Réforme de la police judiciaire : les leçons d’une rumeur

Publié le 08/12/2022

Les réformes ont parfois des origines étranges. Inspiré par une rumeur sur ce qui aurait déclenché le projet de revoir l’organisation de la police, le commissaire divisionnaire honoraire Julien Sapori puise dans son excellente connaissance du fonctionnement interne de l’institution pour imaginer à quoi aurait pu ressembler cette fameuse rencontre entre Emmanuel Macron et « l’armée mexicaine » dirigeant la police, ainsi que ses suites. 

Réforme de la police judiciaire : les leçons d'une rumeur
Photo : ©AdobeStock/Forma82

Dans un article intitulé Réforme de la Police Judiciaire : chronique d’une mort redoutée, publié le 30 novembre 2022 sur le site actu-juridique.fr, la journaliste Isabelle Horlans évoque une rumeur pouvant expliquer l’origine de cette réforme prévoyant l’absorption des services territoriaux de la Police Judiciaire par les Directions Départementales de la Sécurité Publique. « La rumeur raconte que, lors d’un voyage présidentiel, Emmanuel Macron aurait été étonné de saluer quatre patrons de police (…) quand, à ses yeux, un seul suffirait pour gérer tout ce petit monde. Depuis, son ministre Gérald Darmanin s’est empressé de réorganiser l’armée mexicaine.« 

« Le théâtre ne dit jamais la vérité, mais c’est parce qu’il ne dit pas la vérité qu’il engage le spectateur à trouver la sienne » (André Steiger, acteur).

Imaginons comment les choses se seraient passées dans le détail.

Comme dans le théâtre grec classique, le récit comporte quatre actes successifs : la protase, l’épitase, la métabase et la catastase.

Protase (exposition du sujet)

Le président Macron se rend en visite officielle dans un département. Parmi ses accompagnateurs, deux conseillers et un syndicaliste policier ; je les appellerai respectivement Monsieur Bleu, Monsieur Blanc et Monsieur Rouge. Lors de cette visite, le Président Macron rencontre d’abord les gendarmes. Le Préfet lui présente les cinq chefs de la gendarmerie du département : celui du Groupement départemental, celui de l’Escadron de Gendarmerie mobile, celui de la Section de Recherches, celui de la Gendarmerie Maritime et celui de la Gendarmerie du Transport Aérien.

Épitase (l’incident qui fonde le sujet)

La visite du département se poursuivant, le Préfet présente au Président Macron les quatre patrons de la Police Nationale : celui de la Sécurité Publique, celui de la Police Judiciaire, celui de la Police aux Frontières et celui des CRS (en lui précisant que ce qui restait des anciens Renseignements Généraux – au demeurant pas grande chose après la création de la DGSI – a été absorbé par la Sécurité Publique).

Métabase (acmé de la pièce)

Plus tard, le Président Macron s’étonne avec ses conseillers que la Police et la Gendarmerie ne soient pas placées, chacune en ce qui la concerne et dans chaque département, sous un commandement unique : ça serait tellement plus simple ! Un des conseillers, Monsieur Bleu, lui explique que cette organisation en « tuyaux d’orgue » est un gage d’efficacité, car les métiers qu’exercent les uns et les autres sont hautement spécialisés et exigent du personnel spécialement formé. Mais l’autre conseiller, Monsieur Blanc, intervient, et rappelle avec une certaine brusquerie que les affaires Chirac, Strauss-Kahn, Sarkozy, Fillon, Benalla et autres, ont été traitées par la Police Judiciaire, et qu’il serait plus que temps de mettre au pas ces enquêteurs qui, manifestement, privilégient les liens avec les juges d’instruction à ceux avec l’Administration. Le Président Macron lui répond que les gendarmes fonctionnent bien selon le même système privilégiant la spécialisation ; par ailleurs, aurait-il poursuivi, si on opte pour un commandement unique, pourquoi donc en écarter les CRS ? Le projet manquerait donc de cohérence et soulèverait une opposition radicale de la part des policiers.

C’est alors qu’intervient le coup de théâtre : faisant preuve d’une présence d’esprit extraordinaire, Monsieur Rouge (le syndicaliste de la Police Nationale) « renverse la table », expliquant que les trois quarts des policiers sont affectés en Sécurité Publique, et que les enquêteurs de cette direction sont débordés par la quantité de dossiers à traiter, tandis que les « seigneurs » de la Police Judiciaire n’ont en charge qu’un nombre très réduit de « gros » dossiers. Si la Sécurité Publique pouvait absorber la Police Judiciaire, les enquêteurs de cette dernière seraient à leur tour rapidement débordés par la masse des plaintes traitées dans les commissariats et n’auraient donc plus le temps pour s’occuper de certains dossiers sensibles ; cette éventuelle réforme, qui soulagera les gros bataillons des policiers chargés de la petite délinquance, sera, en conséquence, soutenue par les syndicats. Monsieur Blanc serait intervenu, approuvant la proposition du syndicaliste, et précisant que de toute manière les Directeurs de la Sécurité Publique, sous lesquels se trouveraient placés les enquêteurs de la Police Judiciaire, ne manqueraient pas de prévenir leur supérieur hiérarchique, le Préfet, de toute enquête en cours concernant une personnalité, ce qui permettrait de prendre les dispositions nécessaires pour éviter une nouvelle catastrophe judiciaire. Monsieur Bleu, prudent, aurait tiré la sonnette d’alarme, évoquant des réactions très négatives des magistrats, mais Monsieur Rouge l’aurait interrompu clamant : « le problème de la police, c’est la justice !« .

Le président Macron aurait répondu : « c’est à y réfléchir…« .

Catastase (conclusion)

Rentré à Paris, le Président Macron aurait chargé le Ministre de l’Intérieur, Monsieur Darmanin, de « mettre en musique » cette réforme.

Monsieur Bleu (le conseiller « prudent »), aurait fait valoir ses droits à la retraite. Selon les dernières informations, il se serait attelé à rédiger une biographie de Georges Clemenceau.

Monsieur Blanc (le conseiller favorable à la suppression de la Police Judiciaire) aurait été nommé chevalier de l’Ordre National du Mérite.

Monsieur Rouge (le syndicaliste) aurait reçu des assurances émanant de « très haut » prévoyant, en cas de difficultés, qu’il serait nommé à la tête de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme.

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