Premiers avis et recommandations du conseil national de la médiation au ministre de la Justice
Alors que Gérald Darmanin vient de s’installer place Vendôme comme nouveau ministre de la Justice, de nombreuses annonces ont déjà été faites concernant la justice pénale, le garde des Sceaux faisant preuve de volontarisme politique dans ce domaine.
Si le volet pénal est une des composantes essentielles d’une politique ministérielle d’un garde des Sceaux, le volet justice civile, sociale et commerciale, plus discret et n’intéressant pas les médias, mais qui concerne chaque année plusieurs millions de nos concitoyens, mérite également d’être au centre d’une politique nationale volontariste, compte tenu de la situation d’engorgement qu’elle connait. Nos concitoyens, sondage après sondage, la trouvent en effet trop lente, trop complexe et n’apportant pas de réponses satisfaisantes (selon les chiffres clés du ministère de la Justice, la justice civile dans les tribunaux judiciaires a enregistré 1 565 000 affaires nouvelles à juger en 2023 avec une augmentation annuelle du stock de 8%).
L’amiable au secours d’une justice civile en crise
La justice civile, dont les délais de traitement n’ont cessé de croitre, est le parent pauvre, l’éternelle oubliée, pour de multiples raisons particulièrement bien analysées dans le rapport du groupe de travail sur la justice civile des États généraux de la justice présidée par le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, et qui se prononce pour un changement de paradigme dans l’office du juge.
Si l’allocation de moyens supplémentaires est une nécessité pour permettre à la justice française de rejoindre les standards européens, elle ne sera pas suffisante pour répondre aux attentes de nos concitoyens sans une vision ambitieuse sur la mission de cette justice civile, son organisation, son administration.
Le Conseil national de la médiation a rendu, en décembre 2024, des avis et recommandations (accessibles en intégralité à la fin de l’article) qui pourraient apporter des réponses à certains enjeux de cette justice civile en favorisant le développement de la médiation dans les juridictions françaises, qui sont en retard sur ce point par rapport à de nombreux pays comparables au nôtre, alors que les modes amiables de résolution des conflits, et en particulier la médiation permettent de réhumaniser la justice civile, et présentent de nombreux intérêts pour les justiciables.
L’intérêt de la médiation, en effet, outre sa rapidité, évitant des procès lents et coûteux, et sa confidentialité, est de permettre aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, d’en devenir des acteurs responsables, de leur permettre de porter eux-mêmes leur parole et d’écouter celle de l’autre, de se comprendre mutuellement, d’aborder l’entièreté du conflit aussi bien dans ses aspects économiques, relationnels, psychologiques, sociaux au-delà du litige strictement juridique qui bien souvent ne traduit pas la véritable origine du conflit, la réponse judiciaire à ce litige ne pouvant dès lors mettre fin à ce dernier.
L’intérêt essentiel de la médiation, au-delà de l’accord ponctuel qui mettra, le cas échéant, fin au litige soumis au juge, est de permettre de nouer ou de renouer un lien social entre des parties en conflit et de préserver l’avenir si elles sont amenées à continuer à entretenir des relations, qu’elles soient de nature commerciale, familiales, de voisinage… Elle permet aussi de trouver des solutions inventives et originales où l’équité aura toute sa place.
Par ailleurs, comme une étude récente l’a confirmé, le conflit a un coût très important pour l’économie de notre pays et le prévenir ou le résoudre à l’amiable permet de nombreux gains en termes de coût, de temps, d’investissement (une étude récente d’Equanim International et Lamy Liaisons évalue le cout de la conflictualité à 29 milliards d’euros).
Le vendredi 13 janvier 2023, une première en France, un garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a annoncé vouloir développer une politique nationale de l’amiable, rappelant que l’amiable n’est pas une justice au rabais, un gadget procédural, un outil de gestion des flux, mais un moyen qualitatif supplémentaire de résoudre rapidement et efficacement le litige.
Si cette politique nationale s’est concrétisée notamment par la création de nouveaux mécanismes : l’audience de règlement amiable (L’audience de règlement amiable : mode d’emploi de Valence à Paris, G.P 24 septembre 2024 A.Melka,F.Vert) et la césure, et l’envoi d’ambassadeurs de l’amiable dans les cours d’appel, cette politique n’en est qu’à ses prémices, et il reste de nombreuses actions à accomplir pour voir enfin les modes aimables devenir des modes habituels de règlement des conflits.
Et c’est justement le rôle du Conseil national de la médiation de proposer au ministre de la Justice les pistes pour obtenir ce résultat.
La création du conseil national de la médiation
La loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a créé un Conseil national de la médiation (dont la création était réclamée depuis longtemps) placé auprès du ministre de la justice, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation , de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer ,de proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation ,de proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs;
Un décret en Conseil d’Etat a fixé l’organisation, les moyens et les modalités de fonctionnement du Conseil national de la médiation.
