Rapport CEPEJ : La France toujours en dessous de la moyenne européenne

Publié le 16/10/2024

La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) publie ce mercredi la dixième édition de son rapport biannuel sur l’efficacité et la qualité de la justice en Europe. La France est toujours en queue de peloton.

Rapport CEPEJ : La France toujours en dessous de la moyenne européenne
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Les constats se suivent et se ressemblent ! Dans le rapport 2024 de la CEPEJ sur l’efficacité des systèmes judiciaires européens, la France se situe toujours parmi les pays qui investissent le moins dans leur justice.

Précisons immédiatement que l’étude porte sur les données 2022 et qu’il convient donc d’en nuancer la portée. Entre temps, en effet, la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice du 20 novembre 2023, initiée par l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, dans le prolongement des États généraux de la justice, a réalisé un effort important tant sur le plan des crédits que des effectifs (voir encadré). Les constats du rapport relatifs à la France restent cependant pertinents dans la mesure où ils rendent compte de la sous-évaluation structurelle des moyens alloués à la justice en France et surtout fournissent des indicateurs sur les progrès qui restent à accomplir.

La France consacre 77,22 euros par habitant à sa justice 

L’une des données clés du rapport concerne le budget du « système judiciaire », autrement dit les crédits alloués par chaque pays à trois postes de dépenses :  les tribunaux, les parquets et l’aide judiciaire.  La médiane s’établit à 85,4 euros par habitant, soit 0,31% du PIB. En France, le montant du budget est de 77,22 euros, ce qui représente   0,20% de son PIB. Si l’on compare avec ses voisins, l’Espagne est à 96,8, l’Italie 100,6, l’Allemagne à 136, l’Autriche à 141 et la Suisse à 245.

La répartition des affectations au sein de cette enveloppe globale est généralement de 2/3 du budget au bénéfice des tribunaux, 25% pour le ministère public et 11% pour l’AJ. En France, cette répartition est légèrement différente : 70% pour les juridictions, 13% pour le parquet et 27% pour l’AJ. Plusieurs pays perçoivent des frais et taxes, qui compensent plus ou moins les dépenses liées à la Justice. L’Autriche, par exemple, finance intégralement ses tribunaux et même au-delà (117%), l’Allemagne couvre ses frais à hauteur de 45%. Le niveau médian est à 8%. La France se distingue par un montant de frais et taxes égal à zéro. Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1880, le produit des droits de timbre, d’enregistrement et de greffe couvraient 80% du total des dépenses judiciaires*. Depuis lors, en vertu d’une vision très radicale de la gratuité de la justice, qui n’était pas celle des révolutionnaires, on a renoncé progressivement à la quasi-totalité de ces frais.

Concernant l’AJ, la France consacre 9,28 euros par habitant à ce service, contre 6,95 pour l’Espagne, 6,38 en Italie et 6,73 en Allemagne. Globalement, elle finance de nombreux dossiers, mais alloue à chacun une somme très modeste, contrairement, par exemple, au système anglais qui indemnise peu de dossiers, mais de manière plus conséquente.

La moyenne européenne est de 21,9 magistrats pour 100 000 habitants

Indicateur aussi observé que le budget par habitant, le nombre de magistrats professionnel pour 100 000 habitants. La médiane s’établit à 17,6,  la moyenne à 21,9. La France quant à elle ne compte que 11,3 magistrats, contre 12,2 en Italie, 14 en Belgique ou encore 24,17 en Allemagne. En 2012, ils n’étaient que 10,7. Cela progresse donc, mais bien lentement. Concernant les procureurs, on est carrément au niveau du record, ou plutôt du double record. Le premier, c’est le faible nombre : 3 pour 100 000 habitants, c’est le chiffre le plus bas. La médiane est à 11,2 la moyenne à 12,2. À l’autre extrémité, on trouve la Bulgarie qui compte le plus grand nombre de procureurs avec 24 pour 100 000 habitants. Le second record, c’est la charge de travail : un procureur en France traite 6,4 affaires pour 100 habitants, pour une médiane de 2,3.

Sans surprise, dans un système judiciaire sous-doté en crédits et en personnel, les avocats sont eux aussi moins nombreux que dans les pays voisins.  En France, on n’en dénombre que 106,6 pour 100 000 habitants, contre 195 en Allemagne, 308 en Espagne, 338 en Grande-Bretagne, et 398,7 en Italie ! La médiane est à 156.

Bien que la moyenne du budget alloué à la justice en Europe ait augmenté de 7,31 euros depuis 2020 pour atteindre 85,4 euros en 2024, la CEPEJ relève  que « la part du budget allouée à la justice dans la majorité des pays européens reste faible par rapport à d’autres secteurs publics ». La France se situe donc en dessous d’une moyenne déjà bien modeste. Un problème structurel qui remonte au 19e siècle et s’est aggravé pour diverses raisons au 20e siècle (privatisation des ressources, nationalisation des coûts, explosion de la réglementation et du contentieux…). Les récentes augmentations du budget, de l’ordre de 8%, bien qu’historiques ne suffiront pas à réparer la justice. L’effort doit s’inscrire dans un temps long si l’on veut rattraper un retard aussi important.

 

Les chiffres de la justice en France et les augmentations récentes du budget

En France, le budget de la justice s’établit en 2024 à 12,16 milliards d’euros en crédits de paiement et 10,1 milliards hors crédits d’affectation spéciale (CAS) en 2024, dont 4,5 milliards au bénéfice des juridictions, 734 millions pour l’accès au droit, 1,1 milliard pour la protection judiciaire de la jeunesse, 758 millions pour le pilotage et 5 milliards pour la pénitentiaire. La loi de programmation pour la justice prévoit de porter le budget à 11 milliards d’euros en 2027.

 

Rapport CEPEJ : La France toujours en dessous de la moyenne européenne
Article 1 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023

 

Il est également prévu la création de 10 000 équivalents temps plein sur la période 2022-2027, dont 1 500 postes de magistrats. En 2022, le budget s’élevait à 8,3 milliards (prévision). Il a donc considérablement augmenté depuis lors. Mais la situation des finances publiques pourrait marquer un coup d’arrêt. Le PLF 2025 prévoit de porter le budget à 10, 24 milliards hors CAS, soit une augmentation de seulement 1,1%…C’est 500 millions de moins que ce qui était prévu dans la loi de programmation. Toutefois, un amendement reste possible. Lundi, le nouveau ministre de la justice Didier Migaud a prévenu qu’il démissionnerait si son budget n’était pas réévalué.

 

*L’argent de la justice, par Jean-Charles Asselain, Presses universitaires de Bordeaux, 2009. (v. également : Justice, une faillite française ? par Olivia Dufour, LGDJ 2018).

Retrouvez notre commentaire de l’édition 2022 ici et celui de l’édition 2020 là.

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