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La nouvelle enquête préliminaire ou l’art de donner et retenir

Publié le 15/09/2022
Enquête
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La loi pour la confiance en l’institution judiciaire (loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021) a permis de franchir une étape dans l’appréhension de l’enquête préliminaire au regard des droits de la défense. Le dossier peut devenir plus accessible et la participation du suspect en cours d’enquête est amorcée. La pratique et la jurisprudence à venir donneront la pleine mesure de la portée de ces nouvelles dispositions. Une première analyse de celles-ci montre une gêne persistante face au développement du contradictoire à ce stade des investigations.

Soucieux de lutter contre les enquêtes préliminaires qualifiées « d’éternelles »1, critiquées par la doctrine2 comme par les praticiens3, le législateur a entendu, par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 dite loi pour la confiance en l’institution judiciaire, encadrer sa durée4. Il a par ailleurs ouvert plus largement la fenêtre de contradictoire pendant ce type d’enquête, montrant par là même que le décalage flagrant pouvant exister depuis déjà plusieurs années entre l’instruction préparatoire et l’enquête, devenue un mode de mise en état prépondérant du procès pénal, ne pouvait perdurer5. Pour autant, comme ce qui est trop souvent instauré, il reste soumis à des filtres et affecté d’exceptions. On passe de l’absence de contradictoire et du secret un tant soit peu levé à la contradiction reportable et à l’information maîtrisée. L’instauration de délais, de conditions préalables, d’aménagements pourrait, à défaut d’un contrôle strict, réduire considérablement la portée de la réforme. L’interprétation jurisprudentielle à venir sera déterminante pour assurer toute son effectivité. La réforme devra aussi être appréciée en terme organisationnel. L’instauration de délai butoir pourrait avoir des conséquences sur les cabinets d’instruction. La notion de délai est aussi liée à celle des moyens mis à disposition des enquêteurs6. Sans leur accroissement, la réforme pourrait n’être qu’illusion. Après avoir ajusté sa mise en œuvre pratique par les moyens de contournement ou d’allongement qu’elle instaure, il pourrait ne plus rester au parquet que l’ouverture d’une instruction préparatoire, sans pour autant que celle-ci implique une mise en examen immédiate. Soit, un double écueil : la paralysie des avancées instaurées en termes de contradiction au cours de l’enquête et une surcharge supplémentaire des cabinets d’instruction7. Les modifications apportées à l’article 75-3 du Code de procédure pénale concernant la durée et celles de l’article 77-2 du Code de procédure pénale concernant la communication sont entrées en vigueur lors de la publication de la loi, soit le 24 décembre 2021. Mais, comme pour assurer un sas d’adaptation, la limitation de principe de la durée de l’enquête préliminaire (I), comme l’extension maîtrisée de l’accès au dossier (II) pendant celle-ci ne sont applicables qu’aux enquêtes commencées à compter de la publication de la loi8. C’est déjà un signe. La physionomie de la nouvelle enquête est modifiée.

I – La limitation de principe de la durée de l’enquête préliminaire

Selon les nouvelles dispositions de l’article 75-3 du Code de procédure pénale, par principe, en droit commun, la durée d’une enquête préliminaire est fixée. Elle ne peut excéder deux ans à compter du premier acte de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance9. Dès le principe posé, une question se pose : celle de déterminer ce qu’est le premier acte d’enquête. Assurément, il s’agit d’un acte de l’enquête préliminaire, excluant ainsi un acte d’investigation opéré dans un autre cadre comme une enquête douanière ou parapénale10.

Si une durée initiale est fixée, une prolongation est possible. Elle l’est pour une durée maximale d’un an à l’expiration du délai11. Cet allongement doit intervenir sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, qui est versée au dossier de la procédure12. On notera que rien n’est précisé concernant la teneur de cette motivation. Elle pourrait dès lors devenir systématique et de pure forme : l’enquête préliminaire durerait ainsi trois ans par principe, ce qui correspondrait en définitive à sa durée moyenne actuelle13. Au demeurant, il n’y a pas de contrôle de motivation prévue. La décision de prolongation n’a pas à être spécialement motivée en contemplation de critères posés. En revanche, cette autorisation devrait à peine de nullité figurer au dossier, sans quoi la Cour de cassation pourrait considérer que l’irrégularité cause nécessairement un préjudice à la personne concernée.

