Le drone aérien civil : un objet juridique volant identifié
L’usage des drones civils s’est démocratisé, l’objet séduisant à la fois les particuliers et les entreprises. De nouvelles règles de sécurité, entrant en vigueur en 2018, ont récemment été adoptées pour accompagner la croissance du secteur. Aujourd’hui un corpus juridique complet régit l’utilisation de l’espace aérien, la formation des pilotes, l’encadrement des prises de vue aériennes et la responsabilité des opérateurs de drones.
Amazon, UPS, La Poste… la livraison par drones ne relève plus du mythe et intéresse aujourd’hui de nombreux groupes. Depuis quelques années déjà, ils testent différents prototypes permettant d’acheminer des produits à destination du public.
Pour accompagner l’essor de ce secteur, la France a été l’un des premiers pays à se doter d’un cadre réglementaire propre à l’utilisation des « aéronefs circulant sans personne à bord » – telle est la qualification juridique des drones – dans son espace aérien. Dès 2012, deux arrêtés ont été adoptés1 pour réglementer d’une part, la conception et les conditions d’emploi des drones (ci-après « arrêté Conception ») et d’autre part, leur utilisation de l’espace aérien (ci-après « arrêté Utilisation »).
Bien qu’innovante, cette réglementation s’est rapidement révélée insuffisante pour encadrer la filière. Avec la démocratisation de cette technologie, le nombre de drones dans l’espace aérien français a augmenté significativement et les usages – tant professionnels que récréatifs – se sont diversifiés.
Par ailleurs, les actes malveillants commis à l’aide de drones civils et le défaut de maîtrise de quelques appareils ont généré certains risques pour les personnes, les biens et la protection du secret de la défense nationale. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (ci-après « SGDSN ») a ainsi recensé près d’une centaine de survols de sites sensibles (centrales de production nucléaire, aéroports ou bases militaires) entre la fin de l’année 2014 et le début de l’année 20162.
Face à ces enjeux, des discussions sur un nouveau cadre juridique ont été envisagées au niveau européen et national. La Commission européenne travaille sur l’unification du marché européen des drones depuis la fin de l’année 2015. Un nouveau règlement relatif aux règles dans le domaine de l’aviation civile, portant sur l’identification et l’utilisation des drones au sein de l’Union européenne, devrait être prochainement adopté3.
En France, le ministre en charge de l’Aviation civile a adopté le 17 décembre 2015 deux nouveaux arrêtés Conception et Utilisation le 17 décembre 20154. Un an plus tard, le Parlement a voté la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016 renforçant la sécurité de l’usage des drones civils. Pour la première fois, la loi reconnaît l’« aéronef circulant sans personne à bord » comme une notion juridique spécifique appartenant à la catégorie de l’« aéronef », régie par le Code des transports.
Cette loi est présentée comme un compromis entre la volonté de réglementer un secteur en pleine expansion et celle de soutenir son développement économique. En août 2015, on dénombrait 40 constructeurs français de drones, dont plusieurs dominaient le marché européen et mondial5. Depuis, leur nombre n’a cessé de croître.
Aujourd’hui, plusieurs thématiques juridiques intéressent les drones civils. Nous n’évoquerons ici ni le sujet de la conception des drones, ni les problématiques environnementales liées au développement de cette filière. Nous nous concentrerons sur l’utilisation de l’espace aérien (I), la formation des télépilotes (II), l’encadrement des prises de vues aériennes (III) et l’engagement de la responsabilité des fabricants de drones, exploitants et télépilotes (IV).
I – L’utilisation de l’espace aérien par les drones civils
Depuis la loi d’octobre 2016, le drone se caractérise par deux éléments : un engin volant et un « télépilote » contrôlant à distance la trajectoire de l’engin6. La notion est étendue puisqu’elle couvre tout véhicule autonome évoluant dans les airs et partiellement robotisé.
Bien que l’article L. 6111-1 du Code des transports impose une obligation d’immatriculation pour tous les aéronefs, celle-ci ne s’applique en réalité qu’aux avions, hélicoptères et autres engins volants disposant d’un certificat de navigabilité. Cette procédure, longue et complexe, n’est pas adaptée aux drones de petite taille. Le II de l’article L. 6111-1 n’exige ainsi l’immatriculation de ceux-ci que pour les drones dont la masse excède 25 kg7.
