La nouvelle aide financière aux victimes de violences conjugales en onze questions

Publié le 01/03/2023

La loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales a été publiée au Journal Officiel du mercredi 1er mars 2023. Ce texte résulte d’une proposition de loi n° 875 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, enregistrée à la présidence du Sénat le 17 janvier 2023, présentée par la sénatrice Valérie Létard et plusieurs autres sénateurs. Me Patrick Lingibé détaille les nouveautés créées par cette réforme. 

Femme victime de violences
Photo : ©AdobeStock/AungMyo

Comme le note pertinemment l’auteure principale de cette proposition de loi Valérie Létard « la mise à l’abri de la victime, sans solution pérenne et autonomie financière, est un facteur de retour au domicile familial. » (Page 4 de la proposition de loi du 17 janvier 2023). Cette proposition trouve son origine dans une expérimentation qui est en cours de déploiement dans l’arrondissement de Valenciennes (59) avec la mise en place d’un dispositif d’accompagnement global mis en place par le conseil départemental du Nord et la caisse d’allocations familiales, de concert avec d’autres acteurs locaux, qui permet de verser sous deux ou trois jours une avance financière aux victimes de violences conjugales.

Initialement composée de trois articles, la proposition de loi s’est largement enrichie d’amendements parlementaires et gouvernementaux pour aboutir à une loi de sept articles. Le présent article vise à aborder, à travers 10 questions majeures, le dispositif mis en place pour venir en aide aux victimes de violences conjugales.

1° Violences conjugales et violences économiques ?

 Les chiffres mis en exergue dans le rapport sénatorial présenté par Madame Jocelyne Guidez sont particulièrement inquiétants : « En dépit des mesures prises depuis 2019 dans le sillage du Grenelle des violences conjugales, les chiffres du ministère de l’Intérieur rendent compte d’une augmentation de ces violences : 145 homicides au sein du couple ont été recensés en 2021 (+ 14 % par rapport à 2020), dont 122 femmes victimes. Les plaintes pour violences conjugales suivent également une tendance à la hausse (+ 10 % en 2020) atteignant 159 400. En France hexagonale, une enquête statistique du ministère de l’Intérieur estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. » (rapport n° 330 enregistré le 8 février 2023 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales par Madame Jocelyne Guidez, page 5). Il ressort également de ce rapport que 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques lors de l’appel au « 3919 » en 2020.

Pour rappel, les violences économiques ne sont pas prévues par le Code pénal et résultent de faits ou d’actions qui ont pour conséquence de priver la victime de toute autonomie financière en confisquant ses ressources, le contrôle de ses comptes. Or lorsqu’une victime est vulnérable économiquement, elle a le plus grand mal à rompre la relation avec son compagnon violent.

2° En quoi consiste l’aide financière d’urgence créée en faveur des victimes de violences conjugales ?

 L’intervention le 16 février 2023 devant le Sénat de la ministre déléguée Isabelle Rome résume de manière claire l’objectif de la loi : « En cas de violences conjugales, il est toujours difficile de tourner le dos à son bourreau. […] Cette proposition de loi permettra à des femmes de relever la tête. […] C’est pourquoi j’ai voulu que le prêt puisse aussi prendre la forme d’un don, car il est impensable que la victime se retrouve en position de débiteur pour se protéger. Le départ est une décision difficile et il faut éviter tout faux départ. Nous posons donc le principe d’une aide d’urgence aux victimes de violences conjugales, financée par l’État, sous forme de don ou de prêt qui, le cas échéant, devra être remboursé par l’auteur condamné, pour le mettre face à sa responsabilité. Notre proposition repose sur les principes de souplesse, pour répondre aux besoins de chacun, de rapidité, car chaque seconde passée avec son bourreau est une seconde de trop, et d’universalité, car toutes les victimes doivent y avoir accès, sans conditions de ressources. ».

