L’inquiétante « défense excusable » d’Eric Zemmour

Publié le 01/02/2022

Lors d’un déplacement à Cannes le 23 janvier dernier, le candidat à la présidentielle Eric Zemmour a indiqué vouloir introduire dans le droit la notion de « défense excusable » afin de donner à l’ « honnête homme » le droit de « riposter aux voyous ». Une proposition que notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier juge absurde et dangereuse. Elle rappelle que la légitime défense existe déjà et qu’elle est appliquée par les tribunaux lorsque les circonstances le justifient. 

L’inquiétante « défense excusable » d’Eric Zemmour
Photo : ©AdobeSTock/MarieSacha

Réformer la Justice : nos candidats n’ont que cela à la bouche.

La justice doit être plus sévère, sauf que le laxisme des uns est bien souvent la sévérité des autres, mais qu’importe ! Il faut légiférer, voter de nouvelles lois, changer ce code pénal qui laisserait des voyous sanguinaires courir dans nos rues et nous mettre en danger.

Après les peines pénales fixes et condamnations automatiques pour les agresseurs de policiers, la fin des aménagements de peines, la suppression de la BAC pour la remplacer par une police de proximité non armée, nous avons eu droit lundi dernier à la perle de la semaine : « l’introduction dans notre droit de la notion de défense excusable ».

Ce droit de « riposte » serait réservé à certains (policiers, commerçants et citoyens braqués) contre les « voyous ». C’est à dire à quasiment toute la population qui pourrait ainsi s’armer (assez facilement je suppose) et tuer ceux que les honnêtes citoyens estimeraient être des voyous.

Pourtant, la légitime défense existe déjà dans notre droit.

L’article 122-5 de code pénal dispose en effet que :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».

Le mauvais exemple du bijoutier de Nice

Mais selon le « journaliste polémiste » Eric Zemmour, elle serait aujourd’hui parfaitement inopérante pour protéger les français.

Ce candidat à l’élection présidentielle, qui ne daigne même pas se rendre au  tribunal correctionnel lorsqu’il y est convoqué, fonde sa proposition sur  l’affaire du bijoutier de Nice condamné à 5 ans de prison avec sursis pour avoir tué l’un de ses cambrioleurs.

Dans ce dossier,  que le polémiste ne semble pas connaitre en détail, il était reproché au bijoutier d’avoir tiré dans le dos des hommes qui venaient de le braquer alors qu’ils s’enfuyaient à scooter. Plutôt que d’utiliser une arme moins dangereuse, en l’espèce un pistolet Gomme Cogne,  il avait choisi un fusil calibre 7,65 dont l’utilisation était potentiellement mortelle… C’est notamment pour ces raisons-là que la légitime défense a été écartée. Il n’a cependant été condamné qu’à du sursis.

Faire d’une affaire judiciaire (qu’on ne connait que par des articles de presse) une généralité pour terroriser les Français et les inciter à voter pour des propositions ahurissantes devient une habitude chez certains de nos candidats. Une telle surenchère pourrait finir par nous faire quitter définitivement l’état de droit.

Revenir à un peu plus de nuance ne nuirait pas aux débats actuels.

Il y a pourtant eu des relaxes sur le fondement de cette fameuse légitime défense prévue par notre droit pénal : par exemple, le 2 juillet 2020, le tribunal correctionnel de Besançon a relaxé un homme de 74 ans qui avait tiré avec son fusil de chasse sur un cambrioleur ayant pénétré dans son domicile alors qu’il regardait la télévision.

Dans cette autre affaire, une  femme, a été acquittée du meurtre de son mari.  La cour d’assises du Nord a considéré qu’elle avait agi dans le cadre de la légitime défense alors que son époux était en train de l’étrangler.

Mais pourquoi diable ne jamais parler de ces affaires dans lesquelles la légitime défense est retenue par les magistrats ? Pourquoi systématiquement faire croire aux français que la justice serait injuste, laxiste et mal rendue ?

Dans notre démocratie, nul ne peut se venger et s’estimer en droit de tirer sur celui qui l’importune. Il appartient à une justice indépendante d’enquêter, de poursuivre puis de condamner si les éléments du dossier le permettent. Sinon, nous revenons à l’ancien système du fort contre le faible, de celui qui ôte la vie de son ennemi parce qu’il se croit en danger.

Cette absurde proposition dite de « défense excusable » se heurte en outre à plusieurs évidences.

Demain, tous armés ?

D’abord, qu’est-ce qu’un voyou ? Cette notion n’est pas définie par le droit pénal. Celui que vous pensez être un voyou l’est-il réellement ? Comment se reconnait-il ? Ce droit de tuer ne peut évidemment pas se fonder sur le sentiment de celui qui en serait le titulaire, sauf à lui donner effectivement un permis de tuer.

Ensuite cette notion de « défense excusable » implique que les citoyens et commerçants puissent s’armer pour se défendre. Souhaitons-nous vraiment que notre voisin dispose d’une arme de guerre dans son salon au cas où il aurait un problème de voisinage ? Je ne le crois pas.

Au contraire, ne doit-on pas laisser les policiers et les magistrats enquêter pour faire la lumière lorsqu’un drame se produit ? Ne peut-on pas envisager une seule seconde que la justice du quotidien, celle qui rend près d’un million de décisions pénales tous les ans, réussit à faire correctement son travail (malgré son manque de moyens) ?

Pourrait-on arrêter de faire croire aux français qu’une affaire judiciaire reflète le quotidien de cette justice ?

Il est grand temps de cesser ces dérives électoralistes.

Notre droit pénal permet à toute personne attaquée de se défendre, à condition que cette défense soit concomitante et proportionnée à l’attaque dont elle fait l’objet. Il appartient ensuite à la Justice, après des débats contradictoires, de s’assurer que de cette défense était bien légitime et que son auteur n’est donc pas responsable pénalement. Il n’y a aucune raison de changer, encore une fois, ce droit.

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