Tribunal d’Évry : « Oui, je l’ai frappé fort, mais je lui ai demandé pardon »

Publié le 22/08/2022

Ali, 27 ans, s’est déchaîné sur un passant à Corbeil-Essonnes. La victime, qui pourrait avoir exagéré ses blessures, l’aurait menacé d’un couteau. Curieusement, les images des caméras de vidéosurveillance n’ont même pas été exploitées.

Tribunal d’Évry : « Oui, je l’ai frappé fort, mais je lui ai demandé pardon »
la 10e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry (Photo : ©I. Horlans)

Ali, petit homme sec aux cheveux bruns et courts, vêtu d’un tee-shirt rose, fournit des explications qui semblent honnêtes. S’il admet avoir « frappé le monsieur à coups de pied et de poing » dans la nuit du 26 juin, il regrette que la police n’ait pas cherché à savoir pourquoi. Il n’excuse pas son geste devant le tribunal d’Évry-Courcouronnes (Essonne), lundi 18 juillet 2022 ; il le juge « idiot ». Toutefois, il l’explique par « la peur d’être poignardé ».

Rachid, la victime, absente et non représentée, s’est constitué partie civile par courrier et sollicite 1 000 € pour son préjudice. Ses certificats médicaux, établis plus d’une semaine après la rixe – ce qui a valu à Ali d’être incarcéré en fin de garde à vue il y a 22 jours -, seront sujets à caution lors des débats. À l’ouverture de son procès, il est poursuivi pour violence en état d’ivresse manifeste suivie d’incapacité temporaire de travail (ITT) supérieure à huit jours ». Aggravé par l’alcool, le délit est passible de cinq ans de prison.

« Il sort un couteau, me dit “nique ta mère” et fonce sur moi »

 Les faits, tels que décrits dans le procès-verbal de la police, sont rapportés par la présidente Laurence Contios. Dimanche 26 juin, vers 1 heure, Ali va acheter des bouteilles d’eau à l’épicerie près de son immeuble, ouverte la nuit, pour rafraîchir son cerveau embué par l’abus de bière. Il suit Rachid. Ce dernier est en conversation avec sa femme qui, dira-t-elle, « s’exprime bruyamment, dérange souvent les gens autour ». Elle entend un inconnu lancer à son mari : « Arrête de parler ! », puis des bruits confus, son époux grommelant et plus rien. L’inquiétant silence la précipite hors de chez elle, en chemise de nuit. Elle croise Ali et découvre Rachid au sol, « couvert de sang ». Elle alerte police-secours, désigne la HLM où s’est engouffré Ali, aussitôt arrêté.

Trop imbibé, incapable d’être auditionné, il dort en cellule de dégrisement et, en matinée, raconte sa version : « L’homme m’a demandé une cigarette que je lui aurais volontiers donnée si je fumais. Là, face à mon refus, il sort un couteau, me dit “nique ta mère” et fonce sur moi. Alors j’ai riposté. » Il porte une plaie à la paume droite, preuve selon lui de son geste défensif.

 « Pourquoi ne pas regarder les caméras ? Il y en a trois ! »

 La police préfère croire Rachid, lui aussi passablement éméché, et l’épouse qui n’a assisté, ni de près ni de loin, à l’altercation. Le dossier, bouclé en à peine 24 heures, est transmis au procureur pour comparution immédiate. Le parquet choisit le renvoi dans l’attente du rapport médical. Le premier mentionne des « hémorragie nasale, fracture du nez, contusion à l’épaule gauche ». Le second évoque des « yeux au beurre noir, plaies dans la bouche, ecchymoses ». Au quel se fier ? Aucun n’a été rédigé par le légiste de l’unité médico-judiciaire.

Dans le box des prévenus, extrait de sa cellule à Fleury-Mérogis (Essonne), Ali multiple les syllogismes tautologiques, ne variant que sur un ou deux mots : « Pourquoi ne pas regarder les caméras ? Il y en a trois. Vous verrez que je dis la vérité. »

La présidente : « – Oui, Monsieur, on a compris. Hélas, le tribunal n’a pas les vidéos, elles n’ont pas été saisies.

– Vous auriez vu que je ne l’ai pas provoqué ! Oui, je l’ai frappé fort, mais je lui ai demandé pardon. Sur place. Et je suis rentré chez moi parce qu’il n’avait pas l’air blessé.

– Enfin, Monsieur, regardez les photos de son visage tuméfié ! Pourquoi le cogner ainsi ? La riposte est disproportionnée.

– J’ai craint son couteau.

– On ne l’a pas trouvé.

– Parce qu’on ne l’a pas cherché. »

La main-d’œuvre bon marché, sans papiers mais en CDI

 Une idée malplaisante traverse alors l’esprit : se pourrait-il que la situation d’Ali en ait fait un « client » forcément moins crédible que Rachid, établi à Corbeil-Essonnes depuis des lustres ? En effet, l’auteur de l’infraction est un Algérien entré illégalement en France durant l’année 2017. Ni titre de séjour ni certificat de résidence car un ami l’héberge à Corbeil. Célibataire, sans enfant, il n’a jamais eu affaire à la justice, son casier est vierge.

« – Mais je travaille dans le bâtiment. Je gagne 1 500 € par mois, j’ai un CDI.

– Un CDI ? ! Sans carte de séjour ?

– Oui, justement pour avoir mes papiers, être en règle. Mon employeur l’a proposé.

– En garde à vue, le préfet a notifié à votre encontre une OQTF [obligation de quitter le territoire français]. Allez-vous rentrer au pays ?

– Non, je ne veux pas, je n’ai plus de famille là-bas. Un ami propose de me loger si je n’ai plus le droit d’habiter à Corbeil. »

Assis parmi le public avec d’autres hommes, l’ami transmet une lettre qui atteste de sa volonté d’accueillir Ali.

Dans son rôle, la procureure Sophie Cazalas soutient les conclusions des forces de l’ordre. « Les caméras ? Il n’y en avait pas ! Le récit de la victime, de sa femme, est cohérent. » Elle requiert « une peine d’avertissement, un an de prison assorti d’un sursis simple ».

Me Fabienne Fenart, commise d’office, s’indigne : « Pas de caméras ? Mais enfin, il y en avait trois ! Celle du centre de semi-liberté à deux pas du lieu de l’incident, celle de l’ex-tribunal de commerce en travaux, et celle de sa résidence ! Mon client a avoué les coups portés, pas leur origine. » Comme les anonymes en salle d’audience, l’avocate déplore une affaire qu’on « ne s’est pas embêté à creuser ». Elle se dit « sûre qu’il a eu peur. Il est inconnu de vos services et il n’a pas le profil d’un agresseur ». Quant aux certificats médicaux, ils la laissent « dubitative » : « Il n’y a jamais eu de fracture du nez ! »

Usant de sa parole en dernier, Ali demande pardon pour sa réaction : « En détention, j’ai beaucoup souffert. Je souhaiterais être libéré. »

En fin d’après-midi, l’infraction est requalifiée, l’ITT retenue est inférieure à huit jours. La sanction se limite à six mois de sursis simple, 600 € pour Rachid, le départ de Corbeil. « Il faudra bien vous tenir pendant cinq ans, sous peine d’être réincarcéré », prévient la juge.

Ali opine, remercie, heureux de retrouver son chantier et son emploi à bon marché.

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