Le nouvel article L. 214-8 du Code de l’action sociale et des familles créé par l’article 1er de la loi dispose que toute personne victime de violences conjugales, entendues au sens de l’article 132-80 du Code pénal, peut bénéficier d’un accompagnement adapté à ses besoins. Deux observations sont à faire à ce niveau.

La première est que l’article 132-80 du Code pénal précité prévoit une aggravation des peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention lorsque l’infraction est commise par le ou l’ex-conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne vivent pas ensemble.

La deuxième est que le texte renvoie à la notion d’accompagnement adapté aux besoins de la victime. Cet accompagnement ne figurait pas dans la proposition de loi initiale et celle adoptée par le Sénat. Il a été ajouté par les députés. Cette notion d’accompagnement devrait être plus large que le bénéfice de l’aide financière d’urgence prévue par la présente loi. Cette aide devrait s’insérer donc par la suite dans l’outil en expérimentation Pack nouveau départ lancé par le ministère de l’égalité, de la diversité et de l’égalité des chances.

3° Que recouvre le dispositif intitulé pack « nouveau départ » ?

 À côté de la création de cette aide financière d’urgence, il y a un outil d’aide plus global : le pack « nouveau départ ». C’est un nouveau dispositif qui a pour objectif de coordonner l’accompagnement des victimes de violence et d’engager le déblocage rapide des aides auxquelles elles peuvent prétendre. Elle a une portée plus globale que l’aide financière d’urgence traitée par la loi du 28 février 2023. Annoncé par la première ministre le 2 septembre 2022, le déploiement progressif est prévu dès ce premier trimestre 2023.

Tout l’enjeu de cet outil est d’apporter une réponse coordonnée, rapide et individualisée aux besoins des victimes de violences conjugales en vue de faciliter leur départ et leur séparation du conjoint violent et alors qu’on sait qu’environ 7 allers/retours sont nécessaires aux victimes pour quitter définitivement leur conjoint. La grande vulnérabilité des victimes ressort des données disponibles et justifie pleinement cet accompagnement (50 % seulement des victimes ont un emploi, 25 % des femmes dénoncent des violences économiques).

En l’état actuel, de nombreux aides et dispositifs existent au niveau national ou local, mais y accéder s’inscrit dans des délais parfois incompatibles avec le processus de départ. La coordination des acteurs du parcours de sortie de violences est souvent complexe, avec des « ruptures de parcours », entre les différentes sphères (forces de l’ordre et social/justice et social/ social et emploi…). Par ailleurs, il n’y a pas d’identification claire d’un référent en capacité de lever des obstacles en cas de blocage.

Le Pack « nouveau départ » devrait aboutir ainsi à « une allocation, un système coupe-file pour la garde des enfants, une insertion professionnelle, un hébergement d’urgence ou encore un accompagnement psychologique » (Interview donnée sur France Info le 26 novembre 2022 par la ministre Isabelle Rome). Il devrait ainsi amener notamment une meilleure détection des victimes de violences conjugales grâce à un réseau d’acteurs de première ligne sensibilisés et formés en tout point du territoire, parmi lesquelles les associations ont un rôle premier, une priorisation de l’accès aux aides et dispositifs de droit commun au bénéfice des victimes de violences conjugales (droits sociaux, Pôle emploi, CPAM, etc.) dans une logique « coupe-file ».

La nouvelle aide financière d’urgence créée par la loi du 28 février 2023 complétera donc ce pack « nouveau départ »qui sera expérimenté dans les zones urbaines, rurales de l’hexagone et également en outre-mer afin de répondre aux réalités de terrain.

4° Quelles sont les conditions pour bénéficier de l’aide financière d’urgence ?

 Le nouvel article L. 214-9 du Code de l’action sociale et des familles créé par l’article 1er de la loi du 28 février 2023 dispose que toute personne victime de violences conjugales doit bénéficier, à sa demande, d’une aide financière d’urgence. La députée réunionnaise Karine Lebon a été à l’origine d’un sous-amendement supprimant la condition d’octroi de l’aide financière d’urgence au fait que le bénéficiaire démontre être confronté à des difficultés financières immédiates.

