Audience correctionnelle interminable à Créteil : « le tribunal est surchargé Madame, c’est la faute à personne ! »

Publié le 19/01/2021

Chaque jour, des « mules » porteuses de cocaïne sont interpelées à Orly, déférées, puis jugées devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de Créteil. Parmi tant d’autres, les cas misérables de deux femmes sont examinés le 15 janvier, au cours d’une audience interminable.

Audience correctionnelle interminable à Créteil : "le tribunal est surchargé Madame, c’est la faute à personne !"
Palais de Justice de Créteil (Photo : ©P. Anquetin)

Elles pourraient être sœurs, avec le même embonpoint, l’une en sweat-shirt blanc et l’autre noir. Elles ont fait le même voyage de Cayenne à Orly, l’une en décembre, l’autre en janvier, avec le même chargement dans les boyaux : elles avaient avalé avant le décollage des ovules de cocaïne destinée à la revente en France.

La dette et la menace

Il est 14 heures ce vendredi 15 janvier quand la première, Lidya apparaît dans le box de la 12echambre du tribunal de Créteil. Elle est née en 1991 à Saint-Laurent du Maroni. Elle est arrivée en métropole à 20 ans, s’est installée à Poitiers où elle a eu trois enfants d’un premier conjoint. L’enquête sociale ne dit rien de la suite. Sans doute une séparation puisque les enfants sont emmenés à Cayenne et Lidya multiplie alors les allers-retours avec la métropole. En 2018, elle est interpellée à Orly, porteuse de trois ovules de huit grammes. Elle explique aux policiers qu’elle a accepté ce transport pour rembourser une dette de 700 €.

Le 6 décembre 2020, elle est à nouveau interpellée, après avoir cette fois avalé 860 grammes de cocaïne en ovules. Aujourd’hui, sa dette auprès des trafiquants n’est plus de 700 € mais de… 7 000 €.

« — Ils ont menacé de me tuer pour rembourser la dette. C’est par peur pour ma vie et celle de mes enfants que j’ai pris cette décision.

— Où sont vos enfants ? demande la présidente, Mme Rinaldis.

— Ils sont à Cayenne, avec mon nouveau compagnon.

— Vous savez le danger que vous courez ? De mourir. Et vous risquez dix ans de prison. Vous avez déjà pris l’avion, vous avez fait de la détention provisoire…

— Je ne recommencerai pas ; je fais du mal à mes enfants. »

Le procureur se désole : « Rien ne bouge. J’espère qu’il n’y aura pas de troisième fois car je me mettrai vraiment en colère.  Elle a quand même pris la décision d’aller chercher de la drogue au Suriname pour « faire de l’argent », c’est ce qu’elle dit dans sa première déposition. » Il requiert deux ans de prison dont six mois avec sursis.

Le défenseur, Maître Gabriel Old, retrace le trafic : « Tant qu’il n’y aura pas un système de portique au départ de Cayenne, votre juridiction sera submergée par ces cas de mules. Les Pays-Bas l’ont exigé au Suriname et le flux s’est tari. » Mais le trafic s’est alors déporté vers la Guyane et la France, explique-t-il. Sa cliente est prisonnière « d’un système mafieux » reposant sur une dette galopante et sur la menace envers ses enfants. « Mettons les enfants à l’abri et elle ne recommencera plus », espère Me Old qui produit une lettre du compagnon s’engageant à ramener les enfants en France, et une attestation d’hébergement à Limoge par « le frère » de Lydia. « Éloignée du Suriname, elle sera elle-même hors de danger. » L’avocat suggère une peine mixte : cinq mois fermes aménageables et de sursis.

Le délibéré, sévère, tombe sept heures plus tard : trois ans fermes et maintien en détention. Suffira-t-il seulement à effacer la dette ?

Difficultés de compréhension

Il est 22 heures, magistrats et avocats sont éprouvés par cette audience interminable. La  seconde femme accusée d’être une mule, Célia D., est amenée dans le box. Elle encourt une peine encore plus lourde car elle a été interpelée le 10 janvier avec 942 grammes de cocaïne dans le ventre.

Avant même que la présidente aborde l’état-civil, une jeune avocate de la permanence pénale demande la parole : « Madame la présidente, dans ce dossier nous sollicitons une expertise psychiatrique. Célia D. rencontre des difficultés de compréhension évidentes. La MDPH* l’a reconnue handicapée à 85 %. Elle a eu d’importantes difficultés scolaires. Elle a appris à lire et à écrire par elle-même à l’âge de 20 ans. Sa mère souffre des mêmes difficultés… »

La présidente se braque immédiatement. « Est-ce qu’on peut quand même aborder la personnalité, pour que je me rende compte par moi-même ? » Elle donne la parole au procureur. Sans la moindre hésitation, il s’appose à la demande : « Aucune difficulté n’est apparue au cours de la garde à vue. Des questions ont été posées, les réponses sont fluides. Une expertise n’est pas nécessaire. »

La présidente s’apprête à poursuivre les débats. « Je vais mener l’instruction. Vous me dites qu’elle a des difficultés, mais il n’y a aucun élément là-dessus, rien ne ressort de tout ça. »

Depuis le banc des parties civiles, une autre avocate se porte à la rescousse de la première. « Cela signifie un rejet de la demande ! On sait très bien que dans ces dossiers concernant des mules aucune enquête n’est menée ! Madame Célia D. n’en dit rien par elle-même, mais ça apparaît dans son dossier administratif et quand on s’entretient avec elle. »

Devant la fronde, la présidente cède à contre-cœur. « Bon ! Eh bien je suspens l’audience pour mise en délibéré… »

Pendant le quart d’heure de délibération, une mère s’impatiente dans le public. Son fils doit être jugé pour un braquage.

« — Qu’est-ce qu’il y a Madame ? » demande une jeune policière depuis le box.

— Je suis là depuis ce matin. Je travaille, je fais des ménages…

— Le problème c’est que le tribunal est surchargé Madame, c’est la faute à personne ! »

La présidente reparaît, toujours aussi remontée, et proteste encore :

« — J’ai posé la question à Madame D. de savoir si elle voulait être jugée tout de suite, elle a répondu…

— C’est la loi ! s’écrit l’avocate. Je dois déposer ma demande avant l’examen des faits.

— Je peux quand même donner mon avis ! «

Après son avis, elle rend la décision du tribunal qui ordonne une expertise psychiatrique et psychologique et renvoie l’affaire au 24 février. Un discret triomphe s’exprime du côté des avocates. Mais une nouvelle question vient à être tranchée : que faire de Célia D. ? Le procureur requiert un maintien en détention, l’avocate suggère une solution d’hébergement. La présidente laisse le dernier mot à Célia D. : « Comment ? Je ne comprends pas… »

Elle sera maintenue en détention. Malgré l’heure tardive, la défense est parvenue à se faire entendre.

Il est 22 h 30 et deux affaires, dont le braquage, doivent encore être examinées…

*Maison départementale des personnes handicapée

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