Rentrée du barreau de Paris : « Force au droit et force aux avocats ! »
La rentrée solennelle du barreau de Paris a eu lieu vendredi 24 novembre au théâtre du Châtelet, en présence du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti et d’un parterre de hauts magistrats. Sur fond de graves tensions internationales, Julie Couturier et Vincent Nioré ont rappelé que les avocats avaient la lourde tâche de préserver l’état de droit et de défendre l’humanité.
Retenu à Dijon où il assistait à la prestation de serment de la nouvelle promotion de greffiers, le garde des Sceaux est arrivé à la toute fin de la cérémonie. Il a donc manqué tous les discours, ce qui est d’autant plus regrettable qu’ils l’ont interpelé sur plusieurs sujets importants.
La palette de la défense a perdu ses couleurs
Comme le veut la tradition Jean-Baptiste Riolacci, en tant que Premier secrétaire de la Conférence, avait en charge l’éloge d’un avocat disparu. Mais comment choisir, dans un barreau particulièrement endeuillé ces derniers mois par la disparition de Me Pierre Haïk, Me Jean-Louis Pelletier, Me Hervé Temime et tant d’autres ? Le premier secrétaire a donc dressé le portrait d’un barreau en deuil, évoquant « la palette » de la défense qui « a perdu ses couleurs et s’est couverte de noir ». Le premier secrétaire a également lancé quelques piques. Contre le garde des Sceaux par exemple. Le matin même, on venait d’apprendre le rejet par le Conseil constitutionnel de la QPC sur les cours criminelles départementales, et nombre d’avocats dans la salle étaient en colère. Pour eux en effet, la création des cours criminelles départementales préfigure la disparition du jury populaire, or, ils ne pardonnent pas à celui qui fut le maître incontesté des assises de présider en tant que ministre à leur disparition. « Si la naissance d’un ministre suppose la mort d’un avocat il nous reste à espérer que les remaniements demeurent rares » a commenté Me Jean-Baptiste Riolacci. Il a eu aussi un mot pour l’injustice faite à deux pénalistes parisiens, Me Joseph Cohen-Sabban et Me Xavier Nogueras, accusés d’avoir produit des faux en toute connaissance de cause lors d’un procès d’assises. Ils ont été relaxés de ce chef par le tribunal correctionnel de Paris, mais le parquet a fait appel. Ce fut la dernière plaidoirie de Me Hervé Temime en défense de Me Xavier Nogueras (lire nos articles sur cette affaire ici). La troisième flèche a visé les juridictions et la multiplication des déferrements en comparution immédiate dans la perspective des Jeux olympiques.
Un discours sans notes !
Le deuxième secrétaire, Me Seydi Ba, a consacré son discours (accessible en vidéo ici) au massacre du 17 octobre 1961 à travers la procédure en diffamation intentée par le préfet de police de l’époque Maurice Papon, défendu par Me Jean-Marc Varaut, contre l’historien amateur et militant du parti communiste marxiste-léniniste de France Jean-Luc Einaudi qui a écrit dans Le Monde le 20 mai 1998 « En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon ». Ce 17 octobre, pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens à Paris, le FLN décide d’organiser une manifestation non-violente. La répression policière a fait de nombreux morts sans que les historiens s’accordent sur leur nombre (2 selon les informations communiquées par la préfecture de police le lendemain, entre 38 et 98 selon les différents rapports rédigés sur le sujet, 393 selon JL Einaudi). Beaucoup ont été ligotés et jetés dans la Seine. S’ils ont coulé, c’est qu’ils étaient coupables, accuse le secrétaire de la conférence, en référence à la peine de l’ordalie. Jean-Luc Einaudi sera finalement relaxé. Dénonçant la difficulté d’être français tout en portant ce passé, Me Seydi Ba a invité l’assistance à avoir une pensée pour les victimes en sortant du théâtre et en traversant le Pont Saint-Michel. Son discours de trente minutes, flamboyant d’émotion et de colère, a été prononcé sans note. Les deux premiers secrétaires ont été gratifiés d’une standing ovation tant la qualité de leurs interventions a séduit leurs pairs.
La médaille de la Conférence remise à Arnaud Leclercq
À l’occasion de la traditionnelle remise des prix qui a suivi, la conférence a remis sa médaille à l’huissier-audiencier parisien Arnaud Leclercq, elle récompense un homme aimé de tous pour son engagement au service de la justice, sa gentillesse et sa très grande culture.
« La défense de l’humanité incombe aux avocats »
Le garde des Sceaux n’était toujours pas arrivé quand le bouillonnant vice-bâtonnier Vincent Nioré a commencé son discours en évoquant la situation internationale, du génocide du 7 octobre aux enfants de Gaza qui inscrivent leur nom sur la paume de leur main pour que leurs corps puissent être identifiables sous les décombres du droit international, sous les décombres des « lois » de la guerre autant de lois criminelles ! Arménien d’origine, Vincent Nioré a cité aussi la situation du Haut-Karabagh, et dénoncé « l’épuration ethnique de 120 000 Arméniens dans l’indifférence de la communauté internationale ». Rien de ce qui est humain n’est étranger à l’avocat : « J’y pense parce que je suis avocat. Et que la défense de l’humanité incombe aux avocats. Même si je n’arrive pas à surmonter un indicible sentiment d’impuissance dans ce monde à la dérive qui va de folie en furie ».
