les notes ou demandes d’actes que nous faisons parvenir au procureur en charge de l’enquête ou au juge d’instruction, puis par la communication de conclusion et de pièces), et lors de l’audience, (par les questions et plaidoiries), la caractérisation de l’infraction et la démonstration de la culpabilité sur la base de l’adage « il vaut mieux faire soit même ce dont l’on n’est pas sûr qu’autrui fera ».
C’est pourquoi, je me « fais Procureur privé » lorsque je suis avocat de la partie civile et ne me borne pas uniquement à parler de mon client et de ce qu’il a subi, car si je me limitais à cela j’aurai le sentiment de trahir mon mandat d’avocat de la défense des intérêts de mon client.
Référence : AJU297044