Le 26 mai 2023, paraissait au journal officiel la composition du Conseil national de la médiation, conçu pour devenir le fer de lance d’une politique nationale indispensable pour implanter de manière pérenne la médiation, et plus largement un circuit de l’amiable, dans les juridictions judiciaires, mais aussi administratives. Sous l’autorité de Frédérique Agostini, conseillère à la Cour de cassation, présidente du Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME) et première présidente du CNM, plusieurs groupes de travail sur des thématiques comme la déontologie et la formation des médiateurs, l’amélioration des textes ont été créés.
Ces travaux sur la médiation se sont déroulés dans le cadre d’une réflexion plus générale sur la mission de la justice de notre pays et sa rénovation après le coup de tonnerre du 8 juillet 2022, jour où a été rendu public le rapport du Comité des Etats généraux de la justice « Rendre justice aux citoyens » qui faisait le triste constat d’un « état de délabrement avancé de l’institution judiciaire » après des « décennies de politiques publiques défaillantes », appelant à une réforme systémique et à un changement de paradigme dans l’office du juge, et les modes aimables faisant partie des pistes de rénovation de la justice civile.
Comme cela est rappelé en exergue du rapport d’étape du CNM, cela fait bientôt 18 mois que le Conseil national de la médiation s’est mis au travail et fort de sa composition plurielle qui fait dialoguer les différentes médiations dans le domaine civil et commercial, familial, administratif, institutionnel, territorial et de la consommation ainsi que de l’expertise de ses 41 membres bénéficiant tous d’une expérience pratique ou d’une
formation à la médiation, s’est attelé à l’établissement des avis, propositions et recommandations attendus de lui, et adressés au ministre de la Justice au cours des mois écoulés, capitalisant les acquis des diverses expériences de médiation qui se sont développées depuis des années. Dans son rapport d’étape, le CNM indique enfin les perspectives de travail retenues pour 2025.
« L’enjeu des travaux du CNM est de donner corps à la politique nationale de l’amiable : pour cela, il doit moderniser la médiation, rendre son régime cohérent et définir sa place parmi les différents processus de règlement amiable des différends… » selon les propos de la professeure Natalie Fricéro.
Les travaux du CNM
En 2023, le Conseil a tenu deux réunions plénières, les 28 juin et 9 novembre, en 2024, il s’est réuni les 21 mars, 6 juin, 26 septembre et le 12 décembre 2024.
Les travaux du Conseil sont organisés et préparés par la commission permanente et des groupes de travail ont été constitués chargés de fournir au Conseil les éléments lui permettant d’élaborer ses avis, propositions et recommandations, et de préciser les conditions de leur mise en œuvre effective.
Pour nourrir ses travaux, le Conseil national de la médiation s’est attaché à recueillir les informations utiles, quantitatives et qualitatives, sur la médiation. Pour ce faire, il a fait appel à l’expertise de nombreux acteurs et parties prenantes, experts des différentes pratiques de médiation.
Dès les premiers travaux, il est apparu nécessaire au Conseil national de la médiation de préciser l’objet et le périmètre de ses réflexions. Le Conseil a souhaité adopter une définition méthodologique de la médiation lui permettant, pour la mise en œuvre de l’article 21-6 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 fixant sa mission, de travailler avec pragmatisme et efficacité, à la recherche d’un socle commun aux différents médiateurs et aux différentes pratiques de médiation envisagées par les articles 21 et 21-1 de cette loi et qu’illustre sa composition.
Attentif à rester dans le cadre de la définition posée par l’article 21 de la loi du 8 février 1995, le Conseil a souhaité inclure la médiation tant judiciaire qu’extrajudiciaire dans sa réflexion.
Le Conseil s’est accordé sur la définition suivante de la médiation :
« La médiation est un processus volontaire et coopératif dans le cadre duquel des personnes entreprennent au moyen d’échanges confidentiels et avec l’aide d’un [ou plusieurs] tiers, le médiateur [ou les médiateurs] d’établir ou de rétablir des liens, de prévenir ou de régler à l’amiable un conflit. Le médiateur, tiers indépendant, impartial, formé à la médiation, sans pouvoir de décision, favorise l’écoute mutuelle et le dialogue entre les participants. »
Les avis du conseil national de la médiation
En 2023 et 2024, le Conseil national de la médiation a organisé ses travaux pour être en mesure de formuler les propositions attendues de lui concernant la déontologie et la formation des médiateurs ainsi que les conditions de leur inscription sur les listes établies par les cours d’appel.
Il a porté aussi ses réflexions dans un cadre élargi aux enjeux qu’il considère essentiels à la promotion de la médiation :
– Les réformes de procédure pour mieux intégrer la médiation à tous les stades du procès et mieux l’articuler avec les autres modes amiables ;
– L’éthique et la déontologie du processus de médiation et du médiateur ;
– Les exigences de formation initiale et continue pour dispenser une médiation de qualité et les conditions d’exercice du métier de médiateur ;
– Le suivi et l’évaluation du recours à la médiation judiciaire ;
– L’amélioration des conditions d’établissement des listes établies par les cours d’appel.