À l’issue de ce délai, ou de sa prolongation, les enquêteurs clôturent leurs opérations. Ils transmettent les éléments recueillis au procureur de la République14, avant l’expiration du délai biennal ou, en cas de prolongation, du délai triennal. Ceci doit permettre au magistrat parquetier de choisir l’issue qu’en l’état il entend y donner. Il dispose, au choix, de la mise en mouvement de l’action publique, le cas échéant, par l’ouverture d’une information judiciaire, de la mise en œuvre d’une procédure alternative aux poursuites, ou d’une possibilité de classement sans suite. C’est dire que l’instruction est la seule voie possible lorsque l’affaire n’est pas en état d’être jugée. Reste à savoir si après cette ouverture, la mise en examen sera rapide. Si ce n’est pas le cas, il y aura à nouveau un vide pour la personne suspectée, pas d’accès au dossier pendant un temps plus ou moins long et pas de possibilité d’une participation à l’instruction.

Fixer des seuils maximaux n’implique pas que la réponse pénale interviendra avant l’expiration des délais. On notera du reste qu’il n’est pas prévu que la décision du parquet, prise ensuite de cette communication, doive intervenir dans le délai de deux ou trois ans. D’autant que la sanction ne vise que les actes d’enquêtes postérieurs à l’expiration du délai. C’est dire que le parquet devrait pouvoir réfléchir à l’issue, sans aucun délai prévu, dès lors que les actes d’enquête ne se poursuivent pas.

Le nouveau texte institue une sanction : tout acte15 d’enquête intervenant après l’expiration des délais est nul16. Toutefois, une exception prévue pourrait rendre la règle bien vaine : il n’y aura pas de nullité si l’acte réalisé après ce délai concerne une personne qui a été mise en cause au cours de la procédure, au sens de l’article 75-217, depuis moins de deux ans ou, en cas de prolongation, de trois ans. Si l’on suit la lettre du texte, cela signifie qu’avant l’expiration des délais requis, les enquêteurs doivent clôturer leur enquête et la communiquer au parquet. Toutefois, ils peuvent continuer l’enquête pour une personne qui a été mise en cause au cours de la procédure depuis moins de deux ans ou, en cas de prolongation, de trois ans. En conséquence, le curseur est déplacé. On passe de la durée de l’enquête à la durée de mise en cause d’un suspect sans que cette notion soit définie. La durée de principe s’étiole. La perquisition réalisée huit mois auparavant, dans une enquête ouverte il y a plus de deux ans, ne serait donc pas annulable.

Comme souvent désormais en procédure pénale, un régime dérogatoire a été mis en place. Lorsque l’enquête porte sur des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale en matière de criminalité organisée ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste, les délais de deux ans et d’un an sont portés respectivement à trois ans pour la durée initiale et à deux ans pour la prolongation, soit une durée maximale totale de 5 ans18. Il s’agit bien évidemment de tenir compte du fait que les investigations peuvent dans ces cas être plus lourdes. Elles peuvent comporter de manière plus systématique un volet international ou concerner une pluralité d’auteurs. Toutefois, il est à craindre que, par le jeu des qualifications incontrôlées, la durée soit artificiellement augmentée par des contournements de procédure. La pratique le dira. La vigilance des praticiens sera de mise. D’autant plus qu’en matière criminelle, l’instruction est obligatoire19. Dans ce cas, une enquête préalable de cinq ans permettrait de créer une phase de contradiction affaiblie20, dans la mesure où les droits accordés au suspect ne sont pas les mêmes que ceux dévolus à la personne mise en examen.

