Dans un livre choc, l’avocate Clarisse Serre révèle les dessous du statut de repenti

Publié le 08/01/2025

« Toute vérité est-elle bonne à dire ? » À l’épigraphe du nouveau livre de Me Clarisse Serre, après avoir lu ce témoignage terrifiant, la réponse est non. Dans L’Avocate et le Repenti à paraître le 23 janvier, la pénaliste de Bobigny (Seine-Saint-Denis) raconte l’enfer qu’ils ont vécu, elle et « la balance », dans de graves affaires judiciaires. En cause, les impérities du système de protection des témoins et le pouvoir, exorbitant, de ceux qui en assurent la bonne exécution. Ou pas.

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Me Clarisse Serre publie son deuxième livre chez Sonatine Éditions (1). La Lionne du barreau, titre du premier, renforce ici sa réputation de frondeuse, de guerrière au franc-parler. D’un style efficace emprunté aux polars, celle qui figure au classement du magazine GQ des 30 plus puissants pénalistes révèle à coups de griffes l’envers du décor méconnu dans lequel évolue un repenti. Censément soutenu par la loi du 9 mars 2004 et l’article 132-78 du Code pénal, par le titre 21 du Code de procédure pénale relatif à la protection des témoins, et par le décret du 17 mars 2014 qui en précise les modalités d’application (dix ans plus tard !) confiées à la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), le repenti s’avère en fait très isolé face aux écueils de sa nouvelle vie. Et parfois même lâché en rase campagne par la CNPR ayant pouvoir de vie ou de mort sur qui a changé d’identité, en l’excluant du programme sans avoir en s’en justifier.

C’est ce que l’on découvre, effaré, dans cet ouvrage. Me Serre y témoigne des affres qu’ensemble ils ont subies. Elle, l’avocate appelée en mars 2018 ; lui, l’homme qui a « parlé », confié au Service interministériel d’assistance technique (SIAT). Des policiers qui construisent une légende, fabriquent faux papiers, faux CV, faux bulletins de salaire, et veillent sur une famille. Jusqu’à ce qu’ils s’en lavent les mains…

« Confrontée à l’incompétence, à la lâcheté, aux menaces »

Dans ce livre qui se lit d’une traite, Me Serre, tenue au secret professionnel et toujours discrète, ne nomme personne. Nous respecterons ce choix bien qu’il soit facile d’identifier les personnages des deux affaires criminelles auxquelles son client a été mêlé. Elle-même n’en fait pas mystère : il s’agit des assassinats à l’aéroport de Bastia-Poretta jugés en 2024 et de l’évasion au centre pénitentiaire de Réau dont le procès s’est tenu en 2023. Cela suffit pour comprendre le danger qu’encourent le repenti, sa femme et ses trois enfants.

« En l’état actuel des textes et au regard de mon expérience, j’affirme sans hésitation [qu’]il faudrait être fou pour collaborer » avec les enquêteurs et la justice. « Vraiment, je le déconseille à quiconque », écrit la pénaliste. Si son opinion est à ce point tranchée, c’est parce que l’histoire de son repenti dépasse la fiction. Après six années à ses côtés, elle admet avoir « craqué », être « passée par tous les sentiments », avoir « craint pour [sa] propre vie » et avoir été « confrontée à l’incompétence, à la lâcheté, aux menaces et à la solitude » : « Ce cas à part a eu énormément d’impact sur moi. […] Je suis devenue encore plus suspicieuse, méfiante et combative. »

Ce « cas à part » pourrait inspirer le législateur appelé à améliorer le statut des repentis/témoins protégés, encouragé par les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), auteurs du rapport sur le narcotrafic en France rendu le 14 mai 2024 (voir notre article du 22 mai ici). Les ministres Bruno Retailleau (Intérieur) et Gérald Darmanin (Justice) veulent que leur travail soit suivi d’effets en 2025.

Les trois enfants doivent « apprendre à mentir » sur leur identité

 Lorsque Me Serre est appelée à son cabinet en mars 2018, son interlocuteur anonyme propose un rendez-vous secret. « On » viendra la chercher à une sortie de métro, il faudra suivre un homme à oreillettes. Son « impression d’être dans un film » a « un côté excitant » : « J’allais découvrir un univers complètement inconnu et mystérieux, celui de la protection d’identité. »

Dans un espace de coworking à Paris, elle rencontre le repenti : un homme cultivé, ex-chef de cabinet, spécialiste du Moyen-Orient. En garde à vue à partir du 18 décembre 2017 pour association de malfaiteurs, entendu huit fois, il a « balancé » tout ce qu’il savait des projets criminels de « l’Autre », ainsi désigné dans le livre, qui travaille sous bracelet électronique dans un hôtel à La Baule. Durant dix mois, ils ont entretenu une relation amicale – les épouses aussi se sont liées. Le repenti a tout entendu, tout vu. Pire, il a rendu des services et s’est fait prêter 75 000 €. Le piège s’est refermé sur lui quand il n’a pas pu rembourser.

