Émeutes de juillet : « la mobilisation massive des forces de l’ordre a porté ses fruits »

Publié le 19/09/2023

En matière de violences urbaines, depuis dix-huit ans la référence restait les émeutes de novembre 2005 ; or, elles viennent d’être dépassées en intensité par celles de juillet dernier. Si la continuité entre les deux événements est évidente, des éléments nouveaux sont apparus qui nécessitent une réflexion de fond sur le nouveau paradigme auxquels nous sommes confrontés. Les explications de Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire. 

Police
Gérard Bottino/AdobeStock

Les émeutes de 2005 faisaient suite au décès, le 27 octobre, à Clichy-sous-Bois (Seine Saint-Denis) de deux jeunes, Zyad Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) qui, afin d’échapper à un contrôle de police, s’étaient réfugiés dans l’enceinte d’un poste électrique où ils avaient été électrocutés. Les deux policiers de la BAC intervenants étaient mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » et finalement relaxés le 18 mai 2015 (relaxe confirmée en appel le 24 juin 2016).

Les émeutes de juillet 2023 ont fait suite à la mort de Nahel Merzouk, âgé de 17 ans, abattu le 27 juin par le tir d’un motard de la police alors qu’il tentait de fuir un contrôle. Le 25 août 2023, l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) et l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) ont rendu leur rapport sur « les profils et motivations des délinquants interpellés à l’occasion de [cet] épisode de violences urbaines« , qui permet, une fois l’actualité et les polémiques immédiates dépassées, de prendre connaissance de chiffres, témoignages et analyses particulièrement intéressantes.

Des facteurs constants

Dans les deux cas, on retrouve des facteurs qui sont restés constants. D’abord, le déclenchement initial du drame : un contrôle de police qui vire au drame, les victimes étant des adolescents issus de l’immigration et demeurant dans des cités sensibles de la couronne parisienne.

En 2005 comme en 2023, on constate, aussi, l’absence de motivations politiques (entendues dans le sens large du terme) des émeutiers. Dans son étude de 2005, le Conseil National des Villes écrivait que les émeutiers semblaient avoir agi en fonction de critères sans lien avec le besoin d’une plus grande justice sociale : émulation et rivalité entre cités, aspect ludique de la révolte, volonté de marquer son territoire et défi à l’autorité, l’ensemble doublé d’une hostilité systématique face à l’État (notamment les policiers et les sapeurs-pompiers). À ces éléments, s’est ajouté, en 2023, un marqueur devenu particulièrement fort : des émeutes de prédation, avec le pillage systématique des magasins.

Le rapport de l’IGA et de l’IGS de 2023 constate que « les motivations idéologiques ou politiques [ne sont exprimées que] dans 0,3% des cas » ; même l’émotion suscitée par le décès du jeune Nahel n’est « invoquée [que] dans moins de 8 % des cas, et plutôt par les auteurs résidant à Nanterre ou en région parisienne« . Il insiste sur « l’influence du groupe », « l’opportunisme », « la curiosité » ou encore « la recherche d’adrénaline », facteurs mis en avant par les mis en cause eux-mêmes lors de leurs interrogatoires ou lors de leur comparution devant les tribunaux. Pourquoi ne pas se donner la peine de les écouter, au lieu de leur attribuer des propos sur l’injustice sociale qu’ils n’ont jamais tenu ?

Pour ce qui concerne le profil de ces émeutiers, en 2005 comme en 2023, l’immense majorité est constituée de jeunes âgés de 18 à 24 ans, de nationalité française, issus de l’immigration (« principalement du Maghreb ou de l’Afrique sub-saharienne » précise la Préfecture de Police), de sexe masculin, célibataires, à 36% inactifs et, à 67%, ne disposant que d’un diplôme inférieur au bac ou d’aucun diplôme. Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmés, dans la grande majorité des cas il ne s’agit pas de délinquants. Il faut, aussi, faire son deuil de certains propos qu’on a entendu trop souvent, et qui sont du domaine du pur fantasme : non, les trafiquants de drogue ne sont pas à l’origine de ces émeutes. En capitalistes purs et durs qu’ils sont, leur objectif est, tout simplement, de gagner beaucoup d’argent, sans trop se fatiguer, ce qui est incompatible avec les « révoltes », quelles qu’elles soient.

La nouveauté principale ? Une ampleur géographique plus importante

Ce qui a changé en 2023 par rapport à 2005, c’est l’ampleur géographique du phénomène (beaucoup plus importante), les dégâts provoqués (inférieurs) et la durée (beaucoup plus courte).