Ces règles premières doivent encore être appréhendées en contemplation des dispositions concernant la computation des délais21. Ainsi, pour calculer la durée maximale, il n’est pas tenu compte du temps pendant lequel l’enquête a été suspendue22. C’est le cas lorsque l’enquête a donné lieu à une décision de classement sans suite, puis a repris sur décision du procureur de la République. On s’attache logiquement à la durée des investigations. Le temps de suspension n’est pas pris en compte. Le délai se poursuit avec la réouverture de l’enquête. De même, lorsqu’il est procédé au regroupement de plusieurs enquêtes dans le cadre d’une même procédure, la date de commencement de l’enquête la plus ancienne est logiquement retenue. Mais on peut alors s’interroger sur l’appréciation qui sera faite de l’opportunité de procéder à ces regroupements. En cas d’entraide judiciaire internationale, le délai entre la date de signature de la demande et la date de la réception des pièces d’exécution n’est pas pris en compte. Cette règle pourrait aussi être dévoyée : jusque-là, pour des raisons d’économie de moyens, le parquet avait tendance à limiter ses demandes d’entraide. Il pourrait désormais accroître leur usage, leur émission constituant un moyen de donner du temps aux investigations. On peut d’ailleurs noter que la possibilité d’investigations réalisées pendant ce temps d’attente n’est pas exclue.

Ainsi le contrôle juridictionnel des qualifications et de l’usage des exceptions prévues qui reste à opérer déterminera la portée effective de la durée instituée. Il en est de même pour le contrôle des conditions instaurées pour permettre l’accès au dossier et son corollaire, la participation à l’enquête. Car au-delà de la durée de l’enquête préliminaire qui pouvait choquer, le quasi-vide entourant les droits accordés à la personne suspectée était la caractéristique de cette enquête. Le maintien du secret à durée indéterminée n’était plus concevable. Dans une certaine mesure, le législateur y a remédié.

II – L’extension maîtrisée de l’accès au dossier

L’extension de l’accès au dossier s’inscrit dans un mouvement de développement indéniable du principe du contradictoire dans le cadre de l’enquête préliminaire. L’article 77-2 du Code de procédure pénale est modifié. Il est complété par ailleurs par le décret du 13 avril 202223. À tout le moins formellement, le nouveau dispositif accroît les droits de la défense. Il élargit les conditions d’accès au dossier. Il crée aussi une participation possible du suspect au cours de l’enquête qui, d’une certaine manière, peut en devenir une partie. C’est déjà un début. Pour autant, comme dans un mouvement de balancier, les règles instituées tendent à en assurer sa maîtrise. Le régime instauré est dual. La mise à disposition et la participation peuvent être décrétées par le parquet ou faire suite à une demande qui reste conditionnée, voire délimitée.

A – Une mise à disposition et une participation décrétées par le parquet

La lettre du texte créé un accès possiblement précoce en cours d’enquête, si le parquet le décide. À tout moment de l’enquête préliminaire24, le procureur de la République peut, lorsqu’il estime que cette décision ne risque pas de porter atteinte à l’efficacité des investigations, indiquer à la personne mise en cause, à la victime25 ou à leurs avocats qu’une copie de tout ou partie du dossier de la procédure est mise à la disposition de leurs avocats26, et qu’elles ont la possibilité de formuler toutes observations qui leur paraîtraient utiles.

Le législateur a pris soin de préciser la finalité de ces observations27. Toutefois, l’emploi du terme « notamment » implique une absence d’exhaustivité. Ainsi, elles peuvent porter sur des aspects procéduraux, comme la régularité de la procédure, la qualification des faits pouvant être retenue, les modalités d’engagement éventuel des poursuites et le recours éventuel à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Elles peuvent également porter sur le fond de l’enquête et son contenu. Des observations peuvent être formulées sur le caractère éventuellement insuffisant des investigations, et sur la nécessité de procéder à de nouveaux actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

Cet article est complété par le décret28. La mise à disposition du dossier se fait par tout moyen. Elle peut consister en la consultation des pièces dans les locaux du tribunal judiciaire ou en la remise d’une copie de la procédure. Les dispositions de l’article D. 593-2 du Code de procédure pénale sont alors applicables : cette copie pourra donc être réalisée par autoreproduction.

