Vie privée : un véritable arsenal juridique de protection
La mise en ligne d’une vidéo privée à caractère sexuel du candidat à la Mairie de Paris LREM Benjamin Griveaux a mis en lumière la vulnérabilité de la vie politique française face à ce type d’exaction. Pourtant, il existe un arsenal juridique très protecteur que nous rappelle Emmanuel Derieux, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.
Nul ne saurait admettre que, au nom d’une curiosité malsaine ou à des fins idéologiques et de luttes partisanes, il soit porté atteinte à l’intimité de la vie privée des responsables politiques, dès lors du moins que leur comportement à cet égard n’a aucune incidence sur leur vie publique, comme de toute autre personne. Contre les indiscrétions et les révélations outrancières et scandaleuses, le plein respect de la vie privée de chacun doit être assuré. Le droit français comporte, à cet égard, toute une série de dispositions qui permettent de sanctionner les auteurs de contenus litigieux ou, à défaut et d’une façon qui doit rester exceptionnelle, de les retirer ou d’en bloquer la diffusion.
Une forte protection de la vie privée
A la protection civile de la vie privée, la plus fréquemment mise en oeuvre, sur le fondement de l’article 9 du code civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa privée » s’ajoutent bien d’autre dispositions, notamment de nature pénale.
Ainsi, l’article 226-1 du Code pénal prévoit qu’« est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : 1) en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2) en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».
L’article 226-2 du même Code pose qu’« est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 ».
Le cas spécifique des paroles et images à caractère sexuel
Mais celui qui nous intéresse plus spécifiquement au regard de la récente actualité, c’est l’article 226-2-1 du code pénal. Introduit par la loi du 7 octobre 2016, il pose que, lorsque les précédents délits «portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende ».
Il ajoute qu’« est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1 ». Quant à l’article 226-8 du Code pénal, il punit « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention ».
Protection des données personnelles
Dans la mesure où les fichiers et réseaux informatiques, qui servent de supports et de moyens de diffusion des enregistrements sonores et audiovisuels en cause, sont constitutifs de traitements de données à caractère personnel, les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, révisée, « relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » s’appliquent.
L’article 1er de la loi énonce que « l’informatique doit être au service de chaque citoyen » et qu’« elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée ». Il évoque « les droits des personnes de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel les concernant ».
L’article 6 de la même loi « interdit de traiter des données à caractère personnel (…) concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne ».
Outre les sanctions administratives que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peut, aux termes de l’article 16 de la loi, prononcer « à l’encontre des responsables de traitements ou des sous-traitants qui ne respectent pas les obligations », et qui sont prévues en ses articles 20 et suivants, la violation de ces dispositions est également susceptible de poursuites et de sanctions pénales déterminées par les articles 226-16 et suivants du Code pénal. L’article 226-19 dispose ainsi que « le fait (…) de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel (…) qui sont relatives (…) à l’orientation sexuelle (…) est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende ».
Protection du secret des correspondances
Diverses dispositions pénales visent à assurer le secret des correspondances.
Aux termes de l’article 226-15 du Code pénal, « le fait, commis de mauvaise foi, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende ». Il y est ajouté qu’« est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l’installation d’appareils de nature à permettre la réalisation de telles interceptions ».
L’article 432-9 du même Code punit de « trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (…) le fait, par (…) un agent d’un exploitant de réseaux ouverts au public de communications électroniques ou d’un fournisseur de services de télécommunications (…) d’ordonner, de commettre ou de faciliter (…) l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l’utilisation ou la divulgation de leur contenu ».
Diffamations et injures
Dans la présente circonstance, au message initial ou aux appréciations et commentaires formulés par certains, pourraient s’appliquer les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relatives aux diffamations et aux injures.