Deux conditions doivent cependant être réunies par la victime qui sollicite cette aide financière d’urgence.

La première tient à la nature des violences. Elles doivent toujours être commises par le ou l’ex-conjoint, concubin ou partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité, de la victime.

La deuxième a trait aux éléments produits prouvant les violences conjugales commises. Ainsi, la victime doit présenter l’un des trois documents suivants : soit une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales, soit un récépissé d’un dépôt de plainte, soit un signalement adressé au procureur de la République. C’est le Sénat qui a donc introduit ces conditions alternatives afin d’objectiver les situations dans lesquelles se trouve la victime et d’éviter toute appréciation discrétionnaire.

Trois précisions sont à apporter sur la nature des documents exigés par le législateur.

La première concerne l’ordonnance de protection : prévue par les articles 515-9 et suivants du Code civil, elle est délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai maximal de 6 jours à compter de la date de l’audience lorsqu’il ressort qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission de faits de violence alléguée et qui mettent en danger la victime ou les enfants du couple.

La deuxième est le dépôt de plainte par la victime : elle peut le faire auprès de n’importe quel service de police ou de gendarmerie sur le territoire national. Il n’appartient pas aux services qui reçoivent la plainte de se prononcer sur la recevabilité de celle-ci, laquelle relève du procureur de la République. Pour plus d’informations, vous pourrez vous référer à l’article écrit sur le refus de dépôt de plainte.

La troisième est le signalement au procureur de la République : à la différence de la plainte, le signalement résulte d’un tiers qui n’est pas victime des faits. Ce tiers ne fait qu’informer le parquet de la situation subie par une personne vulnérable (victime sous emprise, enfant délaissé, etc.).

Il est à relever que le Sénat a adopté un amendement très protecteur présenté par la sénatrice de la Guadeloupe Victoire Jasmin, lequel vise à permettre à la victime de violences conjugales bénéficiaire de l’avance d’urgence de pouvoir élire domicile soit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale, soit auprès d’un organisme agréé à cet effet. Cet amendement répond à la nécessité de protéger de leurs auteurs les victimes de violences conjugales ainsi que le demandait l’association des familles de victimes de féminicides lors des assises nationales contre les féminicides qui se sont tenues le 3 septembre 2022 au Sénat. En effet, la plupart des passages à l’acte mortel se déroulent durant la période où les victimes sont recherchées par leurs conjoints qui finissent par retrouver leur adresse. Il était donc plus que nécessaire d’assurer une protection des victimes en ne mentionnant pas leur adresse dans les documents administratifs.

 5° Sous quelle forme l’aide financière d’urgence est-elle allouée ?

L’aide financière d’urgence peut prendre la forme soit d’un prêt sans intérêt, soit d’une aide non remboursable, en fonction de la situation financière et sociale de la victime, en tenant compte le cas échéant de la présence d’enfants à charge (article L. 214-10 du CASF).

S’agissant de l’aide d’urgence adoptée par la loi du 28 février 2023, la ministre déléguée Isabelle Rome a souhaité par un amendement gouvernemental que cette aide puisse prendre la forme d’un don et pas seulement résulter d’un prêt comme initialement prévu dans la proposition de loi.

La forme de l’aide financière d’urgence va donc dépendre en réalité de la situation financière et sociale de la victime des violences conjugales. Il est clair selon nous que l’aide non remboursable devra être préférée lorsque la victime est dans une situation particulièrement précaire.

Cependant, dans certains cas, un prêt sans intérêt pourrait être préféré dans la mesure où le remboursement peut être mis à la charge de l’auteur des violences conjugales. En effet, le nouvel article L. 214-12 du Code de l’action sociale et des familles dispose que dans le cas où l’aide a été consentie sous la forme d’un prêt et lorsque les faits de violences conjugales ont donné lieu à une procédure pénale, son remboursement ne peut être demandé au bénéficiaire tant que cette procédure est en cours.