Pour les drones pesant moins de 25 kg, des procédures d’identification allégées ont été créées par la loi d’octobre 2016. Un enregistrement en ligne via la plate-forme « Mon espace drone »8 pour les drones pesant plus de 800 g, et pour les autres l’obligation de détenir un dispositif de « signalement lumineux » et de « signalement électronique ou numérique »9. Les décrets d’application de la loi n’ayant pas été adoptés, ces formalités ne sont pas encore applicables.
Une fois le drone identifié, son évolution dans l’espace aérien est soumise au strict respect du Code de l’aviation civile, du Code des transports et des arrêtés Conception et Utilisation.
Certaines zones sont interdites de survol pour des raisons stratégiques et de sécurité (aéroports, centrales nucléaires, terrains militaires ou sites industriels)10. Chaque zone fait l’objet d’un arrêté spécifique. Le non-respect de cette interdiction de survol est sanctionné par une peine d’emprisonnement de 6 mois et de 15 000 € d’amende11. Si ce survol est volontaire, les sanctions sont portées à un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende12. Une peine complémentaire de confiscation de l’appareil peut aussi être prononcée13.
D’autres zones, considérées comme « réglementées ou dangereuses », ne peuvent être survolées par un drone qu’avec l’autorisation du service de l’Information aéronautique ou l’accord du gestionnaire de la zone14.
Le survol de tiers n’est autorisé qu’à partir d’une distance horizontale minimale fixée par l’arrêté Conception de 2015. La direction générale de l’aviation civile considère qu’un « tiers » est une personne étrangère à la mission.
L’article L. 6211-3 du Code des transports régit, de son côté, le survol d’une propriété privée par un aéronef. Il est autorisé dans la mesure où celui-ci n’entrave pas « l’exercice du droit du propriétaire », notamment en cas de vol à très basse altitude ou de manière fréquente.
Aussi, en fonction de l’activité aéronautique envisagée et la taille du drone, des règles de vol spécifiques s’appliquent. Les arrêtés Utilisation et Conception de 2015 distinguent ainsi trois catégories d’activités.
L’« aéromodélisme » d’abord, désigne l’ensemble des usages de drones à vocation de loisirs ou de compétition, appelés « aéromodèles ». Sont exclus de cette catégorie les drones qui transportent des appareils de prise de vues, même si les usages sont récréatifs. La présence d’une caméra enlève en effet au drone sa qualification d’aéromodèle.
Dans le cadre de l’aéromodélisme, le vol ne peut avoir lieu que de jour et le drone doit toujours rester en vue de son télépilote. Le survol de « zones peuplées »15 doit être autorisé par le préfet de département. Les aéromodèles les plus lourds – pesant plus de 25 kg – sont soumis à l’obtention d’une autorisation de vol délivrée par le directeur général de l’aviation civile (DGAC).
L’« expérimentation » ensuite, concerne l’utilisation des drones à des fins expérimentales ou de contrôle. Le survol d’une « zone peuplée » est soumis à une déclaration préalable auprès du préfet de département. Le DGAC doit aussi délivrer une autorisation, appelée « laissez-passer provisoire » pour le vol d’un drone expérimental pesant plus de 25 kg.
Les « activités particulières » enfin, visent toutes les autres utilisations de drones civils, en ce compris les utilisations à des fins commerciales. Comme pour l’activité précédente, le survol d’une « zone peuplée » est soumis à une déclaration préalable auprès du préfet de département.
Dans cette catégorie, l’exploitant de l’aéronef (la personne morale), ou le télépilote s’il n’y a pas d’exploitant, doit déclarer son activité auprès de la direction de la sécurité de l’aviation civile qui constitue l’un des services de la direction générale de l’aviation civile16. Cette déclaration identifie notamment les scénarios de vol envisagés. Elle peut être réalisée en ligne sur « Mon espace drone » et doit être renouvelée tous les 24 mois.
II – La formation du télépilote
Une obligation de formation, renforcée par l’arrêté Conception de 2015, s’impose aux télépilotes qui utilisent leur aéronef dans le cadre d’une « activité particulière ». Un aéromodèle ou un drone à finalité expérimentale peuvent être conduits sans attestation de compétence.
La formation du télépilote est à la fois théorique et pratique. Ce dernier doit a minima détenir un certificat d’aptitude théorique de licence de pilote délivré ou reconnu par le DGAC17. Le certificat le plus fréquemment présenté est celui de pilote d’ULM (ultra léger motorisé), mais peuvent également convenir les brevets de base avion, de pilote privé et de ligne avion ou hélicoptère, de planeur ou de ballon.
