Réforme des assises : et la parole de la défense ?

Publié le 12/01/2023

Alors que la généralisation des cours criminelles départementales est effective depuis le 1er janvier, cette réforme réduisant le champ de compétence des cours d’assises soulève un vent de révolte au sein du monde judiciaire. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, regrette notamment que le rapport d’évaluation de l’expérimentation dont ces cours ont été l’objet ait fait l’impasse sur la parole des accusés. Et celle de leurs avocats. 

Réforme des assises : et la parole de la défense ?
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

 

« La parole est à la défense ». Je me souviens encore de la première fois où, ayant l’immense responsabilité d’assister un homme accusé d’avoir violé sa compagne, j’ai entendu ces mots prononcés par la présidente d’une cour d’assises. Immense responsabilité car il n’est jamais question de défendre le viol, évidemment, mais de porter la voix d’un accusé afin d’expliquer, de critiquer, de nuancer, les éléments qui sont retenus contre lui.

Trois magistrats et six jurés attendaient que je prenne la parole pour mon client. J’étais au bord d’un précipice.

Porter la parole de mes clients, c’est l’essence de mon métier. C’est mon quotidien. Parler pour eux, raconter qui ils étaient, qui ils sont et ce qu’ils pourraient devenir. C’est pour cela que je me lève tous les matins, c’est pour eux que je le fais.

La défense…

Défendre c’est obtenir que la justice soit rendue de façon équilibrée. Qu’elle joue son rôle de sanction, de protection de l’ordre public, mais aussi de réinsertion.

Justice et défense vont de pair : on ne peut pas avoir l’une sans l’autre. Et si l’on piétine l’une, on piétine forcément l’autre.

Alors que la généralisation des cours criminelles départementales pour les crimes punis de 15 à 20 ans de prison est effective depuis le 1er janvier, j’ai réalisé que dans le rapport du comité d’évaluation remis en octobre 2022*, les accusés n’avaient (quasiment) pas eu la parole.

***

Pour rappel, dans une précipitation incompréhensible, et alors que ce rapport d’évaluation n’a rien pu évaluer du tout, notre ministre de la justice a décidé de généraliser, à compter du 1er janvier 2023, cette nouvelle juridiction hybride chargée de juger les crimes « les moins graves ».

Sa spécificité ? La cour criminelle départementale n’est composée que de magistrats : cinq en l’occurrence. Adieu le jury populaire si cher à notre pays depuis la Révolution française : vous et moi ne jugerons plus ces crimes-là aux côtés des trois magistrats habituels.

L’évaluation du fonctionnement de ces cours criminelles était donc très attendue par tous.

La parole des accusés totalement occultée des débats

Comment diable a-t-on pu tenter d’évaluer la qualité des débats devant ces cours criminelles sans avoir pris le soin d’entendre les accusés qui y ont été jugés ?

Comment diable peut-on à ce point occulter les personnes que l’on juge ?

Les accusés n’ont-ils plus droit à la parole ? Leur parole n’a-t-elle plus d’importance ?

Pourquoi les accusés de ces cours criminelles départementales ont-ils été plus nombreux à interjeter appel de leurs condamnations que les accusés condamnés par des cours d’assises ? Il aurait été intéressant de leur poser la question.

Peut-être parce que faire face à une cour d’assises et à son jury populaire joue-t-il un rôle dans la prise de conscience de la gravité des faits par l’accusé ?

Peut-être parce que la solennité de la cour d’assises, composée de gens comme vous et moi, participe-t-elle du sens de la peine prononcée ?

Le rapport d’évaluation, en page 20, indique que : « estimant délicat et intrusif de recueillir le point de vue direct d’accusés et de parties civiles dont l’affaire a été jugée devant une CCD, le comité a décidé de réaliser un certain nombre d’auditions propres à l’informer sur le fonctionnement de ces juridictions expérimentales et de recueillir leur point de vue par écrit ». En l’occurrence, des magistrats, la directrice de l’association France Victime 38, trois représentants du Conseil national des barreaux (avocats) « particulièrement intéressés aux matières pénales ».

Et effectivement, ces auditions écrites sont analysées : les présidents de ces cours criminelles, les avocats généraux, les greffiers, les parties civiles, leurs avocats, leurs associations…

D’ailleurs, Maitre Stéphane Maugendre a brillamment porté la voix des parties civiles dans un article publié le 20 décembre sur le blog de Médiapart. En substance, il y explique que les parties civiles ne trouvent pas forcément dans les cours criminelles départementales les avantages annoncés, ni en termes de réduction de la charge émotionnelle, ni sur le terrain de la rapidité de jugement. Ce d’autant plus que le taux d’appel des décisions des CCD est plus important.

Mais pas une seule seconde il n’est fait état des auditions des accusés et de leurs conseils, si toutefois il y en a eu ! Des hommes et des femmes qui risquent pourtant 15 à 20 ans de prison.

Il est vrai que donner la parole aux accusés n’est pas très vendeur car difficilement audible par l’opinion publique. Seulement mon rôle est de parler aussi pour eux. Et de rétablir l’équilibre quand je trouve qu’il n’est pas respecté.

Alors quelle est la vocation d’un procès pénal ?

N’en déplaise à l’opinion, il s’agit d’abord de juger un homme, de le condamner, ou pas, et de prononcer une sanction.

La réparation de la partie civile n’intervient que dans un second temps.

Cela ne veut pas dire que la seconde est moins importante que la première, bien au contraire, mais c’est tout le sens de notre système judiciaire.

Un signal inquiétant pour l’avenir…

C’est pour ces raisons que le procès criminel comporte toujours des expertises psychologique et psychiatrique de l’accusé, ainsi que des enquêtes de personnalité et des auditions de proches. La justice veut savoir qui elle juge, qui elle doit condamner et si le risque de récidive, la dangerosité, existent.

Et c’est parce que ce procès pénal est celui de l’accusé que la partie civile ne peut pas contester la condamnation qui est prononcée et ne peut pas faire appel de la déclaration de culpabilité et de la peine : seul le ministère public et le condamné peuvent le faire.

L’idée ? Éviter que nos procès se transforment en vendetta privée, entre une victime qui pourrait ne jamais être satisfaite, et un accusé qui estimerait avoir été condamné justement « au nom du peuple français ».

Alors même que le procès pénal est celui de l’accusé, le rapport d’évaluation ne parle pas d’eux.

Pas un mot de ces accusés.

Pas un mot de leurs avocats.

Rien.

Silence radio sur 75 pages.

Pourtant, notre ministre de la justice, ancien ténor du Barreau, l’un des meilleurs avocats de sa génération, a estimé que ce rapport était satisfaisant. Tellement satisfaisant qu’il a précipité la mise en place de ces cours criminelles départementales au 1er janvier 2023.

Notre ministre de la Justice a estimé qu’un rapport d’évaluation qui n’a pas donné la parole à la défense était satisfaisant pour mettre à mort la cour d’assises et son jury populaire.

Voilà où nous en sommes.

La parole sera-t-elle encore à la défense devant ces cours hybrides tant décriées par le monde judiciaire ?

Nul ne le sait encore, mais je crains que la voie sur laquelle nous nous engageons ne modifie profondément notre système judiciaire, bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer…

 

*NDLR : Ce rapport, daté d’octobre, n’a été publié qu’au mois de novembre.

A lire aussi, du même auteur sur le même sujet « Pour déclarer le monstre coupable : tapez 1 ».

Plan
X