Ce remboursement est demandé à l’auteur des violences lorsque celui-ci a été définitivement condamné à la peine prévue à l’article 222-44-1 du Code pénal (peine complémentaire d’obligation de remboursement du prêt versé à la victime) ou a fait l’objet de la mesure de composition pénale prévue au 20° de l’article 41-2 du Code de procédure pénale (obligation identique de remboursement du prêt alloué à la victime) ou de la mesure de classement sous condition de versement pécuniaire prévue au 4° de l’article 41-1 du même code (obligation de remboursement identique). Cette demande est possible même si la créance correspondante n’est pas encore exigible auprès du bénéficiaire.

Dans le cas où le remboursement du prêt incombe au bénéficiaire, des remises ou des réductions de créance peuvent lui être consenties en fonction de sa situation financière.

Le montant de l’aide financière d’urgence allouée sera modulé selon l’évaluation des besoins de la personne, notamment sa situation financière et sociale ainsi que, le cas échéant, la présence d’enfants à charge, dans la limite deplafonds.

Le versement de l’aide ou d’une partie de celle-ci doit intervenir dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la réception de la demande. Par dérogation, ce délai peut être porté à cinq jours ouvrés, uniquement si le demandeur n’est pas allocataire de l’organisme payeur.

Par ailleurs, pendant six mois à compter du premier versement de l’aide financière d’urgence, la victime recevant ladite aide peut bénéficier des droits et aides accessoires au revenu de solidarité active, y compris l’accompagnement social et professionnel. Ces droits ouverts dans le cadre du RSA entraînent plusieurs avantages dont, notamment, la possibilité de bénéficier d’un délai de préavis réduit à un mois du congé dans le cas d’un bail d’habitation, ou encore la réduction du tarif téléphonique chez l’opérateur Orange.

Un décret devra déterminer les conditions d’application de ce dispositif.

6° Quelle est l’obligation d’information à donner aux victimes de violences conjugales ?

 Elle porte sur l’existence de l’aide financière d’urgence. En effet, le deuxième alinéa de l’article L. 214-9 du Code de l’action sociale et des familles dispose qu’au moment du dépôt de la plainte ou du signalement adressé au procureur de la République, les victimes doivent être informées et, avec leur accord, qu’un formulaire simplifié de demande d’aide financière peut être transmis à l’organisme débiteur des prestations familiales compétent.

Dès réception de la demande, celle-ci doit être transmise au président du conseil départemental par l’organisme débiteur des prestations familiales saisi, avec l’accord exprès du demandeur.

Il convient de préciser que le dépôt de plainte est un moment difficile pour la victime de violences conjugales qui se trouve dans une situation de détresse et de traumatisme. Deux observations sont à faire à ce niveau.

La première : l’article 13 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a créé un article 15-3-2 dans le Code de procédure pénale aux termes duquel en cas de plainte déposée pour une infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement commise par le ou l’ex-conjoint de la victime, concubin ou partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité, l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte doit informer la victime, oralement et par la remise d’un document, qu’elle peut demander ou consentir à bénéficier du dispositif électronique mobile anti-rapprochement. Tiré de l’expérience concluante espagnole, ce dispositif de surveillance électronique permet de géolocaliser la victime à protéger, ainsi que l’auteur réel ou présumé de violences conjugales.

La deuxième : l’article 13 de la n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) a modifié l’article 10-4 du Code de procédure pénale qui permet à une victime à tous les stades de l’enquête, à sa demande, de pouvoir être accompagnée notamment par un avocat. Le deuxième alinéa de cet article prévoit que lorsque la victime est assistée par un avocat, celui-ci peut, à l’issue de chacune de ses auditions, poser des questions, présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

Les modalités de transmission du formulaire d’aide financière d’urgence financière à la caisse d’allocations familiales compétence devront être définies par un décret. L’objectif de cette procédure de transmission est de faciliter les démarches de la victime de violences conjugales.