Dès lors que le parquet décide de la mise à disposition du dossier, la personne dispose d’un délai d’un mois pour formuler ses observations29. Lorsqu’elles sont formulées par l’avocat, elles peuvent être adressées par un moyen de télécommunication sécurisé, conformément aux dispositions de l’article D. 591 du Code de procédure pénale. Pour assurer l’effectivité de ce droit à observations, pendant ce délai, l’issue de la procédure est suspendue. Le procureur de la République ne peut prendre aucune décision de poursuites hors l’ouverture d’une information, l’application de l’article 393 ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13 du Code de procédure pénale30.

On peut se demander dans quelle mesure une telle décision de mise à disposition d’office sera prise par le parquet. L’avenir le dira, et peut être qu’une circulaire en précisera les circonstances, mais le nombre de cas pourrait rester peau de chagrin. La rédaction du texte est claire : c’est une simple possibilité. Tout juste si cela n’apparaît pas comme une faveur. Qui plus est, cette communication peut être partielle sans que le parquet n’ait à s’expliquer. Cela étant, le procureur de la République est le garant de l’application de la loi pénale dont il requiert l’application. À ce titre, il est aussi le garant des droits de la défense. Il reste que la loi a prévu un délai butoir à partir duquel cette ouverture ne sera plus une option : lorsqu’une période de deux ans s’est écoulée après une audition libre31, une garde à vue ou une perquisition, l’enquête préliminaire ne peut se poursuivre à l’égard des personnes ayant fait l’objet de l’un de ces actes et à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteurs ou complices, une infraction, sans que le procureur de la République fasse application de cette possibilité à leur profit, ainsi qu’à celui du plaignant32. Ainsi, passé un délai de deux ans après ces actes, l’enquête ne pourra se poursuivre à l’encontre d’un suspect et pour le plaignant que de façon contradictoire alors même qu’ils n’auraient rien demandé. Néanmoins, la règle apparaît contournable : il suffira de réaliser des actes d’enquêtes périphériques, pour allonger le délai de déclenchement de l’obligation ou faire en sorte, en amont, de ne pas user de ces mesures ou le plus tard possible. La gestion temporelle de l’événement déclencheur permettra de moduler le déclenchement de la contradiction. De même, on ne peut que regretter l’absence d’obligation sur ce droit à l’issue de ces mesures. Son absence pourrait remettre en cause l’effectivité des nouveaux droits accordés.

Parallèlement à ce qui n’est qu’un choix du parquet, le suspect dispose de la faculté de prendre l’initiative et de solliciter la contradiction, dès lors que certaines conditions sont réunies et que le parquet n’estime pas nécessaire de reporter ou de la cantonner.

B – Une demande conditionnée, affectée de dérogations et d’aménagements

Toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice33, une infraction punie d’une peine privative de liberté34 peut demander au procureur de la République que ces droits lui soient ouverts. Cette demande est présentée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé. L’intéressé peut ainsi demander de prendre connaissance du dossier de la procédure afin de formuler ses observations35.

Toutefois, ceci n’est possible que lorsqu’au moins l’un des trois événements procéduraux suivants survient. Le premier est lorsque la personne en demande a été interrogée dans le cadre d’une audition libre ou d’une garde à vue qui s’est tenue il y a plus d’un an. Comme par le passé, est instituée une double condition de mesure préalable et de délai. Le droit ne s’ouvre que lorsque le suspect a été l’objet d’une mesure restrictive de liberté et passé un certain temps. Le second vise l’hypothèse où il a été procédé à une perquisition chez la personne il y a plus d’un an36. La condition de mesure et de délai se retrouve pour un temps identique. C’est dire qu’en n’usant pas de ces mesures de contrainte, ou en les retardant, on repousse encore l’ouverture du droit à communication.

