PNACO : un changement de taille dans la lutte contre les « mafias » ?
Le nouveau garde des Sceaux Didier Migaud, qui a pris ses fonctions le 23 septembre dernier, aura-t-il à cœur de poursuivre le chantier de création du parquet national anticriminalité organisée (PNACO) lancé par son prédécesseur Éric Dupond-Moretti ? C’est une nécessité, estime le commissaire divisionnaire honoraire Julien Sapori qui en détaille pour nous l’utilité.
Le 28 avril 2024, Éric Dupond-Moretti, alors ministre de la Justice, annonçait la création imminente du PNACO (Parquet National Anti-Criminalité Organisée). Venant se situer à côté des deux parquets nationaux déjà existants (celui anti-terroriste et celui financier), il devrait permettre, selon les vœux de M. Dupond-Moretti, de « mieux coordonner l’action de la justice et de la rendre plus efficace dans sa lutte contre le crime organisé ». L’ancien procureur national anti-terroriste Jean-François Ricard avait été nommé conseiller spécial près le ministre, chargé de la réflexion et de la concertation sur ce projet : un gage de compétence et d’efficacité. La création du PNACO devrait s’accompagner d’autres mesures, toutes visant l’amélioration de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité qui, ces dernières années, a révélé sa dangerosité croissante.
La création du PNACO, « mesure phare » dans la lutte contre la criminalité organisée
Le nouveau PNACO devrait être chargé des poursuites en matière de trafics de stupéfiants d’importance mais, aussi, de blanchiment d’argent, corruption d’agents publics, cybercriminalité ; on voit bien que l’objectif est de lutter contre le risque, de moins en moins hypothétique, des « narco-États », sujet au cœur des réflexions de la commission d’enquête sénatoriale dont le rapport a été présenté le 14 mai 2024.
Bien évidemment, il faudra veiller à l’articulation du travail du PNACO avec celui des huit JIRS (Juridictions Inter-Régionales Spécialisées), qui existent depuis vingt ans et qui ont fait preuve de leur efficacité. Leur compétence s’étend au trafic de stupéfiants, à la traite des êtres humains, au proxénétisme et au faux monnayage mais elles peuvent aussi se saisir en fonction de certaines circonstances aggravantes : bande organisée ou association de malfaiteurs.
Création de cours d’assises spéciales
Le 20 novembre 2023, à l’occasion de l’audience solennelle de son installation, en présence du ministre de la justice Dupond-Moretti, le nouveau procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, avait évoqué le problème, « dans ces dossiers de grand banditisme où suinte la peur », des jurés populaires, « qui peuvent être approchés, impressionnés ou menacés » par l’entourage des mis en cause. En effet, actuellement, les cours d’assises spéciales, composée uniquement de magistrats professionnels moins « influençables », sont réservées aux affaires de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée. C’est paradoxal que les trafics de stupéfiants échappent aux jurys populaires, et pas les assassinats qui en constituent le corollaire (49 ont été enregistrés à Marseille au cours de l’année 2023) ! Le projet de création du PNACO préconisé par Éric Dupond-Moretti prévoit de mettre fin à cette anomalie.
Création d’un véritable statut des repentis
L’objectif sera, pour Éric Dupond-Moretti, de briser chez les complices arrêtés « l’omertà, soit [par] complaisance, soit [par] peur pour soi, mais aussi pour sa famille ». Le dispositif pénal actuel prévoit déjà des mesures en faveur des complices qui accepteraient de collaborer avec l’autorité judiciaire : il s’agit de l’article 132-78 du code pénal et 706-63-1 et suivants du code de procédure pénal. Son efficacité n’a pas été prouvée, actuellement seulement une cinquantaine de personnes en bénéficient ; manifestement il est trop restrictif.
Au final, il s’agirait de s’inspirer de ce qui existe déjà aux USA et, surtout, en Italie, en prévoyant pour les repentis non seulement une importante réduction des peines, mais aussi un accompagnement comprenant, si nécessaire, un changement d’identité. Dans le pays transalpin, cette protection concerne actuellement environ 6 300 personnes (soit 1 300 « collaborateurs » et 5 000 de leurs proches) et a fait ses preuves, en permettant de porter des coups sévères à la Cosa Nostra sicilienne, à la N’Drangheta calabraise et à la Camorra napolitaine. Je rappelle que le dispositif judiciaire italien avait été conçu en grande partie par le juge Giovanni Falcone, assassiné par Cosa Nostra, avec son escorte policière, le 23 mai 1992, près de Palerme.
Qui sera le bras armé du PNACO ?
La commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic avait déjà pointé le problème des effectifs policiers spécialisés dans les enquêtes « lourdes » concernant la criminalité organisée, exigeant des enquêteurs spécialement formés, expérimentés, disponibles, bénéficiant d’une compétence territoriale étendue et respectant de manière absolue l’obligation de réserve ; elle avait demandé un renforcement des effectifs de l’OFAST (Office Anti-Stupéfiants), de manière à lui attribuer « une véritable position d’animation du réseau des services répressifs » inspiré de la DEA (Drug Enforcement Administration) américaine. Force est de constater que la suppression des services territoriaux de la Police Judiciaire, devenue effective le 1er janvier 2024, va complètement à l’encontre de ces besoins (lire notre article ici).
Jean-François Ricard, le conseiller spécial du ministre de la justice chargé de la « mise en musique » de cette réforme, semble en être conscient. Le 2 juillet 2024, il a reçu les représentants de l’ANPJ (Association Nationale de la Police Judiciaire), qui lui ont confirmé leurs inquiétudes. Dans un communiqué daté du 14 septembre 2024, ils ont rappelé que « la grande majorité des services d’enquête est submergée par le flux du contentieux infractionnel du quotidien. Les services manquent d’effectifs, de temps, d’encadrement, d’expérience, de motivation, de réactivité, mais aussi de capacité d’action et de traitement de l’information. Seule la PJ avait conservé la faculté de traiter les dossiers longs et complexes qui caractérisent la lutte contre la criminalité organisée. La PJ est désormais balkanisée et marginalisée au sein des Directions Interdépartementales de la Police Nationale, concentrées sur la gestion de l’ordre public. Les services de la police judiciaire sont isolés sur le territoire et dépourvus de coordination centralisée ». Les représentants de l’ANPJ n’ont pas hésité, à cette occasion, à proposer une mesure choc qui, compte tenu du contexte actuel, semble pouvoir constituer la seule solution de fond : la création d’une Direction Générale de la Police Judiciaire qui, «déclinée sur tout le territoire en cohérence avec les JIRS, doit disposer de moyens humains spécialisés et fidélisés».
Adieu ou à bientôt ?
Dans un article publié le 6 janvier 2023 sur actu-juridique.fr intitulé Quand la police judiciaire était rattachée au ministère de la justice, j’arrivais à la même conclusion : « il n’y a de nouveau que ce qu’on a oublié et, dans un contexte désormais complètement différent, le magistrat honoraire Dominique Coujard avait raison d’affirmer, il y a dix ans, que le rattachement de la Police Judiciaire au ministère de la Justice, pourrait redevenir une option pertinente. C’est un débat qui, à partir de 2023, va devenir vital non seulement en termes de politique sécuritaire, mais aussi de préservation de l’État de droit ».
Le projet devait être bouclé pour octobre 2024. Reste à savoir si, avec le changement de gouvernement et le départ de M. Dupond-Moretti, ce projet incontestablement ambitieux et porteur d’espoirs, verra le jour dans un avenir proche ou bien s’il sera reporté aux calendes grecques…
Tous les articles de Julien Sapori sont disponibles ici.
Référence : AJU470051