Affaire Pierre Palmade : où l’on redécouvre que mettre fin à une grossesse n’est pas un homicide

Publié le 17/02/2023
Femme enceinte, foetus
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Le drame qui s’est déroulé récemment en raison de l’accident causé par Pierre Palmade nous permet de revenir sur la notion d’« homicide », qui suppose que le défunt soit bien une personne au sens juridique du terme. Cette affaire concerne le drame vécu par une femme enceinte qui a perdu son futur enfant en raison du choc subi lors de la collision de voitures. Il est toutefois impossible de parler d’homicide car, quand un enfant meurt sans être né vivant et viable, il ne s’agit pas d’une personne. Faire mourir un enfant non encore né n’est pas un homicide mais une grave blessure, en l’occurrence involontaire.

Le vendredi 10 février 2023, l’humoriste Pierre Palmade a été gravement blessé lors d’un accident sur une route départementale de Seine-et-Marne. La collision de trois véhicules a causé des blessures à cinq personnes dont trois se trouvaient dans la même voiture, à savoir une jeune femme, son beau-frère et le fils de six ans de ce dernier ; tous trois s’étant trouvés dans un état grave, comme Pierre Palmade. De plus, la jeune femme de 27 ans était enceinte depuis six mois et l’accident a mis fin à sa grossesse.

Il ressort du dossier que c’est M. Palmade qui est à l’origine de ce drame, ayant percuté de face un véhicule. Il semble être le principal responsable de l’accident car il s’est déporté vers la gauche, ce qui a rendu inévitable l’accrochement avec une voiture arrivant en face. En outre, dans cette affaire, on constate que l’accident a été provoqué car il avait pris de la cocaïne. En effet, il a été testé positivement à cette substance et une perquisition faite le 12 février, à son domicile, par des policiers et gendarmes, a confirmé que cette drogue se trouvait bien chez lui.

Même si son état de santé s’est amélioré, alors qu’il avait été dans un état très grave, il va subir les retombées de ce drame. Responsable de cette collision, il a été mis en garde à vue le 15 février dernier.

Toute la question est néanmoins de savoir si un homicide peut lui être reproché, du fait de la mort de l’enfant, à naître, de la jeune femme sérieusement blessée.

Plusieurs victimes ont été entre la vie et la mort mais c’est uniquement l’enfant à naître qui a péri. Face à cette mort, causée par un accident de la route, et en connaissance de cette tragédie, on peut se demander si Pierre Palmade risque d’être condamné pour homicide, certes involontaire.

Une enquête a été ouverte contre l’acteur pour homicide et blessures involontaires par conducteur sous l’emprise de stupéfiants. Néanmoins, pour parler d’homicide, il faut qu’une personne soit morte. Or, un enfant à naître ne bénéficie pas de la personnalité juridique : ce n’est donc pas une personne qui est victime de l’accident provoqué par Pierre Palmade (I). Par conséquent, si sa responsabilité est bien démontrée, elle ne sera engagée qu’en raison des blessures graves involontaires et non d’un homicide, les conséquences juridiques n’étant pas identiques (II).

I – La qualification juridique de l’enfant à naître

La jeune femme victime de l’accident était enceinte, ce qui n’est pas contesté. Toutefois, ce n’est pas le début de la vie humaine qui lance le démarrage de la notion de « personnalité juridique ». En effet, c’est seulement une fois que l’enfant est né qu’il appartient à la catégorie des personnes, à condition de naître vivant et viable.

Tant que l’enfant n’a pas été mis au monde, il n’accède pas à la personnalité juridique. Partant, il ne peut y avoir ni acte de naissance, ni, par la suite, acte de décès.

La situation de l’enfant à naître n’est donc nullement comparable à celle d’un nouveau-né qui décéderait en raison des blessures causées par un accident de voiture. C’est seulement lorsque l’enfant est né vivant et viable qu’il entre dans la catégorie des personnes.

Si avoir perdu son fœtus en raison des problèmes rencontrés sur la route est un événement terrible, la future mère n’a pas perdu un enfant au sens juridique du terme, de même que si elle avait mis au monde un enfant mort-né. Dans ces deux cas, il n’accède pas à la personnalité juridique et, comme aucune personne n’est morte, il n’est pas question d’homicide mais uniquement des conséquences de blessures graves pour la mère. On n’a pas le droit de la blesser pour qu’elle perde l’enfant à naître, même s’il ne s’agit pas encore d’un sujet de droit, le fœtus devant être protégé. Faire tomber une femme pour qu’il soit mis fin à sa grossesse entraînerait des conséquences importantes car ce serait une agression volontaire. Il en résulte que des blessures involontaires peuvent aussi entraîner des conséquences juridiques, même si leur auteur ne peut pas être puni pour homicide, y compris involontaire.

