Que faire si les forces de l’ordre refusent de prendre une plainte ?

Publié le 08/09/2022

En principe, les forces de l’ordre n’ont pas à refuser de prendre une plainte. Mais cela arrive de plus en plus souvent. Heureusement, le citoyen dispose de plusieurs recours que détaille ici Me Patrick Lingibé.

Que faire si les forces de l'ordre refusent de prendre une plainte ?
Photo : ©AdobeStock/Forma82

De plus en plus de victimes font état de refus de la part des forces de l’ordre de prendre leur plainte pour des raisons diverses. Il faut savoir que chaque plainte déposée donne lieu automatiquement à l’ouverture d’un dossier et donc contribue mécaniquement à abonder les chiffres relatifs aux différentes infractions commises. De plus, enregistrer une plainte entraîne nécessairement du travail pour les services de police et de gendarmerie déjà très fortement mobilisés et submergés par des enquêtes à mener.

Il ne faut donc pas occulter une réalité : les dépôts de plainte impactent directement les statistiques relevant notamment les violences perpétrées à l’encontre des victimes. Ces chiffres permettent ainsi d’appréhender à peu près l’état de la violence au sein de la société française (un nombre certain de victimes renonçant à porter plainte pour diverses raisons), y compris d’avoir une image de cette violence par zone géographique du territoire national.

Bon nombre de victimes s’interrogent dès lors sur la régularité du refus qui leur est opposé d’enregistrer leur plainte. Le présent article vise à répondre à ces interrogations sur un droit fondamental de notre société. Dans un premier temps, nous traiterons du droit de la victime à porter plainte (I) et dans un deuxième temps, nous aborderons les recours envisageables lorsque ce droit est méconnu (II).

I – Le droit de porter de plainte : existe-t-il des limites ?

Non en principe à partir du moment où les faits relèvent de la sphère pénale. Aucun policier ou gendarme ne peut refuser de prendre la plainte d’une victime. En effet, l’article 15-3, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que « Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents. Dans ce cas, la plainte est, s’il y a lieu, transmise au service ou à l’unité territorialement compétents. » C’est donc une obligation légale qui est imposée aux forces de police et de gendarmerie, lesquelles sont donc tenues d’enregistrer la plainte de la victime qui s’adresse à elles.

Dans le prolongement de cet article 15-3 précité, la charte dénommée « Accueil du public Assistance aux victimes », qui doit être affichée obligatoirement dans tous les locaux d’accueil de police et de gendarmerie, précise en son article 5 « Les services de police nationale et de la gendarmerie nationale sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions pénales, quel que soit le lieu de commission ».

En conséquence, les services de police et de gendarmerie doivent enregistrer la plainte de toute victime en toutes circonstances et cela quel que soit le lieu où a été commise de l’infraction. Ainsi, la personne qui a été victime de violences conjugales survenues à Lille peut parfaitement déposer sa plainte auprès des services de police ou de gendarmerie situés à Paris ou à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) ou en quelque autre point du territoire national, cela quel que soit son lieu de résidence. Par ailleurs, il convient d’indiquer également que le fait qu’il n’existe pas d’éléments de preuve au moment du dépôt de la plainte ne peut justifier le refus d’enregistrer celle-ci par les services de police ou de gendarmerie.

Cependant, le seul motif légitime qui pourrait fonder le refus d’enregistrer la plainte d’une victime par un fonctionnaire de police ou de gendarmerie serait que les faits dénoncés ne relèvent pas à l’évidence et de manière manifeste d’une infraction à la loi pénale. Ainsi, le non-paiement d’un loyer ou le refus de changer un véhicule atteint de vices cachés ne sont pas en soi des infractions pénales, mais relèvent de litiges civils. Toutefois, certains faits de nature civile au départ peuvent prendre une connotation pénale qui justifierait le dépôt d’une plainte : ce serait par exemple le cas d’un chèque sans provision émis avec une fausse signature du tireur à qui un tiers aurait usurpé le chéquier, étant rappelé que l’émission d’un chèque sans provision stricto sensu a été dépénalisée par le législateur au profit de sanctions et pénalités bancaires dissuasives.