Connu pour son engagement passionné au service de « la défense de la défense », le vice-bâtonnier a mis en garde contre les audiences tardives. «Le justiciable ne mérite pas d’être jugé au beau milieu de la nuit ou au petit matin, au rythme des rotations, des cadences infernales de l’usine. Avocats, magistrats, greffiers non plus ne méritent pas de telles cadences, de tels traitements ! Et doivent bénéficier de leurs pleines capacités de concentration et d’attention pour suivre les débats et pour que soit rendue une justice éclairée” (voir notre article sur les audiences tardives ici). Il n’a pas hésité à dénoncer en cette matière le deux poids deux mesures qui affecte l’organisation judiciaire selon la qualité du justiciable concerné et le type de procès : “Imagine-t-on une justice financière avec des audiences qui prendraient fin aux premières heures de l’aurore ? ». En tant qu’ancien délégué du bâtonnier aux perquisitions, Vincent Nioré a également dénoncé le chiffre historique de 34 perquisitions recensées cette année à Paris, un record depuis 2008. « La perquisition systématisée à outrance est le marqueur d’une inquisition symbolique chez le journaliste comme chez l’avocat alors que secret des sources et secret professionnel sont les fondements de la démocratie judiciaire. Le barreau ne peut pas vivre sous contrôle judiciaire généralisé dans un climat de suspicion permanente ». Évidemment, ce sujet fait partie des motifs de tension entre avocats et magistrats, un autre sujet important de préoccupation. « Sachons distinguer la saine et franche opposition des vaines et puériles querelles d’ego voire de la haine destructrice, a enjoint le vice-bâtonnier. Le combat judiciaire doit rester professionnel, il ne saurait être personnel. Sauf à instrumentaliser le droit, et nos pouvoirs pour nous faire la guerre, une guerre fratricide ».
« Il est facile de verser dans l’auto-incrimination de la famille judiciaire, voire le suicide collectif »
Alors que le procès d’Éric Dupond-Moretti, début novembre, a jeté une lumière crue sur le fonctionnement des institutions, les haines personnelles et les règlements de compte, Vincent Nioré n’a pas hésité à dénoncer le caractère éminemment critiquable de cette procédure (voir nos articles sur le procès ici). « Et il peut arriver que la justice de la république, soucieuse de l’équilibre entre intérêt public et intérêt privé, décide de se faire un procès à elle-même persuadée de faire le procès d’un autre. Faute de respecter cette règle non écrite de savoir-vivre judiciaire, il est facile de verser dans l’auto-incrimination de la famille judiciaire, voire le suicide collectif. Et de trahir la confiance des justiciables déjà bien éprouvée”. Au chapitre des satisfactions, il y a le fait d’avoir contribué à “réparer” les relations entre avocats et magistrats. À ce titre, Vincent Nioré a salué les chefs de cour et de juridictions parisiens et les a remerciés, en particulier Jean-François Bonhert qui a pris la suite d’Eliane Houlette à la tête du parquet national financier, et changé la culture de ce parquet en pratiquant « la perquisition chez l’avocat avec circonspection et parcimonie » et en admettant « l’avocat de la défense en perquisition de droit commun ».
Comme Vincent Nioré, la bâtonnière Julie Couturier a commencé son discours en évoquant les drames qui ont émaillé leur mandat : la guerre en Ukraine, la révolte des Iraniennes, ou encore l’attaque terroriste du 7 octobre à propos de laquelle elle a précisé qu’elle et le vice-bâtonnier avaient vu les fameuses images filmées par le Hamas. « C’est une horreur. 1 200 morts, dont une large partie de civils et 240 personnes kidnappées, dont des femmes, des enfants, parmi lesquels huit de nos concitoyens. Aujourd’hui, je pense particulièrement à eux, victimes d’une haine injustifiable. Puissent-ils rentrer en vie, chez eux, le plus vite possible ». Le barreau de Paris, qui a traditionnellement un rôle de représentation internationale, a été mobilisé sur tous ces terrains, jusqu’à même réaliser un voyage risqué au plus près des combats dans le Haut-Karabagh. Julie Couturier a eu bien sûr un mot pour les avocats dont la disparition brutale ces derniers mois a endeuillé le barreau : « Olivier Cousi, Pierre Haïk, Hervé Temime, Georges Kiejman, Geneviève Augendre, Jean-Louis Pelletier, Jean-Pierre Versini Campinchi, Daniel Soulez Larivière, Chantel Meininger-Bothorel, pour n’en citer que quelques-uns, nous manquent ».