En revanche, les vols pour lesquels le drone se situe à plus d’un kilomètre de distance horizontale de son télépilote exigent l’obtention d’une licence d’avion ou d’hélicoptère. Le télépilote doit en plus justifier de 100 heures de pratique en tant que commandant de bord sur avion, hélicoptère ou planeur18.
L’exploitant de l’aéronef est ensuite chargé de délivrer au télépilote une déclaration de niveau de compétence (DNC), attestant que celui-ci a suivi toutes les formations nécessaires à l’utilisation due ou des aéronefs dans le cadre de l’activité envisagée19. L’exploitant peut réaliser lui-même la formation du télépilote, dès lors qu’il a préalablement déclaré cette activité auprès du DGAC20.
Pour les vols des drones de plus de 25 kg, le télépilote doit aussi obtenir une attestation de compétence délivrée par le directeur de la sécurité de l’aviation civile territorialement compétent, après un vol de démonstration dont le programme doit être adapté au type d’aéronef concerné et d’activités envisagées21.
III – L’encadrement des prises de vues aériennes
Inévitable, la question de l’encadrement des prises de vues aériennes concerne à la fois la sécurité nationale et le respect de la vie privée. Les drones offrent en effet de nouvelles formes – toujours plus perfectionnées – de surveillance grâce à des caméras embarquées.
L’article D. 133-10 du Code de l’aviation civile proscrit la prise de vues aériennes sur le territoire national dans des zones « interdites », fixées par l’arrêté du 27 janvier 2017. Cette liste contient principalement des sites militaires ou industriels.
En dehors de ces zones, la prise de vues aériennes est soumise à un régime de déclaration ou d’autorisation auprès du préfet dès lors qu’elles sont utilisées à des fins commerciales ou qu’elles sont réalisées en dehors du spectre visible. Les autorisations sont délivrées pour une durée maximale de 3 ans (1 an à Paris)22. L’absence de déclaration ou d’autorisation, ou la violation de cette dernière, est sanctionnée par une peine d’amende de 1 500 €23.
Depuis l’adoption d’un régime spécifique pour les drones en 2012, quelques sanctions ont été prononcées à l’encontre de télépilotes de drones de loisirs à la suite des prises de vues aériennes non déclarées ou autorisées. Parmi ces premières décisions, on notera notamment celle de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Nancy le 20 mai 201424 qui concernait le survol de la place Stanislas.
Sans préjudice de ces dispositions, la prise de vues est aussi soumise aux dispositions relatives à la protection des données et à la vie privée des individus, notamment celles prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 dite « Informatique et libertés ».
L’atteinte à la vie privée est lourdement sanctionnée par l’article 226-1 du Code pénal d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Elle est caractérisée par la captation, l’enregistrement ou la transmission de paroles prononcées à titre privé ou l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé sans le consentement de la ou des personnes concernées.
Les vues aériennes réalisées par les forces de l’ordre lors du survol de propriétés privées sont réglementées par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Sur le fondement de cet article, le juge judiciaire considère que la captation d’images opérée dans un lieu inaccessible aux regards depuis la voie publique doit être expressément autorisée par une disposition législative25.
IV – Quelle(s) responsabilité(s) en cas d’accident ?
Les différents acteurs de l’utilisation des drones – fabricant, exploitant, télépilote – sont susceptibles d’engager leur responsabilité si l’aéronef est à l’origine d’un préjudice ou d’une infraction.
Le Code des transports ne prévoit pas de régime de responsabilité civile spécifique en cas de dommage causé par un drone. Il prévoit en revanche un régime général de responsabilité pour l’ensemble des aéronefs26.
Deux cas sont distingués. D’une part, le cas de la collision avec un autre aéronef dans lequel la responsabilité du télépilote et de l’exploitant sont engagées selon le régime de la responsabilité délictuelle des articles 1240 et 1242 du Code civil27.
D’autre part, le cas des dommages causés aux biens et personnes « en surface » pour lequel l’article L. 6131-2 du Code des transports prévoit l’engagement de la seule responsabilité de l’exploitant. La force majeure ne semble pas pouvoir être retenue comme une clause d’exonération28.
La pratique du leasing de drones a une incidence sur la responsabilité du propriétaire de l’appareil. L’article L. 6131-4 du Code des transports dispose en effet que « l’exploitant et le propriétaire sont solidairement responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés ».
La responsabilité du fabricant-vendeur du drone sera, elle, engagée sur le fondement du défaut de conformité (CA Montpellier, 3 nov. 2016, n° 15/02160).