Si en 2005, 274 communes « seulement » avaient été concernées, leur nombre a atteint les 516 en 2023. D’une manière générale, en 2023 les troubles ont dépassé le cadre traditionnel des cités dites « sensibles » de banlieue, s’étendant aux centres villes et, même, aux zones semi-rurales ou rurales (15 % des infractions ayant été commises dans des agglomérations de moins de 15 000 habitants).

Pour ce qui concerne les dégâts, ils ont été bien moins importants cette année. En 2005, 10 346 véhicules avaient été incendiés, contre 5 892 en 2023 ; 1 105 bâtiments avaient été dégradés en 2005, contre 307 en 2023. Il est plus difficile de comptabiliser les décès : en 2005 on en avait dénombré cinq (en dehors des deux jeunes électrocutés), imputables plus particulièrement à divers incendies volontaires ; parmi eux, une femme handicapée physique, brûlée à Sevran (Seine Saint-Denis), qui n’avait pas eu le temps de quitter son bus en flammes. Selon certains chercheurs, seul ce dernier décès serait vraiment en lien avec les émeutes. Comme en 2023 avec l’employé municipal abattu en Guyane par un tir d’arme à feu destiné aux forces de l’ordre, ces décès sont passés quasiment inaperçus : il ne s’agit pas de « cadavres exquis », ils n’entrent donc pas en compte dans cette comptabilité macabre.

Autre changement significatif, la riposte de l’autorité. Si, en 2005, l’état d’urgence avait été déclaré, dix-huit ans plus tard le gouvernement n’a pas souhaité recourir à cette mesure d’exception. Pour autant, le nombre de policiers et de gendarmes mobilisés a été bien plus important : 11 700 à son maximum en 2005, contre 45 000 en 2023. Bilan : 5 643 gardes à vue en 2005, tandis qu’en 2023, sur une période beaucoup bien plus courte, on a atteint les 3 625. Confrontés à ce contentieux de masse, les tribunaux ont opté pour la sévérité : si en 2005, 400 peines de prison ferme avaient été prononcées, en 2023 on a atteint les 742.

Cette sévérité a-t-elle été payante ? Au-delà de toute considération politique, on est bien obligé de reconnaître que oui, car en dépit d’une extension beaucoup plus importante des émeutes et du soutien à peine voilé d’une partie de la classe politique, non seulement les dégâts ont été moins importants mais, surtout, la durée des troubles a été beaucoup plus courte : une semaine seulement en 2023, contre trois semaines et demi en 2005.

Conclusions 

*En 2005 comme en 2023, les émeutes ont été présentées par divers commentateurs comme une révolte légitime contre une politique systématique de stigmatisation par les pouvoirs publics des minorités dites « visibles ». La responsabilité de la police a été considérée, d’emblée, comme définitivement acquise par la vox populi, selon un raisonnement désormais bien enraciné et mis en avant aussi par une partie de la classe politique : si les policiers sont condamnés, cela démontre que la police est systématiquement raciste et violente, tandis que s’ils sont innocentés, c’est que la Justice est complice. Or, les émeutiers ne réclament pas, ne veulent pas d’une société plus « juste », mais uniquement se défouler par les dégradations et les mises à sacs. Il n’y aura donc pas de solution « politique » aux émeutes. 

*Démonstration a été faite que, face aux émeutes, la déclaration d’état d’urgence n’est pas un instrument efficace, mais uniquement un moyen de communication visant à rassurer l’opinion publique.

*La mobilisation massive des forces de l’ordre a porté ses fruits. On peut donc parier qu’à l’avenir, le gouvernement, quelle que soit sa sensibilité politique, donnera la priorité à cette mission : si nécessaire, au détriment des autres. C’est dans cette perspective qu’il faut analyser l’absorption des services territoriaux de la Police Judiciaire par les directions départementales de la Sécurité Publique, ainsi que la mise à contribution des unités d’intervention spécialisées (RAID et GIGN) lors des émeutes.

*Face à la gravité des faits et à l’urgence, la justice a assumé, sans états d’âmes, une stratégie fondée sur la sévérité, qui était réclamée massivement par l’opinion publique et qui s’est montrée payante. Elle pourrait, à l’avenir, modifier le comportement des émeutiers, pas si « militants » qu’on le croit, s’agissant, dans la grande majorité des cas, de délinquance d’opportunité. À suivre…

*L’élément déclencheur étant, à chaque fois, une « bavure » policière (avérée ou pas), il est illusoire de penser qu’au sein de la culture de la violence qui s’est désormais installée en France, d’autres incidents analogues n’auront pas lieu, quelle que soit la politique gouvernementale en matière de sécurité : de nouvelles vagues d’émeutes sont à prévoir, inéluctablement. Il faudra donc, dans les années et les décennies à venir, s’habituer à vivre avec ce qui est devenu un fait de société.

 

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