Chez les Surligneurs : De quels pouvoirs dispose le gouvernement Barnier après sa chute ?

Publié le 06/12/2024

Quels effets juridiques s’attachent à la chute du gouvernement Barnier ? On fait le point avec les Surligneurs. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur le Mercosur, les pouvoirs de la Cour pénale internationale et le droit d’amendement. 

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Motion de censure : gestion des affaires courantes, adoption du budget 2025… Tout ce qu’il faut savoir après la chute du gouvernement Barnier

Le renversement du gouvernement Barnier, par l’adoption d’une motion de censure ce mercredi 4 décembre, marque un événement rare sous la Ve République, le seul précédent datant de 1962 avec le gouvernement de Georges Pompidou. Bien que ce renversement mette fin au gouvernement en exercice, Michel Barnier et ses ministres restent en place pour expédier les affaires courantes, garantissant la continuité de l’État, sans toutefois entreprendre de nouvelles réformes.

Le pouvoir du gouvernement démissionnaire est strictement encadré. Toute décision de nature politique pourrait être annulée par le Conseil d’État, comme le rappelle une jurisprudence datant de 1952. Le gouvernement Gouin avait pris un décret cinq jours après sa démission officielle, qui fut annulée. Cependant, en cas de crise majeure, comme des violences importantes ou un attentat, le gouvernement peut encore prendre des mesures urgentes, telles que décréter l’état d’urgence sécuritaire, sous réserve d’un vote parlementaire après 12 jours en vertu de la loi du 3 avril 1955.

Dans un contexte de tensions budgétaires, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), rejeté à la suite du 49.3, et le projet de loi de finances (PLF), encore en discussion, posent des défis. Des options sont toujours possibles cependant, l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 les prévoit. Le gouvernement peut soumettre au vote la partie recettes du texte, afin de continuer à lever les impôts après le 31 décembre 2024. Il peut également décider des dépenses par décret, la LOLF limitant cependant la marge de manœuvre de l’exécutif. Le gouvernement peut également déposer un projet de loi de finances spéciale, reconduisant le budget 2024 jusqu’à l’adoption du budget 2025.

Dernière option, dont la constitutionnalité fait débat si elle est actionnée par un gouvernement démissionnaire : la possibilité, prévue par l’article 47 de la constitution et l’article 40 de la LOLF, de mettre en œuvre le PLF 2025 par ordonnances, alors qu’il serait encore en discussion au Parlement. Ces ordonnances risquent cependant d’être annulées par le Conseil d’État.

Pour le PLFSS, l’article 47-1 de la constitution permet de passer par les ordonnances au bout de 50 jours, soit depuis 29 novembre. Ce contexte inédit force le gouvernement à naviguer entre les impératifs de gestion courante et la nécessité de maintenir la stabilité politique, en attendant une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale, possible à partir de juillet 2025.

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Non, Ursula von der Leyen n’a pas les “commandes” de l’accord avec le Mercosur

Le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a adressé un message clair à la France au sujet du traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur. Critiquant les tentatives françaises d’entraver l’accord, notamment par un vote symbolique à l’Assemblée nationale, Lula a rappelé que la décision revient à l’UE. Il a affirmé son intention de signer l’accord avant la fin de l’année, soulignant le rôle de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans le processus.

Cependant, certains médias français ont relayé cette déclaration de manière imprécise, laissant entendre que von der Leyen avait le pouvoir exclusif de décider de l’accord. En réalité, bien que la Commission européenne soit compétente pour signer de tels accords, elle agit dans le cadre d’un mandat défini par le Conseil de l’UE, où siègent les ministres des États membres, dont la France. Ce mandat, octroyé dans les années 1990, fixe les conditions des négociations.

L’Union européenne dispose d’une compétence exclusive en matière d’accords commerciaux, ce qui signifie que les États membres ne peuvent agir individuellement sur ce terrain. Toutefois, ils participent activement au processus, à la fois en définissant les lignes directrices des négociations et en approuvant l’accord final. La Commission ne peut signer un traité qu’après autorisation du Conseil et vote favorable du Parlement européen.

Ainsi, bien que Lula ait raison de souligner que la présidente von der Leyen a un rôle clé, sa signature est conditionnée à l’approbation préalable des États membres et des eurodéputés. L’accord Mercosur, toujours sujet à controverse, devra donc surmonter ces étapes avant une éventuelle mise en œuvre.

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Israël-Hamas : selon Manuel Valls, la Cour pénale internationale a commis une “violation flagrante du principe de subsidiarité”

Manuel Valls, interrogé par Darius Rochebin, a dénoncé la décision de la Cour pénale internationale (CPI) d’émettre un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou, accusant la Cour de violer le principe de subsidiarité. Cependant, cette critique repose sur une confusion juridique : la CPI applique le principe de complémentarité, et non celui de subsidiarité.

L’article 17 du Statut de Rome prévoit que la CPI dispose d’une compétence complémentaire pour enquêter sur les crimes internationaux (préambule et article 1 du Statut de Rome). Conformément au principe de complémentarité, les juridictions nationales disposent certes d’une compétence prioritaire pour juger les crimes internationaux visés par le Statut de Rome. Mais, cette priorité est conditionnée au constat par la Cour de la volonté, ainsi que de la capacité des instances nationales à procéder effectivement au jugement des faits en cause.

Donc si la Cour juge que les crimes reprochés risquent de rester impunis faute pour les États d’avoir pris les mesures pour les juger, elle imposera sa compétence aux États.

Dans le cas d’Israël et de l’Autorité palestinienne, aucune procédure judiciaire n’a été engagée pour juger Netanyahou, Yoav Gallant, ou Mohammed Deif. De plus, les conditions d’impartialité et d’indépendance nécessaires à de tels procès semblent absentes dans les territoires palestiniens. Ainsi, la CPI a compétence pour intervenir afin de prévenir l’impunité, comme l’a précisé son procureur Karim Khan. Si des poursuites nationales crédibles étaient engagées, la CPI pourrait suspendre ses propres procédures, conformément au principe de complémentarité.

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Le droit parlementaire a-t-il été bafoué, comme l’affirme Manon Aubry, lors de la niche parlementaire de LFI ?

Le 28 novembre, la niche parlementaire de la France insoumise (LFI) a été marquée par l’échec du débat sur leur proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. Lors de ces journées exceptionnelles, un groupe politique peut fixer l’ordre du jour et soumettre ses propositions de loi, un privilège rare au sein d’une prérogative d’ordinaire partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Cependant, le débat s’est enlisé et n’a pu aboutir avant l’échéance de minuit, marquant la fin de la journée.

Cet échec s’explique par le dépôt de près de 1 000 amendements par les autres groupes politiques, chaque amendement devant être débattu individuellement. Ce phénomène, courant lors des niches parlementaires, est souvent utilisé comme une stratégie d’obstruction. LFI a dénoncé une atteinte à leurs droits parlementaires, accusant leurs opposants de jouer la montre pour empêcher le vote.

Paradoxalement, ce même groupe avait largement recouru à une tactique similaire en début d’année 2023, en déposant environ 13 000 amendements pour ralentir les discussions sur la réforme des retraites, suscitant des accusations d’obstruction de la part des autres députés.

Éthiquement critiquable, cette pratique reste néanmoins juridiquement permise, car aucune règle n’interdit le dépôt massif d’amendements pour ralentir ou bloquer le processus législatif.

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