Dans le Code pénal, les atteintes à la vie de la personne entraînent effectivement des sanctions mais l’article 221-6 précise que c’est la mort d’autrui qui constitue un homicide involontaire (C. pén., art. 221-6). Il doit donc s’agir d’un être vivant reconnu en tant que personne et non pas d’un enfant à naître, décédé dans le corps de sa mère. Précisément, tant que l’enfant attendu par sa famille n’est pas mis au monde, il n’est pas une personne distincte du corps de sa mère.

II – L’impossibilité de recourir à la notion d’« homicide involontaire » pour la perte d’un enfant non encore né

Il est question d’homicide involontaire lorsque l’on cause la mort de quelqu’un sans le vouloir. Certes, un tel comportement ne constitue pas un crime, en raison de l’absence de volonté de mettre la victime à mort, mais il est punissable et entre dans la catégorie des délits. Tel peut être le cas, comme en l’espèce, quand des personnes sont victimes d’un accident de la route.

En pareil cas, le conducteur, auteur d’un homicide involontaire, peut encourir jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Il est possible d’aller bien au-delà, à savoir 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende, quand des circonstances aggravantes sont relevées, notamment, comme dans cette affaire, la consommation de drogue.

Néanmoins, l’affaire concernant Pierre Palmade ne va pas se terminer ainsi car, bien que le bébé soit effectivement mort en raison de la collision, il était encore dans le ventre de sa mère : elle aurait donc perdu une partie de son corps mais non une personne de sa famille.

Il ne peut pas être question d’homicide quand ce n’est pas une personne qui a péri. Or, le fœtus n’est pas une personne, au sens juridique du terme. Dès lors, une fausse couche causée par un tiers ne peut pas être considérée comme un homicide involontaire. Toutefois, Pierre Palmade pourrait être sanctionné pour les blessures involontaires qu’il a causées.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de noter que l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui ne peut pas être étendue à un enfant à naître. Dans une affaire jugée en 1999, la Cour de cassation avait refusé d’étendre le délit d’homicide involontaire au cas de l’enfant à naître, au motif que la loi pénale est d’interprétation stricte1. Par ailleurs, en 20012, un automobiliste ivre avait causé un accident de la route, blessant une femme enceinte de six mois, le fœtus n’y survivant pas. La Cour de cassation avait refusé en l’espèce que l’on retienne la notion d’« homicide involontaire d’autrui ». Des circonstances identiques avaient été relevées dans une affaire jugée en 2015, une femme enceinte ayant été fauchée par un conducteur automobile sous emprise alcoolique, provoquant le décès in utero de cet enfant3. Il en irait autrement si l’enfant était né, vivant mais avait succombé rapidement aux blessures causées par un accident automobile ou autre. En pareil cas, pour les juges, il serait possible alors de retenir la notion d’« homicide »4. Tel a bien été le cas dans une autre affaire, la femme enceinte victime de l’accident ayant accouché d’un petit garçon décédé une heure après sa naissance en raison des « lésions vitales irréversibles subies au moment du choc »5. Des juges du fond ont toutefois déjà condamné des automobilistes quand ces derniers avaient renversé une femme enceinte, mettant brutalement un terme à sa gestation. Leur analyse n’est toutefois pas correcte puisque seule la mort d’une personne au sens juridique du terme conduit à parler d’homicide. Or, un futur enfant n’entre pas encore dans cette catégorie6.

Il en irait autrement si la femme enceinte blessée dans un accident de la circulation avait mis au monde cet enfant, lequel serait mort aussitôt subissant les conséquences de la collision. En effet, un enfant né vivant et viable est bien une personne et, s’il décède immédiatement des suites de l’accident, c’est précisément une personne qui décède. Néanmoins, tant que les circonstances précises de la perte du fœtus ne sont pas explicitées, il est incorrect de parler d’homicide. Il semble qu’une autopsie pourrait être programmée pour vérifier si l’enfant était vivant quand on l’a extrait du corps de sa mère, notamment s’il respirait et si la grossesse était ou non à terme. C’est sans doute pour ouvrir largement la procédure que la qualification d’« homicide involontaire » a été retenue mais elle sera écartée en fonction des résultats, si l’enfant n’est pas né vivant et viable ou s’il est né vivant sans être viable.