Il convient de rappeler que l’article R. 434-20 du Code de la sécurité intérieure dispose clairement que : « Sans se départir de son impartialité, le policier ou le gendarme accorde une attention particulière aux victimes et veille à la qualité de leur prise en charge tout au long de la procédure les concernant. Il garantit la confidentialité de leurs propos et déclarations. ». Afin qu’il n’y ait aucun doute sur les droits de la personne victime, l’article 10-4 du Code de procédure pénale dispose expressément : « A tous les stades de l’enquête, la victime peut, à sa demande, être accompagnée par son représentant légal et par la personne majeure de son choix, y compris par un avocat, sauf décision contraire motivée prise par l’autorité judiciaire compétente. ». Cette information doit être portée à la connaissance des victimes par les officiers et agents de police judiciaire en application des dispositions du 8° de l’article 10-2 du Code de procédure pénale.

II – Quel recours pour la victime en cas de refus de prendre sa plainte ?

En cas de refus de prendre sa plainte, la victime dispose essentiellement de trois recours possibles, étant précisé qu’elle peut toujours consulter un avocat pour la conseiller dans ses démarches.

Le premier recours qui est le plus redoutable et redouté consiste pour la victime à saisir le Défenseur des droits. Ce dernier a en effet hérité depuis mai 2011 des compétences de l’ancienne Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) créée par la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000, laquelle a disparu après la réforme opérée par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Cette réforme a créé à travers un nouvel article 71-1 de la Constitution une nouvelle autorité administrative indépendante de nature constitutionnelle dénommée le Défenseur des droits en lieu et place de l’ancien médiateur de la République et d’autres autorités administratives indépendantes existantes alors. Sa mission essentielle est définie par le premier alinéa de l’article constitutionnel précité, à savoir veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. S’agissant de la déontologie, le 4° de l’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits dispose que ce dernier est chargé notamment « De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ; ». Il incombe donc à cette autorité de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant les activités de sécurité en France, en l’espèce la Police et la Gendarmerie. Le Défenseur des droits peut ainsi demander des informations aux administrations, aux personnes privées, aux ministres et effectuer toutes vérifications dans les locaux concernés. Il convient de préciser que lorsque les faits signalés sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, il doit aviser le procureur de la République, comme toute autorité administrative, officier public ou fonctionnaire, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 40 du Code de procédure pénale. Il convient de préciser que le Défenseur des droits a eu à connaître de refus de plainte. Ainsi, dans une décision n° 2020-203 du 7 décembre 2020, il a recommandé au ministre de l’Intérieur que soit engagée une procédure disciplinaire à l’encontre d’un brigadier de police en raison de ses manquements aux devoirs de courtoisie et d’exemplarité, la victime ayant essayé des refus d’enregistrer sa plainte par deux policiers qui ont fait preuve de comportements inappropriés. Par lettre du 2 novembre 2021, le ministre de l’Intérieur a précisé au Défenseur des droits s’agissant de ce cas qu’il avait diligenté une procédure administrative à l’encontre du brigadier de police et qu’une sanction disciplinaire avait été prise à son encontre. La victime peut saisir le Défenseur des droits directement en ligne suite au refus de prendre sa plainte par les professionnels de la sécurité concernés.

Le second recours est interne à l’administration concernée : les faits dénoncés sont traités par les inspections générales de contrôle internes des activités des services. À cet effet, les victimes disposent d’un formulaire de signalement qu’elles peuvent remplir aux fins de saisine soit l’inspection générale de la Police NationaleIGPN pour les faits concernant des fonctionnaires de police soit l’inspection générale de la Gendarmerie NationaleIGGN lorsque ces faits ont trait aux fonctionnaires de gendarmerie.

Un troisième recours consisterait à saisir les autorités judiciaires chargées d’exercer les poursuites à l’encontre d’auteurs d’infractions. La victime pourra ainsi s’adresser au procureur de la République dont dépend le commissariat ou la brigade de gendarmerie qui aurait refusé de prendre la plainte de la victime ou encore au procureur général de la cour d’appel dont relèvent les commissariats et brigades. Ces deux autorités de poursuite peuvent donner instruction aux services d’enquête de recevoir la plainte d’une victime. Cette dernière peut également saisir directement le procureur de la République d’une plainte, celui-ci étant compétent également pour recevoir celle-ci ainsi que les dénonciations et en apprécier la suite à leur donner en application du premier alinéa de l’article 40 du Code de procédure pénale.

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