La responsabilité pénale du télépilote ou de son exploitant peut aussi être engagée. Outre les cas de survol de zones interdites ou de prise de vue aérienne non autorisée, le télépilote peut aussi être condamné lorsque l’usage de son aéronef expose la vie des tiers à un risque immédiat de mort ou blessures sur le fondement de l’article 223-1 du Code pénal29.
Avec l’adoption de la loi du 24 octobre 2016, le « droit » des drones aériens civils en est au début de sa construction. À la fois outils de surveillance et de services, menaces envers la sûreté nationale et la vie privée, ils constituent un enjeu sociétal majeur. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le SGDSN et la DGAC travaillent ainsi activement, avec les acteurs économiques, pour poursuivre l’encadrement de cette filière et assurer un juste équilibre entre protection de l’espace aérien, vie privée et liberté économique.
Notes de bas de pages
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1.
Les deux arrêtés du 11 avril 2012 visent, notamment, l’article L. 6222-3 du Code des transports qui habilite la direction générale de l’aviation civile à réglementer l’usage de certains aéronefs qui présenteraient des risques pour la sécurité des personnes et des biens.
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2.
Rapp. n° 592 fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat sur la proposition de loi de MM. Xavier Pintat et Jacques Gautier relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, 11 mai 2016, p. 7.
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3.
Prop. de règlement concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne, décembre 2015.
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4.
A., 17 déc. 2015, relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord (NOR : DEVA1528469A) et relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent (NOR : DEVA1528542A).
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5.
Rapp. du gouvernement au Parlement « L’essor des drones aériens civils en France : enjeux et réponses possibles de l’État » fait par le SGDSN, octobre 2015, p. 13-14.
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6.
C. transp., art. L. 6214-1.
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7.
À l’exception de ceux captifs ou tractés au sol, qui sont exemptés de l’obligation d’immatriculation (D. n° 2017-1566, 14 nov. 2017, relatif à l’exemption de l’obligation d’immatriculation pour certaines catégories d’aéronefs).
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8.
Ouverte le 30 août 2017, https://monespacedrone.dsac.aviation-civile.gouv.fr/login.jsp.
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9.
L. n° 2016-1428, 24 oct. 2016, art. 1 et 4, préc.
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10.
C. aviation, art. L. 131-1 et C. aviation, art. R. 131-4 ; Art. 4 de l’arrêté Utilisation de 2015.
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11.
TGI Bayonne, ch. corr., 4 juill. 2014, n° 864-2014 ; TGI Bourges, ch. corr., 12 oct. 2016, EDF c/ M. X et M. Y : Énergies - Env. - Infrastr. 2017, comm. 10.
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12.
C. transp., art. L. 6232-12.
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13.
C. transp., art. L. 6232-13.
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14.
Les zones réglementées et dangereuses, temporaires ou permanentes, sont publiées sur le site du service de l’Information aéronautique : https://www.sia.aviation-civile.gouv.fr/.
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15.
Art. 2 de l’arrêté Conception de 2015 : agglomération figurant sur les cartes aéronautiques en vigueur diffusées par le service d’information aéronautique à l’échelle 1/500 000 ou rassemblement de personnes de plusieurs dizaines de personnes (manifestation sportive, concerts ou sites touristiques en période d’affluence).
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16.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe III, § 3.3.1 et 3.3.3.
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17.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe III, § 3.5.2 et 4.1.
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18.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe II, § 4.2.
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19.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe III, § 4.2.1.
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20.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe III, § 3.3.1 et 3.3.3.
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21.
A. Conception, 17 déc. 2015, annexe III, § 4.3.
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22.
C. transp., art. D. 133-10 et C. transp., art. D. 133-11.
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23.
C. aviation, art. R.151-1-6 et C. pén., art. 131-13-5.
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24.
TGI Nancy, 20 mai 2014, n° 173-2014.
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25.
Réponse du Ministre de la cohésion des territoires à la question écrite n° 01425 de J.-L. Masson, publiée dans le JO Sénat du 11/01/2018 p. 94
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26.
C. transp., art. L. 6100-1 : « tout appareil capable de s’élever ou de circuler dans les airs ».
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27.
C. transp., art. L. 6131-1.
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28.
Cass. com., 2 oct. 2012, n° 11-21362.
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29.
TGI Nancy, ch. corr. 20 mai 2014, n° 173-2014 ; TGI Bayonne, ch. corr., 4 juill. 2014, n° 864-2014.