Droit d’accès aux documents administratifs : l’ordre des avocats aussi y est (en partie) soumis

Publié le 04/11/2020

L’Ordre des avocats au barreau de Paris ayant opposé à l’un de ses membre un refus de communication de documents, le Tribunal administratif annule, s’agissant de documents se rattachant à l’exercice de la mission de service public de l’institution, la décision contestée et l’enjoint de communiquer lesdits documents. Les explications d’Emmanuel Derieux, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), auteur notamment de « Droit des médias. Droit français, européen et international »(1).

Droit d'accès aux documents administratifs : l'ordre des avocats aussi y est (en partie) soumis
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Au titre du « droit de toute personne à l’information », l’article L. 300-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) consacre « la liberté d’accès aux documents administratifs ».

Ayant sollicité, de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, la communication de divers documents, un de ses membre s’est heurté à un refus. Après un avis, de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), pourtant favorable à la communication de certains d’entre eux, le Conseil de l’Ordre a confirmé son refus. L’intéressé a alors saisi le Tribunal administratif. Pour se prononcer sur la nature des documents et donner partiellement satisfaction au demandeur, le jugement (TA Paris, 5e sect., 1ère ch., 8 octobre 2020, S.B. c. Ordre des avocats au barreau de Paris, b° 1822476/5-1) opère un tri entre les documents non communicables et les documents communicables dont il ordonne la mise à disposition du demandeur.

Un avocat a bien la qualité de « public »

Pour qu’un document soit communicable, au titre du droit d’accès aux documents administratifs, il convient d’abord qu’il relève de cette catégorie. 

Aux termes de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, qui fixe les conditions d’accès aux documents administratifs, sont considérés comme tels « les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par […] les personnes de droit privé chargées d’une […] mission » de cette nature.

Par le même article L. 300-2 CRPA, précision est apportée que « constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires […] correspondances, avis, prévisions […] et décisions ».

Pour s’opposer à la demande de communication, ledit Ordre des avocats fit notamment valoir que « le Code des relations entre le public et l’administration n’est pas applicable aux relations entre un avocat et l’Ordre auquel il appartient dès lors qu’il existe des dispositions spéciales applicables à celles-ci » et qu’un « avocat ne saurait être qualifié de ‘public’ au sens de l’article 100-3 du Code ». En défense, contestant la compétence du juge administratif, il prétendit, de plus, que les dispositions de l’article 19 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, « qui prévoient la compétence de la Cour d’appel » à l’encontre de ses délibérations et décisions, « sont seules applicables ». 

Pour le Tribunal cependant, « un avocat a bien la qualité de personne privée et donc de ‘public’ au sens du Code des relations entre le public et l’administration ». Il ajoute que « ni les dispositions de l’article 19 de la loi du 31 décembre 1971 ni aucune autre disposition spéciale ne régissent la communication des documents produits ou reçus dans le cadre de sa mission de service public, par l’Ordre, aux avocats qui en font la demande ».

Le jugement écarte l’argumentation de l’Ordre. Il retient qu’il « est un organisme privé chargé de la gestion d’un service public » et que « figurent au nom de ses missions de service public administratif ses activités normatives, ses décisions à caractère financier, notamment celles concernant la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), ainsi que l’ensemble des décisions individuelles ou collectives liées à l’accès à la profession et à l’exercice de celle-ci ».

De la nature et des missions de l’Ordre découle le caractère administratif de certains des documents qui s’y rattachent.

C’est en fonction du rattachement, ou non, de certains documents à l’exercice de la mission de service public de l’Ordre des avocats que le jugement détermine, en l’espèce, ceux qui sont ou qui ne sont pas communicables au titre du droit « d’accès aux documents administratifs ». Il précise que, « parmi les documents détenus par un organisme privé chargé d’une mission de service public qui exerce également une activité privée, seuls ceux qui présentent un lien suffisamment direct avec la mission de service public peuvent être regardés comme des documents administratifs ».

Documents non communicables

De la qualification de « documents administratifs », et donc du droit à la communication, le jugement exclut, parce qu’il considère qu’ils « ne présentent pas un lien suffisamment direct avec les missions de service public exercées par cet organisme privé » qu’est l’Ordre des avocats : 

. un rapport « portant des modifications […] du règlement intérieur du barreau de Paris » ;

. un rapport « sur les cotisations » annuelles ; 

. les « documents relatifs aux déplacements à l’étranger du bâtonnier et des membres du Conseil de l’Ordre » ; 

. le « rapport du Commissaire aux comptes » ; 

. le « rapport d’audit comptable et financier sur les finances de l’Ordre » ; 

. les « documents relatifs à la rémunération versée au bâtonnier et aux avantages en nature qui lui sont accordés à raison de ses fonctions ».

Le juge conclut donc, à leur égard, que « c’est à bon droit que l’Ordre a refusé » de les communiquer.

Documents communicables

Parmi les documents qu’il considère comme se rattachant à la mission de service public de l’Ordre, et donc communicables, le jugement retient, parce que portant « sur l’exercice de la profession d’avocat et sur la défense des droits des avocats » : 

. un rapport relatif « au contrat de prévoyance et contrat de perte de collaboration des avocats libéraux » ; 

. un rapport « relatif à la convention conclue entre l’Ordre des avocats de Paris et les experts comptables » ; 

. un rapport « sur la publication des rapports du Conseil » ; 

. un rapport « sur la publication des travaux du Conseil » ; 

. les « procès-verbaux et comptes rendus » de différentes réunions « relatifs à des questions intéressant l’exercice de la profession d’avocats et présentant un lien suffisamment direct avec les missions de service public exercées par l’Ordre des avocats » ; 

. un rapport « sur la situation économique, l’évolution des taux et les conséquences sur les comptes de l’Ordre et de la CARPA », considéré également comme présentant « également un lien suffisamment direct avec les décisions à caractère financier que l’Ordre est amené à prendre dans le cadre de sa mission de service public » ;

.  les « comptes de résultat comptables de l’Ordre […] ainsi que le rapport de présentation des comptes de l’Ordre » parce qu’ils « permettent de retracer les conditions dans lesquelles l’Ordre exerce la mission de service public qui lui a été confiée ».

En conséquence, est annulée la décision de l’Ordre qui en a refusé la communication. Injonction est adressée, à l’institution, d’en assurer la communication.

Avec d’autres (CE, 3 juin 2020, n° 421615, Actu-Juridique.fr, 16 septembre 2020 ; TA Paris, 5e sect, 2e ch., 15 octobre 2020, n° 1822236/5-2, Actu-Juridique.fr, 26 octobre 2020), la présente décision illustre la manière et les conditions dans lesquelles la juridiction administrative contribue à la garantie du droit « d’accès aux documents administratifs ». Compte tenu des documents exclus de la communication, parce que considérés comme n’entrant pas dans la catégorie des « documents administratifs », faute de « lien suffisamment direct avec la mission de service public » de l’institution, les seules dispositions invoquées n’assurent pas, notamment au profit de ses membres, la pleine transparence du fonctionnement de l’Ordre des avocats.

 

(1) Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, 991 p

 

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