7° Quel organisme est chargé de verser l’aide financière d’urgence ?

Le nouvel article L. 214-11 du Code de l’action sociale et des familles précise que l’aide financière d’urgence est attribuée, servie et contrôlée par les organismes débiteurs des prestations familiales pour le compte de l’État, contre remboursement, y compris des frais de gestion engagés par ces organismes.

La proposition de loi initiale confiait la charge des dépenses de l’aide financière d’urgence à la Caisse nationale des allocations familiales.

Le gouvernement a déposé un amendement qui transfère cette charge désormais à l’État. Cet article 214-11 précité conduit donc à ce que cette aide soit versée par les organismes débiteurs des prestations familiales dits ODPF, ceux-ci incluant également les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA), avec un remboursement intégral de l’État garanti.

8° Existe-t-il une possibilité de mettre le remboursement de l’aide financière d’urgence à la charge de l’auteur des violences ?

 L’article 4 de la loi inscrit deux nouveaux articles dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale à l’initiative de l’Assemblée nationale.

En premier lieu, le nouvel article 222-44-1 du Code pénal crée une peine complémentaire qui permet à une juridiction de condamner l’auteur des faits de violences conjugales à rembourser le prêt contracté par la victime dans le cas de violences conjugales sans que ce remboursement puisse excéder 5 000 euros.

Le prononcé de cette peine complémentaire est obligatoire en cas de condamnation de l’auteur pour des faits :

*soit ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail (ITT) pendant plus de huit jours

*ou soit pouvant être qualifiés de violences habituelles sur un mineur de quinze ans

*ou sur une personne d’une particulière vulnérabilité.

Cependant, la juridiction peut, par une décision spéciale et motivée lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

En deuxième lieu, le nouvel article 15-3-2 du Code de procédure pénale impose aux policiers et gendarmes qui reçoivent une plainte pour violences conjugales d’informer la victime de ses droits à pouvoir bénéficier d’une aide financière d’urgence.

Le III de cet article 4 modifie l’article 41-1 du Code de procédure pénale en permettant au procureur de la République de mettre fin à l’action publique en demandant le remboursement du prêt à l’auteur des faits de violences conjugales.

Enfin, le IV du même article modifié l’article 41-2 du Code de procédure pénale en permettant au procureur de la République de proposer à l’auteur des violences conjugales reconnaissant sa culpabilité le remboursement du prêt dans le cadre d’une composition pénale (procédure permettant au procureur de la République de proposer une mesure alternative aux poursuites devant un tribunal pénal).

9° Quelles mesures de suivi du dispositif d’aide financière d’urgence sont prévues ?

 Nous limiterons nos précisions aux deux rapports d’évaluation prévus.

 En effet, l’article 3 de la loi qui prévoit qu’une loi de programmation pluriannuelle doit déterminer la trajectoire des finances publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, résulte d’un amendement législatif qui est de nature à poser une double difficulté comme l’a relevé la sénatrice rapporteure Jocelyne Guidez. D’une part, la proposition de loi soumise au Parlement limite son champ uniquement à la création d’une aide financière d’urgence et à rien d’autre. Le Conseil constitutionnel sanctionne toute adoption d’amendement qui ne serait pas en lien avec le sujet de la proposition ou du projet de loi soumis aux parlementaires. D’autre part, l’amendement adopté constitue une injonction faite au gouvernement de déposer un projet de loi dans un délai imparti alors qu’une telle injonction est jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel notamment décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé : « l’exercice du droit d’amendement était limité et qu’un amendement ne devrait pas constituer un projet de loi déguisé ». Cet amendement a été adopté par le Sénat afin d’éviter une seconde lecture par l’Assemblée nationale et retarder la mise en place du dispositif de l’aide financière d’urgence pour répondre aux violences économiques qui frappent les victimes de violences conjugales. Cette disposition ne présente aucune pertinence et ne créé en réalité aucune obligation juridique.