Alors ? Parler ou aller en prison ? Il choisit de se mettre à table. Le double assassinat à Bastia-Poretta, d’abord. « Ces aveux font l’effet d’une bombe » et convainquent le juge d’instruction de saisir la CNPR pour le faire entrer dans le programme de protection des témoins, sous la tutelle du SIAT. Les gardes à vue du repenti et de son épouse sont levées. Le 29 mars 2018, par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris, la famille change d’identité. Dont trois mineurs « embarqués dans la tourmente », auxquels il faut « apprendre à mentir ». À supporter les changements d’école et de régions. « Un père qui devient une balance est-il encore un héros ? » Quel dilemme ! À l’autrice, qui ne juge pas, il apparaît certain qu’en parlant, « il n’avait pas en tête les conséquences » : « Inventer 20 ans de vie construite de toutes pièces » et « faire traverser l’épreuve à sa femme et ses enfants. »

Surtout que, bientôt, la machine va se gripper et la catastrophe, survenir.

L’exclusion du programme par la CNPR, une première en France

 Le 15 avril 2021, « à l’unanimité », la CNPR rend un avis d’exclusion : les cinq membres de la famille n’auront plus droit à l’assistance du SIAT ni à leur nom d’emprunt ou à leur situation financée par l’Agrasc, l’Agence de recouvrement des avoirs criminels. La CNPR n’entend ni le repenti ni son avocate qui apprend l’exclusion « par la presse » ! Dès lors, Clarisse Serre ne retient plus ses coups contre cette Commission de huit personnes, dont quatre magistrats.

Ces derniers n’ont même pas avisé leurs confrères chargés de l’instruction des affaires criminelles où ce collaborateur de justice joue un rôle capital. « Là, je me suis retrouvée vraiment seule. Seule avec lui », déplore-t-elle. D’autant plus que, contrevenant à la loi sur la protection des témoins, un journaliste du Monde a dévoilé le contenu des aveux de X. et des éléments de biographie permettant son identification. Un délit… classé sans suite ! Va-t-il maintenant écrire qu’il ne bénéficie plus de protection ?

Me Serre va se battre contre la CNPR jusqu’en Cour de cassation. Le 2 mars 2022, la 1ère chambre civile rend un arrêt exemplaire, pour deux raisons : il est inattaquable et lève l’ambiguïté de l’article 23 du décret de mars 2014 sur la possibilité de retirer un nom d’emprunt ; il rappelle à la commission administrative que le juge, indépendant, est seul habilité en la matière. « Il n’y a pas lieu de mettre fin à l’autorisation d’usage de l’identité d’emprunt accordée aux consorts en raison du grave danger auquel ils seraient alors exposés », écrit la Cour de cassation. Une première.

Et une victoire, après une année à trembler sous les menaces de « l’Autre » qui promet de « couper la tête » de X. « avec une scie rouillée ». Un policier du SIAT répondra à l’avocate indignée que son client « n’avait qu’à mieux choisir ses fréquentations ».

Au procès de l’évasion de Réau, « la trahison » de ses confrères

 D’autres incidents jalonneront les années suivantes, notamment lorsque X. comparaîtra en 2023 au procès des 12 accusés de l’évasion de la prison de Réau. Pour protéger son client du public et des médias, Clarisse Serre avait demandé et obtenu l’application des articles 706-63-1 et 706-63-2 du CPP. Ainsi, le repenti déposait derrière un paravent. « Il régnait un climat d’intimidation que je n’avais jamais connu jusqu’alors », se souvient-elle – ses 28 ans de barre l’ont pourtant blindée. Des invectives à son encontre et le comportement de la défense obligeront la présidente de la cour d’assises à saisir la bâtonnière de Paris, et les gendarmes à l’escorter.

L’avocate de Bobigny reste durablement marquée par « la trahison » de la défense, ses propres confrères, par la « surenchère d’agressivité, de prises à partie, d’insultes ». Elle les connaissait tous : ils se reconnaîtront. « Je suis tombée de haut. » Puis, par un hasard qu’on n’imagine qu’au cinéma, un dysfonctionnement laisse apparaître le visage de X. sur les écrans disposés parmi le public, normalement éteints au moment où il déposait. L’enquête administrative est « toujours en cours ». On croit rêver.

L’avocate décrit d’autres situations ubuesques qui ont failli lui faire lâcher son protégé. Son document est de bout en bout consternant. Mais, pour ne pas conclure de façon négative, elle utilise son expérience pour préconiser des réformes simples, sans obliger l’État à trouver des moyens financiers, et développe ce qui se pratique ailleurs, notamment en Italie. Précurseur, le pays a créé le statut de pentito dans les années 1970 : on y comptait déjà 1 200 collaborateurs de justice en 2013 – contre 60 en France en 2024 ! Ses « appels au changement » rejoignent les conclusions du rapport sénatorial. Elle souhaite enfin que les repentis ou témoins protégés bénéficient de l’assistance d’un avocat, que le principe du contradictoire soit respecté par la CNPR. C’est bien le moins, en démocratie. Sinon, « qui aurait envie de parler ? » s’interroge-t-elle. À la lumière de ses révélations, personne.

 

(1) L’Avocate et le Repenti, par Clarisse Serre, Sonatine Éditions, 208 pages, 20 €. Chez le même éditeur en 2022 : La Lionne du barreau, 192 pages, 20 €.

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