Autorisation du burkini : une atteinte grave à la neutralité du service public ?
Dans son ordonnance du 25 mai, le tribunal administratif de Grenoble a suspendu l’autorisation du burkini dans les piscines de la ville. Explications.
Avec l’approche de l’été ressurgit la désormais traditionnelle querelle autour de l’usage du burkini dans les piscines et sur les plages françaises. Assurant que « interdire le burkini dans une piscine municipale est une discrimination », le maire EELV de Grenoble Eric Piolle a fait adopter par son conseil municipal l’autorisation de ce vêtement dans les piscines de sa ville. Une décision qui a immédiatement suscité la colère de plusieurs responsables politiques. La droite est vent debout contre le burkini. Laurent Wauquiez, président LR de la région a ainsi menacé de couper les vivres à la ville :
M.Piolle projette d’autoriser le burkini dans les piscines municipales.
Je mets le maire en garde : dans ce cas, la Région coupera toute subvention à la ville de Grenoble. Pas un centime des Auvergnats-Rhônalpins ne financera votre soumission à l’islamisme. https://t.co/zrSQaC7OC1— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) May 2, 2022
Mais la question divise aussi à gauche. C’est ainsi par exemple que la Fédération du PRG-Centre Gauche de l’Isère a pris sa plume pour écrire une lettre ouverte au maire dans laquelle elle déclare » le PRG-Centre Gauche rappelle que si la police de vêtements n’existe pas, néanmoins les équipements publics ne peuvent tolérer le prosélytisme. Le PRG-Centre Gauche qui défend la liberté de conscience pour toutes et toute invite Éric Piolle à faire sienne la conscience républicaine en dépassant, lui aussi, en exemplarité, ses convictions personnelles. »
Saisi par le préfet de l’Isère à la demande du ministre de l’intérieur Gérard Darmanin, dans le cadre de la nouvelle procédure de déféré-laïcité* instaurée par la loi séparatisme du 24 aout 2021, le tribunal administratif de Grenoble, dans son ordonnance du 25 mai dernier, a donné raison aux opposants à l’autorisation du burkini.
En substance, le Préfet soutenait que cette autorisation :
« porte une atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité des services publics » en ce qu’elle « vise à reconnaître des droits particuliers à des membres d’une communauté religieuse » par dérogation « à la règle selon laquelle les tenues de bains doivent être « près du corps » pour éviter le risque de s’accrocher ou d’être happé par des appareils de filtration ».
Ce à quoi la commune de Grenoble rétorque que :
« le règlement intérieur n’a pas pour objet d’autoriser une pratique religieuse mais seulement de permettre à toute personne d’accéder aux piscines, dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité propres à ces équipements » non sans rappeler également que « les usagers des piscines ne sont pas soumis à des exigences de neutralité religieuse ».
Le tribunal a donné raison au préfet pour les motifs suivants :
« En permettant aux usagers du service public communal des piscines de Grenoble de porter des tenues « non près du corps », sous la seule condition qu’elles soient moins longues que la mi-cuisse – comme c’est le cas notamment du vêtement de baignade appelé burkini-, c’est à dire en dérogeant à la règle générale d’obligation de porter des tenues ajustées près du corps pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux, ainsi qu’il est d’ailleurs reconnu dans les écritures de la commune, les auteurs de la délibération litigieuse ont gravement porté atteinte aux principe de neutralité du service public ».
Gérard Darmanin s’est félicité de cette décision.
Ma réaction à la décision du tribunal administratif de Grenoble qui suspend la délibération de la mairie de Grenoble sur le « Burkini » : une victoire pour la République, la laïcité et le droit. @le_Parisien https://t.co/rPc92ZiQkQ
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) May 26, 2022
Quant au maire de Grenoble, il a indiqué qu’il allait engager un recours devant le Conseil d’Etat.
Jugement du tribunal administratif de Grenoble sur le règlement des piscines : la ville de #Grenoble fait appel devant le Conseil d’État.
— Éric Piolle (@EricPiolle) May 25, 2022
*L’article 5 de de la loi du 24 aout 2021 a introduit la possibilité, pour les préfets, de demander la suspension de l’exécution d’un acte d’une collectivité qui porterait « gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics« . Le juge administratif dispose de 48 heures pour statuer sur cette demande de suspension. Sa décision est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans les 15 jours.
Nous publions ci-dessous la décision dans son intégralité.
Référence : AJU295777