Son article 29 définit la « diffamation » comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne » à laquelle « le fait est imputé » et l’« injure » comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». L’article 35 de la même loi ne permet pas d’apporter la preuve de « la vérité des faits diffamatoires (…) lorsque l’imputation concerne la vie privée ». En l’espèce, la démonstration de la « bonne foi » serait tout autant exclue.
Fausses nouvelles en période électorale
S’agissant des faits actuellement en cause, on peut encore mentionner la disposition de l’article 97 du Code électoral aux termes duquel « ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros ».
Les dispositions existantes pouvant suffire, l’adoption des lois du 22 décembre 2018 « relative à la lutte contre la manipulation de l’information » en période électorale était à peu près inutile et dangereuse pour la liberté de communication en ce qu’elles introduisent la possibilité de mesures supplémentaires de blocage de services de l’internet.
Blocage préventif
Avant toute éventuelle sanction, en application des dispositions susmentionnées, diverses mesures de blocage permettent, de manière préventive, de faire obstacle à la diffusion d’informations ou de contenus. Il convient cependant de ne pas en abuser pour ne pas remettre en cause le principe fondamental de liberté de communication.
En cas d’atteinte au « respect de la vie privée », l’article 9 du Code civil pose que « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée », ces mesures pouvant, « s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
De manière spécifique mais sans doute assez inutile, puisque de telles possibilités sont accordées aux juges par des dispositions de portée générale telles que l’article 835 (ancien article 809) du Code de procédure civile, aux termes de l’article 6.I.8 de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête », aux fournisseurs d’accès et fournisseurs d’hébergement, « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Terrorisme et pedo-pornographie
Pour certaines infractions (provocation et apologie du terrorisme et fixation et diffusion d’images à caractère pédo-pornographique), l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 accorde, à « l’autorité administrative », la possibilité de demander, à l’éditeur d’un service de communication au public en ligne ou à un fournisseur d’hébergement, « de retirer » des contenus contrevenants. Il ajoute que, « en l’absence de retrait de ces contenus dans un délai de vingt-quatre heures, l’autorité administrative peut notifier », aux fournisseurs d’accès, « la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant ». Lesdits fournisseurs d’accès doivent « alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses ». Tout manquement à ces obligations est passible « d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».
Au nom des nécessaires garanties de la liberté de communication, qui ne se satisfait véritablement que de l’intervention des juges, dans le cadre d’un contrôle de caractère répressif ou a posteriori, il n’y a pas lieu d’étendre de tels contrôles et les mesures de blocage susceptibles d’être ainsi ordonnées. La mise en jeu de la responsabilité des personnes désignées à cet effet devrait suffire.
Détermination des responsables
Sur la base de l’article 9 du Code civil et, plus largement, de l’article 1240 (ancien article 1382) du même Code, il est possible d’engager la responsabilité civile de l’auteur de l’atteinte à la vie privée et de la condamner, envers la victime, à réparer les conséquences de sa faute.
S’agissant de la responsabilité pénale pour faits de violation des articles 226-1 et suivants du Code pénal, il faut distinguer entre les fonctions d’éditeurs de services d’une part, et spécifiquement de leurs directeurs de publication et, d’autre part, les prestataires techniques dont la responsabilité peut être recherchée notamment si, informés de l’existence de contenus litigieux, ils n’ont rien fait pour en empêcher la diffusion. Obligation d’intervention que, s’agissant de personnes qui ne sont pas des éditeurs, l’on ne pourrait cependant pas trop étendre sans risques pour la liberté de communication.
En son alinéa 2, l’article 226-2 du Code pénal pose que, lorsque le délit, consistant à « porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu » en violation de la vie privée, « est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ». La même formule figure à l’article 226-8 du même Code, s’agissant de la publication du « montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement ».
Responsabilité en cascade
Il est ainsi renvoyé, s’agissant des publications imprimées, aux dispositions des articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 et, à l’égard des services de communication au public par voie électronique (radio, télévision, services de communication au public en ligne), à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 qui définissent le régime de responsabilité pénale dite « en cascade ».