Enfin, un troisième cas est instauré, avec des conditions renforcées : lorsqu’il a été porté atteinte à la présomption d’innocence de la personne par un moyen de communication au public37. Il s’agit là de faire en sorte que la personne qui est l’objet d’une atteinte puisse contredire. Néanmoins, le droit d’accès n’est pas ouvert au regard de l’origine des révélations ou selon la nature de l’infraction poursuivie. Dès lors que ces révélations émanent de la personne elle-même ou de son avocat, directement ou indirectement, ce qui reste une notion à établir, ou que l’enquête porte sur des faits relevant de la criminalité organisée ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste, l’atteinte portée à la présomption d’innocence importe peu. Le droit dérogatoire nie donc par principe l’atteinte à la présomption d’innocence. Ces deux dérogations traduisent en réalité la conscience d’un détournement possible, notamment par la création à l’étranger par le suspect ou un complice d’un site qui porte atteinte à sa présomption d’innocence, dans le seul but d’avoir accès au dossier. Des auteurs ont souligné que la preuve de cette auto-atteinte sera difficile, voire impossible à apporter38. Cette volonté de neutraliser un tel contournement transparaît du reste des dispositions du décret du 13 avril 2022. Dans cette situation, la demande de prise de connaissance du dossier doit comporter tous les documents justifiant de l’atteinte par un moyen de communication au public et notamment, s’il y a lieu, une copie des enregistrements sonores ou audiovisuels. Le procureur de la République peut ensuite solliciter du demandeur des documents complémentaires établissant la réalité de cette atteinte39. En revanche, la référence à l’atteinte à la présomption d’innocence n’est pas complétée par la détermination de celui qui est en charge de la reconnaître. Doit-elle être jugée comme telle, ou le parquet peut-il en apprécier la réalité ? C’est ce que le texte semble prévoir.

Afin d’éviter que la demande faite reste lettre morte, comme c’était le cas trop souvent lors de l’ancienne rédaction de l’article, le parquet doit répondre dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande de contradictoire40. Il le fait par une décision motivée versée au dossier41. À défaut, le silence maintenu à l’issue de ce délai vaut refus de communication42. La personne à l’origine de la demande peut alors contester ce refus implicite devant le procureur général43. Celui-ci statue également dans un délai d’un mois à compter de sa saisine44, par une décision motivée versée au dossier45. Dans la période d’un mois qui suit la réception de la demande, le procureur ne peut prendre aucune décision de poursuites46.

Plus généralement, la demande faite n’implique pas l’exercice effectif du droit, même lorsque celui-ci peut être ouvert47. La mise en œuvre de ce droit d’information dépend d’une appréciation du parquet. Ce dernier peut en reporter la mise en œuvre et en limiter l’étendue lorsqu’il fait droit à la demande.

En effet, il convient de ne pas oublier la première condition : le procureur doit d’abord estimer qu’il existe à l’encontre de la personne une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, une infraction48 : c’est dire qu’en cas de placement en garde à vue, cette condition sera remplie49. En revanche, dans l’hypothèse d’une audition libre, d’une perquisition ou d’une atteinte à la présomption d’innocence, les soupçons pourront être jugés insuffisants. Ce qui fermera la porte à un accès demandé50.

Le procureur peut aussi estimer qu’il convient de différer l’accès au dossier ou de limiter le contenu accessible. À titre dérogatoire, et pour une durée maximale de six mois à compter de la réception de la demande, il peut refuser à la personne la communication de tout ou partie de la procédure si l’enquête est toujours en cours et si cette communication risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations51. Lorsque l’enquête porte sur des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste, le délai de six mois de report de consultation est porté à un an52. La décision du procureur est alors motivée, sans que cette motivation ne fasse apparaître des éléments de nature à porter atteinte à l’efficacité des investigations.

Le procureur de la République peut enfin décider de ne pas mettre à la disposition de la personne certaines pièces de la procédure en raison des risques de pression qu’il apprécie sur les victimes, les autres personnes mises en cause, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure. Dans ce cas, la liste et la nature des pièces non communiquées ne sont pas portées à la connaissance de la personne53. Cela peut rendre plus difficile la rédaction d’observations opportunes à l’attention du parquet.