 Le premier rapport a trait à la production d’un rapport d’évaluation du dispositif d’enregistrement et de transmission de la demande d’aide financière d’urgence dans les commissariats et unités de gendarmerie. L’article 5 de la loi prévoit que le gouvernement doit présenter un rapport d’évaluation du dispositif d’enregistrement et de transmission de la demande d’aide d’urgence dans les commissariats et unités de gendarmerie. Cette disposition est directement issue d’un amendement adopté par l’Assemblée nationale sur un amendement proposé par la députée réunionnaise Karine Lebon

Ainsi aux termes de cet article, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport évaluant précisément le dispositif de l’aide financière d’urgence à travers uneévaluation territorialisée du nombre de demandes d’aide d’urgence transmises par les services de police judiciaire, du nombre et de la nature des interventions des travailleurs sociaux et de la recevabilité des demandes transmises dans cecadre.

Le deuxième rapport porte sur l’extension du bénéfice de l’aide financière d’urgence en outre-mer.

 L’article 6 de la loi prévoit la remise par le gouvernement d’un rapport au Parlement sur l’extension du bénéfice de l’aide d’urgence en Nouvelle-Calédonie et en outre-mer. Cette disposition a été adoptée par l’Assemblée nationale sur un amendement proposé par le député polynésien Moetai Brotherson par ailleurs président de la délégation outre-mer de ladite assemblée.

Aux termes donc de cet article, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi du 28 février 2023, soit en l’espèce le 1er mars 2023, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport portant sur la possibilité pour les habitants des collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie de bénéficier de tout ou partie des droits prévus par cette loi, sans préjudice des compétences dévolues à ces collectivités.

Il convient de préciser que les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution relèvent du principe dit de la spécialité législative. Le cadre de chacune des collectivités d’outre-mer résulte d’une loi organique qui fixe d’ailleurs le degré de cette spécialité législative qui peut aller d’une quasi-application du droit hexagonal sur le territoire comme Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à une dérogation particulièrement forte à ce droit comme la Polynésie française. La Nouvelle-Calédonie qui n’est considérée par le Conseil d’État comme une collectivité territoriale au sens de l’article 72 de la Constitution mais relève pour l’heure d’une collectivité particulière à statut constitutionnel. Suite au dernier référendum d’autodétermination, la Constitution devra être modifiée pour faire entrer cette collectivité à très large autonomie dans le titre XII de la Constitution consacré à l’outre-mer.

Si les cinq départements-régions d’outre-mer (DROM) que constituent la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et Mayotte sont régis par l’article 73 de la Constitution où sont appliqués à ces territoires le principe dit d’identité législative (application systématique du droit hexagonal de plein droit sauf dispositions contraires ou adaptées), il n’en demeure pas moins qu’elles présentent des particularités liées à leur bassin de vie respectif. La ministre déléguée chargée de l’égalité devrait donc être amenée au niveau réglementaire à prendre des dispositions adaptatives pour assurer l’efficacité du dispositif d’aide financière d’urgence.

Il convient de rappeler que l’outre-mer se caractérise par une pauvreté endémique de ses populations avec des taux de pauvreté jusqu’à 12 fois plus élevés que dans l’hexagone. En outre-mer, la précarité des victimes de violences conjugales est encore plus forte dans l’hexagone et les taux y sont nettement plus élevés. Ainsi la Guyane et La Réunion sont les territoires ultramarins où le nombre de femmes victimes de violences conjugales enregistrées pour 1 000 habitants est le plus élevé.