Aux termes de l’article 42 de la loi de 1881, « seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par voie de la presse, dans l’ordre ci-après, savoir : 1° les directeurs de publications ou éditeurs » ou, dans le cas ou ceux-ci bénéficient de l’immunité parlementaire, « les codirecteurs de la publication ; 2° à leur défaut, les auteurs ; 3° à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4° à défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs ».
L’article 43 de la même loi dispose que, « lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices ». Ceux-ci encourent les mêmes peines.
Communication électronique
Selon l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, au cas où l’une de ces infractions « est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou (…) le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. A défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice. Pourra également être poursuivie comme complice toute personne à laquelle l’article 121-7 du Code pénal sera applicable » (celui-ci pose notamment qu’« est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation »). Il y est cependant posé que, « lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».
Mais aussi toute personne….
Sauf cette réserve, qui rapproche du régime de responsabilité conditionnelle ou limitée des prestataires de services de communication au public en ligne, toute personne qui, comme dans la présente affaire, contribue ou contribuerait, d’une manière ou d’une autre, à la diffusion des contenus litigieux, directement ou par un lien, et même en prétendant vouloir ainsi les dénoncer, pourrait donc voir sa responsabilité engagée.
Faire écho, avec plus ou moins de complaisance, aux déclarations de celui qui prétend être à l’origine de la divulgation et qui, à ce titre, est ou serait donc l’auteur d’un délit, est susceptible de constituer une forme d’apologie de certains actes de ce type et de celui qui les a commis.
Si les auteurs des messages litigieux ne sont pas identifiés ou si, notamment parce que résidant à l’étranger, ils ne peuvent pas être atteints, des moyens de mettre en jeu la responsabilité des prestataires ou intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès et fournisseurs d’hébergement) des services de communication au public en ligne existent cependant. Il en est ainsi même si le Code des postes et des communications électroniques et la loi du 21 juin 2004 déterminent, à leur encontre, un régime de responsabilité conditionnelle ou limitée, notamment s’ils n’ont pas pris les mesures de blocage ou de retrait précédemment mentionnées.
L’article L. 32-3-3 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) pose que « toute personne assurant une activité de transmission de contenus sur un réseau de communications électroniques ou de fourniture d’accès à un réseau de communications électroniques ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans les cas où soit elle est à l’origine de la demande de transmission litigieuse, soit elle sélectionne le destinataire de la transmission, soit elle sélectionne ou modifie les contenus faisant l’objet de la transmission ».
S’agissant des fournisseurs d’hébergement, l’article 6.I.2 et 3 de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, pose, en des termes à peu près identiques, qu’ils ne peuvent pas voir leur responsabilité civile et pénale « engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si (ils) n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le moment où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible ».
Gare aux excès !
Contrairement à ce que souhaitent ou revendiquent certains, on ne peut, sans réelle menace pour la liberté d’expression, attendre davantage de contrôles, susceptibles d’entraîner le blocage ou la suppression de contenus, de la part des prestataires techniques ainsi amenés à exercer une forme de « censure privée ». La garantie de l’intervention d’un juge, avec le respect du contradictoire et des droits de la défense, s’impose en la matière. Dans l’urgence, la procédure de référé le permet. Elle devrait suffire !
C’est aux juges seuls que, en cas de litiges, et essentiellement dans le cadre d’un contrôle de type répressif ou a posteriori, il appartient d’assurer un juste équilibre entre la liberté d’information et le respect de la vie privée. Cependant, le droit ne pouvant pas tout, il revient à chacun d’être tout aussi prudent qu’exigeant dans l’usage que, en tant qu’émetteur ou qu’utilisateur, il fait des médias et de l’internet, de ce qu’il y recherche ou qu’il y diffuse. C’est une question d’éducation, de société, de culture et de civilisation. Il convient de les préserver très précautionneusement.
Référence : AJU64999