Lorsque l’enquête concerne plusieurs personnes suspectées et que le procureur de la République accède à la demande d’accès à la procédure présentée par l’une d’entre elles, il n’est pas tenu d’accorder les mêmes droits54. Le parquet pourra donc donner accès à tout le dossier à certains des suspects, et pas à d’autres demandeurs. Il n’est par ailleurs pas tenu de dire d’office aux autres personnes suspectées qu’il le leur accorde, sans préjudice de sa possibilité de le faire s’il l’estime possible et opportun, en application du I de l’article 77-2 du Code de procédure pénale. Quant à la situation du plaignant, elle est conditionnée par celle du suspect. Lorsqu’une enquête préliminaire fait l’objet d’une demande de communication, s’il a porté plainte, le plaignant est avisé par le procureur de la République qu’il dispose des droits à communication pour présenter des observations telles que prévus dans les mêmes conditions que la personne à l’origine de la demande55. Elle doit alors en faire la demande. Il n’existe donc pas de droit autonome pour le plaignant. Mais il est vrai qu’à défaut, il aurait fallu prévoir le pendant dès lors que l’on aurait permis à une personne se considérant comme victime d’accéder au dossier.

D’une manière générale, qu’elles prennent place à la suite d’un accès décrété ou autorisé, les observations formulées sont versées au dossier de la procédure. Le procureur de la République apprécie les suites à y apporter56. L’information qu’il adresse en retour sur les suites réservées est aussi versée à la procédure. Sur ce point, la rédaction du texte n’est pas claire. Qu’entend-on par cette expression ? Celui qui fait la demande seulement ou le plaignant également ? D’une manière plus générale, lorsque le dossier a été mis à disposition, les observations sont-elles communiquées à tous ? Une nouvelle demande de communication destinée à voir si des observations ont été faites est-elle possible ? Rien ne l’exclut, mais cela n’a pas été envisagé.

Le décret précise que la personne dispose d’un délai d’un mois à compter de la mise à disposition du dossier pour formuler ses observations57. Cette précision n’apparaît pas dans la loi. Inclue à la demande du Conseil national des barreaux, elle est la bienvenue. Si le délai courait à compter de la demande de communication, cela aurait rendu inefficace la possibilité de faire des observations : le procureur ayant un mois pour statuer sur cette demande, il aurait pu immédiatement après le délai d’un mois clore le dossier, sans les observations.

Lorsque les observations consistent en une demande d’acte58, le procureur de la République informe la personne des suites qu’il entend y apporter dans un délai d’un mois à compter de leur réception. S’il refuse de procéder à un acte demandé, il rend une décision motivée. Il est tenu d’informer par la même occasion de la voie de recours possible en indiquant qu’elle peut être contestée devant le procureur général59. À défaut de réponse du procureur dans le délai d’un mois, qui vaut refus de procéder aux actes demandés, la personne peut également contester ce refus devant le procureur général. Il statue dans le délai d’un mois à compter de sa saisine, par une décision motivée versée au dossier60. On retrouve le mécanisme instauré en instruction destiné à forcer la réponse d’une manière ou d’une autre. Néanmoins, ce recours n’est pas abouti. Les droits accordés devront encore être consolidés. Rien n’est prévu pour l’hypothèse où le parquet général ne répond pas dans ce délai. De même, aucune réponse ne doit être faite à celui qui soulève l’insuffisance de l’enquête et la nécessité d’ouvrir une instruction. Enfin, il en est de même pour une irrégularité de la procédure soulevée par un suspect à l’occasion de ses observations. Aucune réponse ne pourra y être apportée. Ceci supposerait qu’un juge tranche. Or le législateur n’a pas souhaité instaurer une juridictionnalisation de l’enquête préliminaire. Pour l’instant à tout le moins…

