Non, on ne risque pas la prison si on n’est pas vacciné !
A l’occasion d’une tribune publiée dans Le Parisien le 9 janvier, un avocat et un professeur en hématologie militent pour que les non-vaccinés soient poursuivis pénalement. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier explique pourquoi c’est juridiquement impossible.
La crise que nous traversons depuis près de deux ans aura décidément fait vaciller des pans entiers de notre société. Les libertés individuelles ont été sérieusement mises à mal avec le confinement de mars 2020, puis avec le couvre-feu et le passe sanitaire, mais aussi bientôt avec le passe vaccinal (s’il est voté dans les jours qui viennent).
Les débats sont de plus en plus houleux, passionnés, enflammés et beaucoup d’entre nous semblent oublier que dans un état de droit, on ne peut pas tout faire. Et c’est tant mieux ! En matière de libertés, c’est le droit qui doit nous guider, non la peur. Alors à l’évidence, cette crise sanitaire est aussi une crise de notre droit. Une crise de l’importance de notre droit. Une crise de la connaissance de notre droit.
Après l’idée saugrenue de faire payer leurs soins médicaux aux personnes qui ne sont pas vaccinées, puis la stratégie de l’emmerdement maximum mise en œuvre ouvertement au plus haut sommet de l’État, voici donc celle de « la création du risque judiciaire ».
A en croire un article paru ce weekend dans la presse, il faudrait « créer du risque » en incitant les juges à poursuivre pénalement les personnes qui ont décidé de ne pas se vacciner :
*soit pour « homicide volontaire »,
*soit pour « mise en danger de la vie d’autrui »,
*soit pour « administration de substance nuisible ».
Il ne s’agit plus d’empêcher, il ne s’agit plus d’interdire, il ne s’agit même plus « d’emmerder », mais d’intimider et de faire peur en brandissant le risque de poursuites pénales et de la prison. Alors même que la vaccination n’est pas obligatoire.
Puisque cet article invite à lutter contre les « désinformateurs et les fake news », c’est ce que je vais faire.
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Il faut d’abord comprendre (et accepter) que les personnes qui ne sont pas vaccinées ont fait un libre choix dans le respect de la loi. Il ne convient pas à certains, c’est une chose, mais il est parfaitement légal.
Pourrait-on alors les poursuivre pénalement sur le fondement des trois infractions visées dans cet article ?
La réponse est non.
Pas d’homicide involontaire…
L’homicide involontaire se définit comme « le fait de causer (…), par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ». Il est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende » (article 221-6 du code pénal).
Il suppose un manquement à un obligation prévue par loi car il ne s’agit pas d’une « présomption de responsabilité pénale à l’encontre de celui qui a causé involontairement la mort à autrui ». Or, le vaccin n’est pas obligatoire.
Je passe volontairement sur la quasi impossibilité de rapporter la preuve de la transmission de la covid et du lien direct entre la contamination et le décès (qui doit être « certain » selon un arrêt de principe de la cour de cassation du 11 décembre 1957), mais le débat sur la preuve pénale est également en péril dans notre société de l’accusation facile permanente.
…ni de mise en danger de la vie d’autrui !
Quant à la mise en danger de la vie d’autrui, l’article 223-1 du code pénal dispose que « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ».
Ce délit implique donc une exposition directe à un risque immédiat de mort. Quand on voit le taux de mortalité de la covid, le simple fait d’exposer une personne à ce virus ne l’expose pas un risque mortel immédiat. Le débat pourrait s’arrêter là.
Mais d’autres questions se poseraient. Comment être certain du moment précis de la contamination par la covid ? Quid des facteurs de comorbidité de la personne contaminée ? Ces questions pourraient-elles avoir des réponses certaines ? Non. Ces deux textes de loi sont ainsi parfaitement inopérants et ne sont d’ailleurs pas utilisés par les procureurs dans ce contexte. La tentative de recourir au délit de mise en danger de la vie d’autrui pour poursuivre les organisateurs de rave party l’an dernier a fait long feu !
Encore moins l’administration d’une substance nuisible
Plus étonnante est la comparaison faite dans cet article entre « vaccin » et « préservatif », pour tenter de convaincre le lecteur d’une potentielle « administration de substance nuisible » en cas de transmission par le covid. Cette infraction est prévue par l’article 222-15 du code pénal qui dispose que « l’administration de substance nuisible ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique est punie des peines mentionnées aux articles 222-7 (15 ans de réclusion criminelle) et 222-14-1 (10 à 30 ans en fonction des circonstances) ».
Je rappelle que techniquement, un préservatif protège de la transmission des maladies sexuelles transmissibles et non de leurs effets graves. La comparaison est donc, rien que sur ce point-là, parfaitement absurde.
Mais force est de constater que, contrairement au VIH transmis par des sécrétions sexuelles infectées au cours d’un rapport intime, la covid n’est pas une « substance ».
Et il n’y a aucune « administration » lors de sa contamination (injecter, faire boire, manger, ingérer).
Si un juge estimait que la covid se transmettait par « l’administration d’une substance », alors la grippe ou la gastro-entérite par exemple, pourraient également l’être.. Ce qui est serait une aberration ! Là encore, le débat pourrait s’arrêter à ce simple constat.
Mais l’arrêt de la cour de cassation auquel il est fait référence dans cet article a tranché la question très particulière de la transmission du VIH lors d’un rapport sexuel non protégé : « la cour d’appel a caractérisé dans tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit d’administration de substance nuisible en retenant que, connaissant sa contamination déjà ancienne au VIH pour laquelle il devait suivre un traitement, le prévenu a entretenu des relations sexuelles non protégées avec sa compagne en lui dissimulant volontairement son état de santé et a ainsi contaminé par la voie sexuelle la plaignante, désormais porteuse d’une affection rare constituant une infirmité permanente » (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022921342).
Ainsi, dans le cas de la covid, il faudrait rapporter la preuve que l’auteur non vacciné se savait contaminé par la covid, mais aussi qu’il l’aurait volontairement caché à celui à qui il l’aurait transmis. Lequel aurait été contaminé du fait de ce contact-là et uniquement de celui-là. Enfin, il faudrait que les conséquences découlant de cette condamnation ne doit dues qu’à celle-ci.
L’élément intentionnel de l’infraction… Parfaitement oublié par les auteurs de cet article.
Quid des vaccinés qui transmettent le virus ?
Que dire enfin du cas d’une personne vaccinée qui transmettrait le virus ? Risquerait-elle également la prison pendant des années ? Serait-elle aussi une délinquante ? Pourrait-on envisager sérieusement de poursuivre pénalement des personnes non vaccinées et pas celles qui le sont, alors même qu’elles transmettraient le même virus ? Irait-on jusqu’à refuser de poursuivre l’auteur non vacciné de la transmission de la covid si la victime n’était pas vaccinée en considérant qu’elle aurait pris un risque et qu’elle aurait concouru à son dommage ?
Souhaitons nous utiliser la loi pénale pour lutter contre des actes graves, ou contre une catégorie de personnes en raison de leurs idées qui « emmerdent » certains sans pour autant contrevenir à la loi ? Il faut arrêter de tordre le droit et de lui faire dire ce qu’il ne dit pas.
Derrière ces idées passionnées, c’est encore une fois le sens de notre droit et notre système pénal qui interrogent. Que veut-on pour l’avenir de notre pays ?
Référence : AJU267319