« Force au droit et bien sûr force aux avocats »
Au chapitre des réussites, la bâtonnière a évoqué le droit de visite du bâtonnier dans les lieux de privation de liberté « pour dénoncer, aux côtés de la Contrôleure Générale, chère Dominique Simonnot, et des parlementaires, ce qui déshonore notre pays : l’indignité des conditions de détention ». Puis s’adressant aux hauts magistrats parisiens assis au premier rang : « Je crois pouvoir dire que nos relations ont été marquées par la confiance mutuelle, le pragmatisme, la loyauté et la simplicité. Et pour cela, je vous remercie du fond du cœur ». Enfin, elle a conclu sur l’inquiétude que suscite le contexte actuel « notre société, comme l’ensemble du monde occidental, tangue (…) soyons capables de reconnaître que, chaque jour, sur notre territoire, des forces s’élèvent pour briser nos libertés (….) ensemble nous avons les moyens de défendre, de sauver le sentiment le plus puissant, le plus nécessaire que je connaisse : notre humanité. Alors soyons militants, alors Force au droit, et bien sûr force aux avocats ».
Alors que leur mandat s’achève, la bâtonnière et le vice-bâtonnier ont été très longuement ovationnés par leurs confrères. Il est vrai que la simplicité de Julie Couturier a fait voler en éclats le soupçon d’entre-soi affectant les bâtonniers parisiens, tandis que la passion de Vincent Nioré pour la défense de la défense a conquis ceux de ses confrères qui ne le connaissaient pas. Même les magistrats du TJ de Paris confiaient en sortant de la cérémonie qu’ils avaient apprécié le calme que l’équipe avait su ramener dans les relations entre avocats et magistrats. Ils laissent à leurs successeurs (voir encadré) une relation apaisée.
Mettre fin à 30 ans d’abandon de la justice
Le ministre, arrivé à 16 h 20 a été le dernier à s’exprimer. Il a vanté sa loi de programmation qui a vocation à mettre fin à « 30 ans d’abandon politique, financier et humain de la justice ». Le budget va atteindre près de 11 milliards d’euros en 2027. Il a rappelé également la création de 10 000 emplois d’ici 2027. Au chapitre des avancées concernant les avocats figurent les dispositions sur le permis de communiquer qui corrigent les conséquences d’un arrêt très décrié de la Cour de cassation du 13 décembre 2022, mais aussi l’ouverture de l’accès à la magistrature, et la réforme de l’appel en matière civile. Sur ce dernier point, le ministre a précisé « le 5 janvier j’avais annoncé qu’elle devait être réformée, ce sera chose faite dans les jours qui viennent. Cette réforme est nécessaire et attendue, le texte transmis au Conseil d’État tient compte des observations ». S’agissant de la formation des avocats, le ministre a annoncé que le projet visant à harmoniser la formation dispensée par les écoles et à la recentrer sur le cœur du métier venait d’être examinée en Conseil d’État et que sa publication était imminente. Enfin, il a mis l’accent sur l’amiable : « la réussite de cette révolution culturelle ne pourra se faire sans une implication forte de la profession. Je suis résolument optimiste. Les écoles d’avocats et de magistrats se mobilisent, les ambassadeurs de l’amiable dont trois avocats sillonnent la France ».
À l’issue de son discours, le ministre est resté longtemps sur la scène du théâtre pour échanger avec ses anciens confrères ainsi qu’avec les magistrats présents, se prêtant même à des photos souvenir. Mercredi à 15 heures, la Cour de justice de la République rendra sa décision le concernant sur les accusations de prise illégale d’intérêts. Un jugement qui menace de bouleverser son destin.
Pierre Hoffman et Vanessa Boussardo prendront leurs fonctions de bâtonnier et vice-bâtonnière le 1er janvier prochain
De Gauche à droite : Vanessa Boussardo, Julie Couturier, Vincent Nioré, Pierre Hoffman (Photo : ©P. Cabaret)
Pierre Hoffman est avocat au barreau de Paris depuis 2003. Ancien collaborateur de Jean-Louis Pelletier, il exerce dans un cabinet spécialisé en propriété intellectuelle. Son engagement commence lorsqu’il rejoint SOS collaborateur créé par l’UJA de Paris. Membre du conseil de l’ordre de 2016 à 2018, il devient Secrétaire aux Affaires Publiques en charge du lobbying pour le barreau de Paris, puis en charge des différends entre les collaborateurs et leurs cabinets. Il est coprésident de la Commission ouverte de Droit de la Propriété Intellectuelle (COMPI) du barreau de Paris.
Vanessa Bousardo est avocate au barreau de Paris depuis 2006. De formation civiliste, elle exerce depuis près de 18 ans en droit pénal. Elle est devenue Secrétaire de la Conférence en 2010. Collaboratrice, puis counsel, auprès du bâtonnier Pierre-Olivier Sur au sein du cabinet FTMS pendant dix ans, elle crée son propre cabinet exclusivement dédié au droit pénal et au droit pénal des affaires en 2016. Membre du conseil de l’ordre de 2019 à 2021, elle a notamment dirigé la ComHaDis, la commission de lutte contre le harcèlement et la discrimination. En 2020, elle est chargée de l’instruction disciplinaire, avant de se voir confier la fonction de Secrétaire du Conseil par le bâtonnier Olivier Cousi.
Référence : AJU404696