Notes de bas de pages

  • 1.
    S. Mazars, Rapport pour la confiance dans l’institution judiciaire, 7 mai 2021, p. 395 et s. : « Certaines procédures durent depuis quatre ou cinq ans ; de temps en temps, on reçoit un petit papier, qui nous rappelle qu’un tel ou une telle aurait fait telle ou telle chose. C’est insupportable ! » ; F. Lardet, « Enquête préliminaire : une réforme peu adaptée aux investigations financières », AJ pénal 2022, p. 14 et s.
  • 2.
    V. not. S. Detraz, « Les habits neufs de l’enquête préliminaire. À propos de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 », GPL 22 févr. 2022, n° GPL432o6.
  • 3.
    La réforme est directement issue de la Commission relative aux droits de la défense dans l’enquête pénale et au secret professionnel de l’avocat, présidée par Dominique Mattei : v. D. Mattei (dir.), Exposé des motifs de la loi, Commission relative aux droits de la défense et au secret professionnel des avocats, févr. 2021.
  • 4.
    L’article 75-1 du Code de procédure pénale, seul article jusque-là consacré à la durée, précise que le procureur de la République « fixe le délai dans lequel cette enquête doit être effectuée ». Il n’a pas été abrogé.
  • 5.
    V. not. C. Porteron, Droit à l’information et procédure pénale. Contribution à l’étude des droits de la défense, thèse, 2001, Nice.
  • 6.
    V. not. E. Maurel, « Loi pour la confiance : une réforme qui fait sens au parquet de Nîmes », AJ pénal 2022, p. 10 et s.
  • 7.
    J. Goldszlagier, « Durée maximale des enquêtes préliminaires : de la lenteur à l’arrêt ? », Dalloz actualité, 27 mai 2021 ; F. Lardet, « Enquête préliminaire : une réforme peu adaptée aux investigations financières », AJ pénal 2022, p. 14 et s.
  • 8.
    L. n° 2021-1729, 22 déc. 2021, art. 59.
  • 9.
    Une enquête préliminaire pouvant succéder à une enquête de flagrance, qui elle est enfermée dans des délais de 16 jours.
  • 10.
    Comme le procès-verbal de l’inspecteur du travail ou celui d’un agent de l’URSSAF.
  • 11.
    Le texte apparait mal rédigé ; c’est plutôt avant l’expiration de ce délai.
  • 12.
    CPP, art. 75-3, al. 2.
  • 13.
    Seul 3,2 % des enquêtes préliminaires ont une durée supérieure à trois ans : v. J. Goldszlagier, « Durée maximale des enquêtes préliminaires : de la lenteur à l’arrêt ? », Dalloz actualité, 27 mai 2021.
  • 14.
    CPP, art. 75-3, al. 3 et 19.
  • 15.
    On ne vise pas l’enquête dans son ensemble, mais des actes pris isolément. Un acte réalisé après n’entraîne donc pas la nullité de toute l’enquête.
  • 16.
    Cela ne vise pas le PV de clôture et de transmission au parquet : CPP, art. 75-3, al. 3.
  • 17.
    Rappel de l’article 75-2 du Code de procédure pénale : « L’officier de police judiciaire qui mène une enquête préliminaire concernant un crime ou un délit avise le procureur de la République dès qu’une personne à l’encontre de laquelle existent des indices faisant présumer qu’elle a commis ou tenté de commettre l’infraction est identifiée. »
  • 18.
    CPP, art. 75-3, al. 4.
  • 19.
    CPP, art. 79.
  • 20.
    E. Daoud et a., « Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : dispositions relatives aux grands principes de procédure pénale », Dalloz actualité, 22 févr. 2022.
  • 21.
    CPP, art. 75-3, al. 5.
  • 22.
    Donc de la date du classement à celle du soit transmis pour reprise d’enquête.
  • 23.
    D. n° 2022-546, 13 avr. 2022, inclus dans une section 3 « Du contradictoire au cours de l’enquête préliminaire », complété par l’article D. 593-2 du Code de procédure pénale.
  • 24.
    Jusque-là, le texte ne prévoyait cette possibilité que lorsque le parquet avait décidé de poursuivre. Pour une mise en œuvre de l’ancien article 77-2, v. not. E. Maurel, « Loi pour la confiance : une réforme qui fait sens au parquet de Nîmes », AJ pénal 2022, p. 10.
  • 25.
    On notera, encore une fois, l’utilisation inappropriée à ce stade de la notion de victime.
  • 26.
    Ou à leur disposition si elles ne sont pas assistées par un avocat.
  • 27.
    CPP, art. 77-2, I, al. 1er.
  • 28.
    CPP, art. D. 15-6-3, III – on appréciera la lourdeur de la numérotation.
  • 29.
    Ceci par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé.
  • 30.