Le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue à l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant conçu, dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus.

Cette affaire, qui fait beaucoup parler d’elle dans les médias, conduit à rappeler les différences entre les enfants à naître et les enfants nés, même si ceux-ci meurent aussitôt. Porter un enfant signifie bien qu’il s’agit d’un être vivant mais, tant que la future mère n’a pas accouché ou qu’une césarienne n’a pas été programmée, il ne s’agit pas d’une personne au sens juridique du terme. Il faut effectivement être né vivant et viable pour que l’on puisse évoquer l’aptitude à être titulaire de droits et de devoirs. Il ne saurait donc être question d’homicide sur un fœtus mais de blessures graves à l’égard de la femme enceinte qui souffre de la perte de son fœtus due au choc subi lors de l’accident. De fait, il n’y aurait donc pas lieu de punir pénalement celui par la faute duquel l’enfant conçu est mort, en invoquant un homicide, car ce dernier est dépourvu de personnalité.

Il est vrai que l’on doit tenir compte des droits de l’enfant conçu sur la base de l’adage «infans conceptus pro nato habetur» mais cela ne change rien au cas où l’enfant n’est pas né. En effet, cela permet de consolider ses droits mais seulement quand il naît vivant et viable, ce qui lui donnerait notamment la possibilité d’hériter d’un proche. En revanche, cela ne change rien à l’exclusion de la notion d’« homicide ».

Néanmoins, si l’enquête et les expertises médicales montrent que l’enfant a bien respiré avant de mourir, on pourrait le considérer comme une personne et retenir la notion d’« homicide involontaire », à condition qu’il ait été vivant et viable. En revanche, s’il est mort-né ou s’il n’était pas viable – ce qui est probable car l’heure de sa naissance n’était pas encore proche, sa mère n’étant alors enceinte que de six mois –, Pierre Palmade ne pourra pas être puni pour homicide involontaire. Tel aurait cependant pu être le cas si la femme en cours de gestation n’avait pas survécu à ce drame.

À lire également

Affaire Palmade : et si l’on personnifiait l’enfant conçu ?, par Xavier Labbée, professeur des universités, avocat au barreau de Lille

En droit pénal le fœtus n’est pas une personne, par Brigitte Daille-Duclos, docteur en droit

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 30 juin 1999, n° 97-82351 : D. 1999, p. 710, note D. Vigneau ; RDSS 2000, p. 88, note G. Mémeteau et M. Harichaux ; Defrénois 15 oct. 1999, art. 37047, p. 1048, note P. Malaurie ; LPA 17 nov. 1999, p. 15, note F. Debove. Adde I. Corpart, « Décès périnatal et qualification juridique du cadavre », JCP G 2005, I 171.
  • 2.
    Cass. ass. plén., 29 juin 2001, n° 99-85973 : RJPF 2001/10, n° 42, note G. Touati ; RTD civ. 2001, p. 560, note J. Hauser ; RDSS 2001, p. 829, note A. Terrasson de Fougères.
  • 3.
    CA Pau, ch. corr., 5 févr. 2015, n° 14/00480 : J. Gallois, « Refus d’extension de l’homicide involontaire au cas de l’enfant à naître : la jurisprudence persiste », Dalloz actualité, 27 févr. 2015 ; D. 2015, p. 378, note A. Bertrand-Mirkovic ; RJPF 2015/4, n° 10, note I. Corpart.
  • 4.
    Cass. crim., 25 juin 2002, n° 00-81359 : D. 2002, p. 3099, note J. Pradel ; JCP G 2002, II 10155, note M.-L. Rassat ; Dr. pén. 2002, n° 93, obs. M. Véron ; Actu-juridique.fr 10 sept. 2002, n° AJU007x5, note B. Daille-Duclos.
  • 5.
    Cass. crim., 2 déc. 2003, n° 03-82344 : D. 2004, p. 449, note J. Pradel ; JAC 2004, n° 44, note I. Corpart.
  • 6.
    T. corr. Tarbes, 4 févr. 2014, n° 120210000029 : Dr. famille 2014, comm. 127, obs. A. Bertrand-Mirkovic – v. aussi CA Reims, 3 févr. 2000 : Dr. pén. 2000, p. 10, n° 10, note M. Veron ; JCP G 2000, I, p. 253, n° 19, note C. Byk ; JCP G 2000, II 20031, obs. G. Faure.
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