Un nouveau syndicat s’installe dans le monde judiciaire : CFDT Magistrats

Publié le 21/01/2022

Alors que la profession de magistrats est secouée depuis novembre par une crise sans précédent, un nouveau syndicat est né le 7 janvier dernier : CFDT Magistrats. Explications.

Un nouveau syndicat s'installe dans le monde judiciaire : CFDT Magistrats
Photo : ©P. Cluzeau

« Des magistrats qui se syndiquent, c’est le Pape qui a des gosses » se serait écrié un professeur de droit lors de la création du Syndicat de la magistrature à la fin des années 60*. En l’espace de 50 ans, le phénomène est si bien entré dans les mœurs qu’un cinquième syndicat vient de naître le 7 janvier. Quelques anciens d’Unité Magistrats (ex-FO-Magistrats) viennent de signer en effet avec la CFDT un accord qui donne officiellement naissance au 5e syndicat : CFDT Magistrats. Un mini séisme dans un univers stable depuis des décennies. L’histoire du syndicalisme dans la magistrature est en effet relativement récente. Elle nait en 1968 avec la création du Syndicat de la magistrature (gauche). Il s’agit à l’époque de libérer les juges du politique et d’affirmer leur indépendance. Six ans plus tard, l’Union syndicale des magistrats est créée dans le prolongement de l’Union fédérale des magistrats de 1945. D’un côté, un syndicat fortement politisé qui fait bouger les lignes. De l’autre un syndicat qui se décrit comme apolitique et modéré, majoritaire et entièrement concentré sur la défense des conditions de travail des magistrats. En 1981, l’association professionnelle des magistrats (très marqué à droite) nait en réaction à la politique de Robert Badinter. Puis, en 1990, apparait un troisième acteur : FO Magistrats. Les deux entités les plus représentatives sont aujourd’hui l’USM et le SM. Depuis quelques temps d’ailleurs, ils ont tendance à signer de plus en plus de communiqués communs et à mener des actions ensemble.

« Nous sommes tous très attachés au syndicalisme confédéré »

C’est dans ce paysage que va désormais s’inscrire ce cinquième acteur. Son secrétaire général est Bertrand Diet, président du Tribunal judiciaire de Dieppe. « Le syndicat a été fondé par des magistrats qui ne se reconnaissaient pas dans l’offre syndicale » confie Emmanuel Poinas, délégué général et conseiller à la  Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Le syndicat a également un trésorier général, Nadine Barret, vice-présidente à Draguignan. La première étape a consisté à créer un syndicat en 2018, avec l’objectif d’adhérer à une centrale syndicale. « Nous sommes tous très attachés au syndicalisme confédéré car c’est un lieu des conquêtes démocratiques déterminantes au 19e et au 20e siècle, explique le délégué général.  Nous pensons également que dans la situation où se trouve la magistrature aujourd’hui, c’est une réponse pertinente et indispensable. L’état des conditions de travail montre que le syndicalisme tel qu’il a été pratiqué jusqu’ici n’a pas permis d’éviter leur dégradation ». Une centrale syndicale, c’est aussi la possibilité pour les magistrats de rencontrer tous les métiers dans tous les territoires et donc, aux yeux des fondateurs, de les sortir de leur isolement.

Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger va rencontrer les  magistrats

Le choix de la CFDT ? « C’est une organisation apolitique qui correspond à notre vision du syndicalisme » explique Emmanuel Poinas. Ce syndicat n’est pas tout à fait un étranger dans le monde judiciaire puisqu’il est déjà présent chez les greffiers. En revanche, il n’était pas encore implanté dans la magistrature. « Nous souhaitons prendre notre part dans la lutte contre les difficiles conditions de travail des magistrats et la dégradation du service offert aux justiciables » explique le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. C’est évidemment le bon moment tant au regard de la libération de la parole déclenchée par l’appel des 3000 que des Etats généraux de la justice. « Nous voulons contribuer à porter leur voix sur des questions comme les moyens, les difficultés du métier, la reconnaissance des compétences ou encore le sens du service public, notamment face à la tentation des algorithmes », précise-t-il. « Que des magistrats aient envie de rejoindre le premier syndicat de France c’est positif tant pour nous que pour la Chancellerie ». Laurent Berger a d’ailleurs décidé d’aller prochainement à la rencontre des magistrats lors d’une visite en juridiction.

Augmenter les promotions pour anticiper les départs en retraite

Le nouveau syndicat est déjà actif. Il a intenté un recours devant le Conseil d’Etat contre le nombre de postes ouverts à l’ENM en 2021.  « Si on reste sur des modes de recrutement prévus alors qu’un tiers des magistrats à l’heure actuelle est âgé de plus de 54 ans, dans 12 ans on aura perdu 30% des effectifs, tandis que la France atteindra 69 millions d’habitants, c’est donc maintenant qu’il faut augmenter les promotions, explique Emmanuel Poinas.  « Le ministère nous a donné raison car il a finalement décidé de remonter le nombre de places en 2022 à 460 au lieu des 250 initialement prévues ».  Le syndicat a également commencé à visiter des juridictions.  « A Lyon, on nous a par exemple signalé une audience tardive de comparutions immédiates qui s’est terminée à… 5 heures du matin ». Le syndicat va déposer un autre recours pour contester les conditions qui encadrent le scrutin à la commission d’avancement, car elles ne permettent pas selon lui de refléter la diversité syndicale. Visiblement CFDT Magistrats est bien décidé à faire sa place.

« Il faut se donner les moyens de lutter contre des situations qui dégénèrent en abus »

Ce qu’entend apporter ce syndicat de neuf ? Le combat pour une indépendance envisagée de manière concrète par le renforcement des garanties dans l’exercice de la mission. « Il faut une définition de l’indépendance qui ne soit pas fondée sur la seule vertu du juge mais sur un corpus juridique cohérent, c’est comme un pays sans code de la route, si vous comptez sur la seule bonne volonté des conducteurs vous n’êtes pas sûr d’éviter les accidents » explique Emmanuel Poinas. Parmi les mesures souhaitées, figure en particulier l’instauration d’une séparation des pouvoirs plus cohérente à l’intérieur même des juridictions entre la fonction juridictionnelle et la fonction administrative. « Cela permettrait d’objectiver des problématiques, par exemple le fait de fixer le nombre d’audiences dans l’année est une décision administrative qui ne peut être contestée, devant aucune instance ; si les magistrats pouvaient dire « c’est trop, on refuse », on aurait avancé sur la question des moyens nécessaires pour fonctionner et on n’en serait peut-être pas à deux ans de stocks de dossiers ». Et de conclure « il faut se donner les moyens de lutter contre des situations qui dégénèrent en abus ». Le site internet du syndicat sera mis en ligne fin janvier.

 

*Cité dans Histoire de la justice en France du XVIIIè siècle à nos jours, par Jean-Pierre Royer, PUF, 5e édition, p.1129.  L’auteur de cette formule n’est pas précisé.

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