Pour information, la situation des femmes victimes de violences en outre-mer a fait l’objet de deux colloques spécifiques. Le premier colloque digital s’est tenu à l’initiative de la Conférence des bâtonniers de France présidée par Hélène Fontaine  29 juin sous le haut patronage de trois ministères. Le deuxième a été organisé également en viscononférence par la délégation outre-mer de l’Assemblée nationale présidée par Moetai Brotherson et la Conférence des bâtonniers de France présidée par Bruno Blanquer le 12 décembre 2022.

Dans une note publiée le 11 juillet 2022, l’INSEE constate que la grande pauvreté est 5 à 15 fois plus fréquente dans les départements d’outre-mer qu’en France hexagonale avec comme résultat d’aboutir à des privations pour les besoins fondamentaux comme la nourriture ou l’habillement pour 4 à 8 personnes sur 10 (Confer Insee Focus n° 270 paru le 11 juillet 2022).

Les écarts de prix entre l’Outre-mer et l’hexagone sont par ailleurs ahurissants compromettant très clairement l’accès une alimentation saine pour des populations déjà très marginalisées par la grande pauvreté dont elles sont frappées. Cet écart de prix était en 2015 de 17 % en Guadeloupe, 16,2 % en Guyane, 17,1 % en Martinique, 16,7 % à Mayotte, 10,6 % à La Réunion, 55 % en Polynésie (2016) et 44,1 % en Nouvelle-Calédonie (Confer Tableau de bord des outre-mer, IEDOM, données arrêtées au 01/08/2022).

Il ressort des tableaux économiques qu’en outre-mer le citoyen est quatre à huit fois plus pauvre que celui de l’hexagone face à un coût de la vie et d’accès aux biens de première nécessité qui lui aussi est tout à fait exponentiel par rapport à celui de l’hexagone. Dans la mesure où l’on sait que les victimes de violences conjugales proviennent de milieu modeste, il est donc nécessaire d’ajuster une politique d’aide répondant à ces réalités.

10° Pourquoi des dispositions d’adaptation spécifiques de l’aide financière d’urgence à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte ?

 L’article 2 II de la loi du 28 février 2023 habilite le gouvernement à prendre dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, par voie d’ordonnance, les mesures relevant du domaine de la loi visant à adapter d’une part, à Saint-Pierre-et-Miquelon et d’autre part, au département de Mayotte. Ces deux collectivités disposent de cadres institutionnels particuliers.

Si la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon relève de l’article 74 de la Constitution, sa loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 a prévu expressément que les dispositions législatives et règlementaires sont applicables de plein droit à Saint-Pierre-et-Miquelon. Même cette collectivité est placée sous le régime de la spécialité législative au niveau constitutionnel, elle a choisi d’appliquer le principe d’identité législative.

Concernant Mayotte, son statut nouveau de département exige un déploiement normatif au fur et à mesure. Ainsi, si le Code de l’action sociale et des familles y est applicable de plein droit en application de l’article 72 de la Constituti.

.C’est donc pour cette double raison que le législateur a autorisé expressément le gouvernement à prendre des mesures d’adaptation par voie d’ordonnance pour Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte.

11° Quelle est la date d’entrée en vigueur du dispositif d’aide financière d’urgence ?

 L’article 7 de la loi prévoit que le dispositif de l’aide financière d’urgence entrera en vigueur à une date qui sera fixée par un décret et au plus tard neuf mois après sa promulgation. C’est l’Assemblée nationale qui a inséré, à l’initiative du gouvernement cet article à une application différée de la loi et suspendue à la prise à une dispositionérèglementaire.

Un sous-amendement législatif est venu fixer un délai maximal de neuf mois aux termes duquel la loi du 28 février 2023 entrera en application à compter de sa promulgation, soit en l’espèce le 1er décembre 2023 en état de cause. Il est peu vraisemblable qu’aucun décret ne paraisse d’ici cette date, vu l’impératif à mettre en œuvre sans délai ce dispositif d’aide financière d’urgence en faveur des victimes de violences conjugales.

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