Voici un résumé des différents avis et recommandations proposés au ministre de la Justice par le CNM :
1/ Une proposition de définition de la médiation
2/ Proposition d’un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation
Le recueil proposé, exhaustif, définit les obligations déontologiques applicables à la pratique de la médiation. Il assure la transparence des principes déontologiques, pour fournir au public des repères quant aux attentes qu’il peut avoir à l’égard des médiateurs.
Le recueil déontologique proposé applicable à la pratique de la médiation comprend :
*Les obligations déontologiques inhérentes à la qualité du processus de médiation.
*Les obligations déontologiques inhérentes à la qualité de médiateur.
Les obligations déontologiques inhérentes à la qualité du processus de médiation concernent :
1.Le respect de la liberté des personnes ;
2.Le respect de la qualité des échanges ;
3.L’obligation de confidentialité ;
4.Le recours au traitement automatisé de données à caractère personnel.
Les obligations déontologiques inhérentes à la qualité de médiateur concernent :
5.L’obligation de déport ;
6.L’obligation de formation ;
7.L’indépendance ;
8.L’impartialité ;
9.La neutralité ;
10.La prévention des conflits d’intérêts ;
11.L’absence de pouvoir de décision ;
12.La diligence ;
13.L’intégrité et la probité ;
14.La loyauté ;
15.Les devoirs envers les autres médiateurs et les partenaires de justice ;
16.Les devoirs envers les juridictions.
3/ Propositions sur la formation du médiateur avec un référentiel sur les compétences de base du médiateur, un référentiel de formation initiale (avec propositions de modules)
4/ Propositions sur l’établissement de listes de médiateurs par les cours d’appel sur quatre axes :
a/Bâtir sur le dispositif existant des listes un outil plus efficace et plus utile pour accompagner le développement de l’amiable en général et de la médiation judiciaire et conventionnelle en particulier, dans tous les domaines (civil, commercial, social, administratif…).
b/ Améliorer la transparence, la précision et l’homogénéité des critères de sélection sur les listes et leur application par les cours d’appel, ainsi que le contenu, l’accessibilité et la gestion des listes.
c/ Renforcer l’ancrage territorial des listes.
d/Homogénéiser au niveau national les conditions techniques et juridiques d’établissement des listes.
Le CNM a également émis des avis, un le 23 novembre 2023 sur le projet de décret portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et un avis particulièrement développé le 21 mars 2024 sur l’avant-projet de décret « recodification des MARD » qui est attendu avec impatience.
Le Conseil national de la médiation a souhaité associer les conciliateurs de Justice à ses réflexions. Le Conseil national de la médiation et l’association Conciliateurs-de-France se sont accordés sur des axes de travail en commun pour promouvoir une conciliation et d’une médiation de qualité, complémentaire et non concurrente.
Le Conseil national de la médiation considère que l’harmonisation des dispositifs d’interruption des délais de recours contentieux et de prescription est indispensable à la sécurisation du recours à la médiation et tout particulièrement, à son appropriation par les avocats..
Le Conseil national de la médiation est également favorable aux recommandations formulées par les Ambassadeurs de l’amiable tendant à mieux intégrer l’amiable dans l’organisation judiciaire.
Le CNM insiste aussi sur la nécessité d’une communication importante sur les modes amiables pour les faire connaître notamment du grand public.
Il souligne aussi l’insuffisance des outils statistiques permettant de suivre et de comptabiliser, mais également d’évaluer quantitativement et qualitativement l’activité de médiation, au niveau local comme au niveau national et de la nécessité d’y remédier et propose plusieurs recommandations essentielles sur ce sujet.
Quelles suites pour ces avis et recommandations ?
Les premiers avis et recommandations du CNM sont extrêmement riches et fort documentés. Beaucoup rejoignent les propositions comprises dans le rapport des ambassadeurs de l’amiable remis en juillet 2024 au garde des Sceaux après avoir visité 33 cours d’appel.
Maintenant, il faut espérer que ces propositions seront prises en considération par le ministre de la Justice dans le cadre d’une politique publique volontariste de l’amiable, répondant ainsi aux attentes de nos concitoyens qui plébiscitent à hauteur de 90 %, le développement des modes amiables comme l’atteste un sondage commandé par la commission des lois du Sénat.
Ne les décevons pas.
2025 : année charnière de la médiation ?
Le chemin pour faire de la voie amiable une voie habituelle de règlement des conflits est encore long, mais des fondations profondes se construisent et les acteurs de l’amiable sont aux avants postes pour faire de 2025 une année charnière. Toutefois, seule une volonté politique forte est en capacité d’assurer ce changement de paradigme, étant observé que de nombreuses préconisations peuvent être mises en œuvre par des décrets, des arrêtés ou des circulaires.
Rapport d'étape du CNM 2023-2024
Avis recommandations et préconisations 2023-2024 du CNM
Référence : AJU494100