    CPP, art. D. 15-6-3-1, III, al. 2.
  • 31.
    Une simple audition comme témoin ne suffit pas.
  • 32.
    CPP, art. 77-2, V.
  • 33.
    Notion différente de « mis en cause » du I de l’article 77-2 du Code de procédure pénale.
  • 34.
    Cela ne concerne donc pas les contraventions.
  • 35.
    CPP, art. 77-2, II.
  • 36.
    Le texte vise seulement la réalisation de l’acte, même si ce dernier n’a pas été fructueux, donc si rien n’a été découvert et que les soupçons n’ont pas été confirmés.
  • 37.
    CPP, art. 77-2, II, 3°.
  • 38.
    V not. F. Lardet, « Enquête préliminaire : une réforme peu adaptée aux investigations financières », AJ pénal 2022, p. 14 et s.
  • 39.
    CPP, art. D. 15-6-3, I, al. 1er.
  • 40.
    Ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa du I de l’article 77-2 du Code de procédure pénale, de la réception des documents complémentaires sollicités.
  • 41.
    Elle lui est notifiée par tout moyen : CPP, art. D. 15-6-3, II.
  • 42.
    CPP, art. 77-2, II, al. 6.
  • 43.
    La décision du procureur mentionne qu’elle peut faire l’objet d’un recours devant le procureur général. CPP, art. D. 15-6-3, II, al. 7.
  • 44.
    Le décret précise que les saisines du procureur général prévues par l’article 77-2 se font par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé ou, lorsqu’elles émanent d’un avocat, par un moyen de télécommunication sécurisé conformément aux dispositions de l’article D. 591 (il semble que pour la saisine du procureur général, il n’y ait pas de choix si un avocat est présent. Dans ce cas, pas de lettre recommandée ou de déclaration au greffe). CPP, art. D. 15-6-3, V. Lorsque la personne saisit le procureur général en raison du défaut de réponse du procureur de la République dans le délai d’un mois (soit pour une demande de mise à disposition, soit pour une observation), elle en informe dans le même temps, par les mêmes moyens, le procureur de la République. Cette saisine est caduque si le procureur de la République fait ensuite droit à la demande de communication du dossier ou à la demande d’actes. CPP, art. D. 15-6-3, V.
  • 45.
    Rien n’est prévu dans ce cas, en l’absence de réponse du parquet général.
  • 46.
    Hors l’ouverture d’une information, l’application de l’article 393 ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13 du Code de procédure pénale.
  • 47.
    Contra E. Daoud et a., « Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : dispositions relatives aux grands principes de procédure pénale », Dalloz actualité, 22 févr. 2022 ; S. Detraz, « Les habits neufs de l’enquête préliminaire. À propos de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 », GPL 22 févr. 2022, n° GPL432o6.
  • 48.
    CPP, art. 77-2, II, al. 5.
  • 49.
    Si le procureur de la République décide de faire droit à la demande, il avise cette personne ou son avocat de la mise à la disposition de son avocat, ou à sa disposition si elle n’est pas assistée par un avocat, d’une copie de la procédure. Il l’informe aussi de la possibilité de formuler des observations et les formes requises. Rappelons que sur ce point le décret précise que la mise à disposition du dossier se fait par tout moyen. Elle peut consister en la consultation des pièces de celui-ci dans les locaux du tribunal judiciaire ou en la remise d’une copie de la procédure. Les dispositions de l’article 593-2 du Code de procédure pénale sont alors applicables.
  • 50.
    Sauf à ce qu’un recours soit exercé devant le procureur général : CPP, art. D. 15-6-3, II, al. 7. Ce recours sera fait à l’aveugle puisque, par principe, aucune pièce ne sera communiquée.
  • 51.
    CPP, art. 77-2, II, al. 6.
  • 52.
    CPP, art. 77-2, II, al. 6.
  • 53.
    CPP, art. 15-6-3, II, al. 6.
  • 54.
    CPP, art. D. 15-6-2, VI.
  • 55.
    CPP, art. 77-2, III.
  • 56.
    CPP, art. 77-2, IV.
  • 57.
    CPP, art. 15-6-3, III, al. 2.
  • 58.
    Les textes ne précisent pas quel acte peut être demandé, mais ce pourrait être notamment une audition, une confrontation, une expertise, ou tout acte que la personne juge nécessaire à la manifestation de la vérité.
  • 59.
    Aucun délai de contestation n’est instauré.
  • 60.
    CPP, art. 15-6-3, IV.
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